Chapitre 20 - Dernier souffle
— Fais attention à toi, à Jacob.
Il se rapproche et m'embrasse, son baiser est chaud, et pendant un bref instant, j'oublie ce qui s'est passé la nuit passée.
Devant le lycée, je remarque le flic et également Olive, qui me foudroie du regard. Elle a vu, et je me jure que si elle revient me casser les pieds, je lui donnerai une correction.
— Je te verrai en classe, je dois aller voir mon père avant.
Je prends sa main dans la mienne, un dernier ancrage dans ce monde que je ne comprends plus.
Je sors de la voiture, le moral toujours en berne tandis que la pluie continue de tomber. Pendant que je me dirige vers le lycée, le policier chargé de l'enquête m'interpelle. Ses traits tirés et ses mimiques nerveuses laissent présager une mauvaise nouvelle.
— Lily Basher, aurais-tu quelques instants à me donner ?
Je me retourne pour voir la Camaro SS de Jacob s'évanouir dans le virage. Sans m'en rendre compte, sa présence m'a apporté du réconfort.
Concentre-toi, revient dans le monde des vivants.
— Camille, c'est ça.
Il hausse les sourcils avant de sortir son calepin.
— Elle a disparu, en parlant avec les élèves, j'ai su que tu avais eu des problèmes avec elle.
— Je lui ai mis une tarte, et j'aurais fait bien plus si je n'avais pas été arrêtée.
Un regard critique s'ensuit.
— Vous devriez essayer de regarder vers l'hôtel de Frise.
Je m'apprête à tourner les talons, mais il est plus rapide.
— Pourquoi ? Pourquoi tu dis ça ?
— Parce que je l'ai vu là-bas.
Je lui adresse une dernière pique.
— Si vous ne commencez pas à chercher par vous-même au sein de la division policière de votre propre commissariat, vous ne trouverez rien.
Il tente encore de me parler, mais je connais mes droits, ce qu'il peut faire et ne pas faire. Il ne peut pas m'interroger sans ma mère ou mon père présent.
Je rentre dans le lycée et les regards se tournent vers moi. Je disparais sous ma capuche, et tiens ma lame de rasoir au plus près de moi, jusqu'à ce qu'elle s'enfonce dans ma peau. Désormais, loin de ma chambre et de Jacob, je ne peux plus ignorer la peur qui retourne mes entrailles, où le souvenir de Camille, morte dans cette petite pièce noire.
À bout de souffle, pour échapper à la soule, je me réfugie dans une cabine de WC.
C'était un mauvais rêve, un très mauvais rêve.
Je serre la lame au plus proche de moi, il faut que cette douleur mentale devienne physique. Je reste là un instant trop fatigué pour bouger, je respire calmement, me concentrant sur la douleur. Puis le son de la cloche retentit. Je m'apprête à sortir, répondre à l'appel de la sonnerie, quand deux filles rentrent dans la salle de bain.
— Je vais la tuer, cette pute, elle pense qu'elle va me le prendre.
Olive.
Je n'ai pas la force de l'affronter, alors je ramène mes jambes contre ma poitrine, perchée sur les toilettes.
— Je le sortirais devant tout le monde, juste pour voir sa tête.
Kali ricane et approuve du plan de son amie. Entre la fente de la porte de bain, je dévisage Olive qui retouche son maquillage. Elle est si jolie, je comprends pourquoi Jacob a du mal à choisir entre nous.
Il n'y a même pas de choix sur la table.
Quand les deux disparaissent, je m'extirpe de ma cachette pour me trouver face à mon reflet dans la glace. Cernes, teint cadavérique ; j'ai une tête de déterrée. En un simple mouvement, je replace mes mèches rebelles derrière mes oreilles et quitte les WC.
Le lycée est en pleine ébullition ce matin, mais je ne le remarque pas, je suis trop absorbée par les menaces d'Olive, et ce qu'elle ferra devant la classe entière. Je veux faire demi-tour et retourner dans mon lit pour oublier cette ville, cette vie.
Je veux me réveiller dans les bras de Gwen.
J'atteins la salle de classe juste à temps, alors que les élèves quittent le couloir pour prendre la place au chaud. J'inspire une dernière fois et lance un regard par-dessus mon épaule, vers la pluie et les gouttes qui s'écrasent sur le sol.
Le lycée est en pleine ébullition ce matin, mais je ne le remarque pas, je suis trop absorbée par les menaces d'Olive, et ce qu'elle ferra devant la classe entière. Je veux faire demi-tour et retourner dans mon lit pour oublier cette ville, cette vie.
Je veux me réveiller dans les bras de Gwen.
J'atteins la salle de classe juste à temps, alors que les élèves quittent le couloir pour prendre la place au chaud. J'inspire une dernière fois et j'observe derrière moi le ciel gris et la pluie qui tombe.
Lorsque je passe le pas de la porte, Olive grimace. Jacob ne me remarque pas, il est perdu dans son livre, Tolstoï, au fond de la classe.
Alec se lève pour venir à mes côtés, et Nia fait de même. Je lance un dernier regard vers mon amant, toujours plongé dans sa lecture, il me suffirait de l'appeler pour qu'il me rejoigne. Mais je n'en fais rien, je me contente d'ouvrir mon cahier et attendre le passage du temps.
Chaque moment qui passe me coûte un peu de ma raison, chaque instant qui s'écoule me tire un peu plus loin dans les ténèbres. Camille, Gwen, leur visage se mêlent sur la toile de mon esprit, et malgré l'entaille dans ma paume, je peine à garder la tête hors de l'eau. Je n'entends plus le professeur, je vois seulement sa bouche qui s'ouvre et qui ferme. L'air me manque et la nausée me retourne les entrailles. Le monde m'échappe et cette fois, j'ignore si je pourrais revenir entre les vivants.
Soudain, la cloche sonne et je me précipite à l'extérieur. Sur le chemin de la sortie, quelqu'un me donne un coup d'épaule et ma main glisse sur le rasoir toujours dans ma poche. La douleur me fait perdre l'équilibre, et je me rétame sur le sol. Puis je l'entends, sa voix criarde et dégoulinante de haine.
— Toujours à faire ta catin, Lily, à jouer la petite victime pour qu'on pense à toi.
Je lève la tête pour découvrir son beau visage déformé en une cruelle grimace. J'ai déjà vu cette expression, celle que revêtent les chasseuses lorsqu'ils coincent leur proie. J'essaie de me dérober, mais Olive continue et un petit groupe commence déjà à se former autour de nous.
— Tu sais, maintenant, je sais, je sais pourquoi tu te fais sauter par le premier gars venu.
Je saisis le sens de ses paroles, mais je préfère qu'elle ne les prononce pas.
— Olive, laisse-moi tranquille, s'il te plaît.
Je me retourne pour voir Jacob qui sort de la classe, il discute avec Alec d'un air grave. Je veux l'appeler, le supplier de me prendre dans ses bras, mais j'ai peur, trop peur de ce que pourrait dire Olive, si elle parle, tout le monde saura la vérité.
Tout le monde saura que je suis sale.
— Prends-le si tu veux, je ne l'approcherai plus, mais laisse-moi tranquille.
Je ne suis pas cette fille faible, je suis celle qui se bat, celle qui peut surmonter les épreuves qui se glissent sur mon chemin. Je suis Lily, j'ai survécu à cette nuit, j'ai survécu à la disparition de ma sœur.
— Ah non, Lily, tout le monde va savoir pourquoi, elle continue avec haine.
J'ai honte, terriblement honte. Je me déteste, je ne veux pas qu'ils me voient ainsi.
Je ne veux pas qu'il me voie ainsi.
— Tu as besoin de coucher avec les hommes pour être sûre que tu vaux toujours quelque chose, tu as besoin de savoir que tu n'es pas sale ! continue-t-elle.
Je hurle et me recroqueville en boule. Jacob fait volte-face, paniqué tandis que Nia me rejoint.
Trop tard.
— Tu es sale, Lily, tu as été violée parce que tu le mérites au fond !
Je me noie, je n'ai plus d'air dans mes poumons. La mer me tire vers les abysses, là où personne ne me trouvera. Mes ongles s'enfoncent dans ma chair, et le monde disparaît derrière le voir de terreur. Je pleure, je saigne, je lui supplie d'arrêter, mais elle continue.
— Tu as aimé ça, Lily, tu t'en es voulu d'avoir aimé sentir en toi le gars qui a pris ta sœur.
Jacob rugit, mais je ne le vois pas. Je sens des mains contre ma peau froide, je les repousse avant de me redresser, tremblante.
« Cours, Lily ! Cours ! »
Mes jambes poussent de plus en plus fort. Je ne suis plus dans ce lycée, mais loin, sur ce parking de cinéma, tard le soir. Je pensais renaître, reconstruire une vie ici. Mais j'avais tort, l'espoir n'existe pas pour les gens comme moi.
Je rugis, un hurlement qui s'échappe avec toute la force de mes poumons. Le vent caresse mon visage, portant avec lui l'odeur mêlée de la pluie et de la terre. D'un bond, je m'élance sur le trottoir, les cris de mes amis résonnant dans le vide. Pour la première fois, ma main émerge de ma poche.
Je découvre la lame de rasoir sous ma peau, là, en dessous, enveloppant ma main d'une teinte rouge, ce rouge profond du sang.
J'avance sur la route, entre les gouttes de pluie. Mon souffle reste en suspens, perdu lui aussi dans la nébuleuse de cette ville. Je vois que Jacob, il court, m'appelle, en vain.
Plus loin, j'aperçois une voiture, elle descend, elle roule un peu trop vite. Je fais un pas en avant. J'ai l'impression que la pluie a cessé de tomber.
J'avance, un pas devant l'autre, motivée par une peur comme nulle autre. Je ne veux pas mourir, mais je ne peux pas rester ici,
Jacob ne peut pas comprendre, mes amies ne pourront plus me regarder en face. Je suis en train de sombrer dans la folie. Des images de cadavres me hantent, je suis persuadée que Camille n'est pas vraiment morte, qu'elle se trouve quelque part à profiter de la vie.
Puis, j'entends Jacob crier. Sa voix déchire l'espace et je me tourne une dernière fois vers lui, je lui souris.
Impact.
« Lily »
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