Chapitre 2 - Cynisme contagieux
Les jours passent et se ressemblent : cours, pluie, clopes et dodo.
Ici, à Clémentine Lake, tout le monde vit dans une torpeur constante. Ici, les murmures des oubliés nous plongent peu à peu vers la folie. Je les ignore, et je me tire du lit tous les matins, tel un robot.
Retour à la réalité.
Une fois dans le couloir, les râles des élèves se font entendre, et je suis heureuse de ne pas être la seule dans la panade.
Putain de contrôle de merde.
Je consulte mon emploi du temps : deux heures d'activité physique s'offrent à moi, pauvre de moi.
A contre cœur, j'emboite le pas de Camille, cette dernière s'est vraiment entichée de moi, au point que je commence à penser que mon statut de nouvelle pourrait lui apporter quelque chose.
Elle peut toujours rêver, je prends, je ne donne jamais.
Il pleut, et la boue s'amasse sur mes bottes lorsque je traverse un champ pour rejoindre ce qui semble être une ancienne église. Si c'est ça le terrain de sport, c'est original. Alors j'inspire profondément avant de passer le pas de la porte de notre gymnase.
Il s'agit un immense local aux hauts plafonds. Au sol, un parquet de bois ciré reflète la lumière qui ne filtre pas des grandes fenêtres. Une douce odeur de chêne règne dans l'air tandis que nous faisons halte au centre de la pièce, gigantesque.
Cet endroit est beau, ça, je ne peux pas le nier, et aussi étrange que cela puisse paraître, je m'y sens bien. Camille embrasse Eustache, qui rejoint les vestiaires des garçons, pendant que je me prépare à la séance d'apnée. Les vestiaires sont une vraie nuée d'effluves désagréables : déodorant, pieds sales, chaussettes imbibées de sueur, et sans oublier le mythique dessous-de-bras.
— Vas-y, lâche là, Camille, pas sûr que Gwen apprécie les sangsues, lance une voix féminine alors que je pousse les portes métalliques.
La fille aux cheveux verts, vérité tranchante, Violette : ma sauveuse. Camille roule yeux et pince ses lèvres avant de me quitter et rejoindre le banc où elle pause ses affaires.
Je me change en ignorant les poufiasses qui s'alimentent de derniers ragots ; qui couche avec qui, qui à prit du poids.
Je décide de sortir en suivant Sam, la grande aux airs androgynes. Malgré mes leggings j'ai enfilé un pull trois fois trop grands en espérant cacher mes formes que je déteste tant.
Toi, ce corps que je déteste tant.
À mes côtés sautille Rosa, la fille qui a un an de plus que moi, mais qui semble en avoir cinq de moins. Peut-être qu'elle contient toute la joie, pour toutes les personnes qui ne peuvent en ressentir dans cet endroit ?
Sa bonne humeur en est presque contagieuse car j'esquisse un sourire tandis qu'une voix masculine résonne dans les airs.
— Putain, dernière fois que je me change, avec ce pervers !
Alec pousse une exclamation assez forte pour qu'elle résonne dans tout le bâtiment.
Ses amis Jacob et Victor étouffent des rires face à leur collègue qui tente de s'éloigner le plus possible du dénommé Vincent Gonzalez.
Je pose mon regard sur lui et regrette immédiatement mon acte. Un garçon se tient devant moi, se dandinant comme un canard. Son visage est luisant de gras, parsemé de boutons blancs et violets et sa complexion rougie me rappelle celle d'un porc.
Le pauvre, il pourrait être un charmant personnage.
— Les filles prêtes pour some sport.
Mes poils se hérissent sur ma peau. Comment peut-on avoir une voix si énervante ?
Sa voix est haute perchée, et en même temps son accent du coin, et Ô Christ ! Je ne crois pas en ton existence, mais ces deux mots prononcés dans un semblant d'Anglais me poussent à haïr cette chose que tu aurais pu créer.
C'est à ce moment que le professeur de sport fait son apparition. Un homme d'une cinquantaine d'années, au crâne rasé et trapu. Il porte de petites lunettes sur son grand nez, et bien sûr, une moustache, vestige des années quatre-vingt. D'une voix forte, il fait taire notre classe et commence à faire l'appel. Je lève la main et imite les autres en attendant le début du cour.
— Nos entraînements pour le jeu de piste qui aura lieu cette année.
Fait, monsieur Bernard, en feuilletant des papiers, il semble chercher quelque chose. Enfin, il lève, le regard et le braque sur moi.
— Je vois que nous avons une nouvelle élève, j'espère que vous lui expliquerez le principe de cette course.
Nous préparons le terrain pour une partie de balle au prisonnier, auxquelles s'additionnent quelques subtilités : le nombre de balles est différent et les prisonniers doivent faire des pompes.
Génial.
C'est l'équipe adverse qui entame la partie, l'équipe de Victor. C'est ce dernier qui tire le premier, bien sûr, il vise Camille.
L'endroit se transforme en champs de bataille, où les soldats s'efforcent d'éviter les obus qui tombent du ciel, se bousculant mutuellement, préoccupés avant tout par leur propre survie. Pour le moment, je ne suis pas touchée, heureusement, car la perspective de faire des pompes ne m'inspire pas du tout.
Enfin, je réussis à attraper une balle, que je prends à pleine main, maintenant vient la partie plus compliquée. Me placer à l'avant et ne pas recevoir une balle en pleine figure - et éviter les horribles pompes -. Je me faufile à l'avant, quittant mon poste bien caché.
Vite, je lance sur la première cible, qui apparaît dans mon champ de vision. La balle la heurte en pleine figure, ce qui révèle une grimace des moins gracieuses chez la fille sur qui j'ai tiré.
Une fille aux longs cheveux bruns et des yeux en amandes me lance des éclairs du regard. À ce moment précis, si j'avais le choix entre faire des pompes et affronter Kali j'aurais opté pour les pompes. Elle tourne les talons et se met sur le côté et commence à faire des pompes, c'est durant ce moment d'inattention qu'une balle me percute à mon tour en plein estomac, Jacob me lance un sourire satisfait.
La partie se prolonge pendant environ une heure. C'est couvert de sueur et épuisée que je retourne vers les vestiaires et rejoint les douches.
— Mon genou, je l'ai sûrement foulé, faudra que je voie mon orthopédiste, commence une voix insupportable.
Même dans ma douche, elle doit me briser ce moment de sa voix geignarde. Je ferme le robinet et attache ma serviette pour cacher mon corps tandis que Sam me rejoint et susurre à mon oreille.
— On parie combien qu'elle s'est fait une fracture ouverte de la rotule ?
Je hausse les épaules tandis que Violette s'esclaffe de rire, tout en enfilant son t-shirt.
— Et vous prétendez être ses amies.
Olive s'approche les poings sur ses hanches.
Les pouffiasses mettent une de leurs cartes en jeu.
— De quoi tu te mêles ? Réponds Sam, tous en séchant ses cheveux bleus.
Olive grimace et s'avance davantage.
— Je n'aime pas les hypocrites.
Violette éclate de rire et je me recule dans ma coquille, je n'aime pas ce genre de confrontation. Dans mon ancien lycée j'ai toujours fait de mon mieux pour éviter les prise se têtes.
— On peut savoir ce qui te faire rire, la gouine ? Peste Olive.
Le rouge me monte aux joues et mon poing se roule en boule, j'avance mais Violette pause sa main sur mon épaule. Je connais ce regard : « elle n'en vaut pas la peine ».
L'intéressée ignore sa réplique et montre du doigts la fille dans un coin de la pièce.
— On en parle de votre bouche-trou ? Siffle Sam
Tous les regards se tournent vers Melinda, la petite souris. Et bien sûr, en tant que bouche-trou digne de ce nom, elle ne réagit pas, mais Olive rougit. Je n'arrive pas à déterminer si c'est de la colère ou de la honte. Visiblement, Sam a marqué un point.
Bandes de bouffonnes. Aucune pour rattraper l'autre.
Après l'épisode des vestiaires, je décide de rester dans mon coin. J'ai eu ma dose d'homophobie et chamaillerie de gamine. Cependant, quand l'heure de manger vient Rosa m'invite à les rejoindre, et j'acceptes avant de les rejoindre dans la queue du self.
J'ai faim, mais la vision du cassoulet miteux me donne envie de vomir. Même les croquettes de mon chat sont plus appétissantes.
— Alors ta première journée ?
Entre deux bouchées que j'évite de mâcher et le contact avec la langue, la question tombe et Rosa pose ses yeux pétillants sur moi.
— Ça va, répondè-je.
Je lâche les deux mots sans grande conviction et commence à jouer avec la bouillie qui recouvre mon plat.
— Comment avoir une discussion avec toi si tu répliques avec des réponses fermées ? Commence Violette, qui avale d'une traite son verre d'eau.
Et elle n'a pas tort, avec mes parents, je m'efforce toujours de rendre les conversations les plus courtes possibles. Depuis Gwen, chacun de mes mots peux être interprété et utilisé comme munition dans le futur. Mais ici c'est différent, ces filles sont aussi perdue que moi, alors j'inspire profondément avant de répondre.
— La ville est moche, le lycée est moche, et je ne comprends pas le concept de votre satanée fête sportive, et votre fête de l'Équinoxe.
Sam continue de jouer avec sa fourchette, et Rosa essaye de manger sa salade.
— Bah les gens essayent de se donner une raison de faire la fête, réponds Rosa.
Rosa contraste avec Violette, évoquant l'image d'une petite fée, tandis que Violette incarne à elle seule le cynisme sur Terre.
— C'est quoi exactement ? Demandé-je, soudain curieuse.
Violette soupire et croise ses bras sur sa poitrine.
— Des gros beaufs qui fêtent la chasse. Durant une soirée, on se transforme tous en campagnards.
Rosa fusille son amie du regard.
— Violette, la fête de l'Équinoxe fait partie de l'histoire de cet endroit, arrête de voir tout de si mauvais regard.
J'esquisse un sourire tandis que Rosa revient à l'attaque.
— Ton scepticisme et ta mauvaise humeur déteignent sur tout le monde, Violette.
Trop tard pour moi, Violette arrive trop tard, la vie m'a déjà tout prit.
Mais ça, elles n'ont pas besoin de le savoir.
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