Chapitre 19 - Mauvaises habitudes
Je ferme la porte derrière moi avant de grimper vers ma chambre. Alec et Nia ont insisté pour que je reste en compagnie de Jacob cette nuit.
« Ça nous rassurerait, Lily, s'il te plaît. »
J'ai fini par accepter, et il m'a ramenée chez moi. Peut-être ont-ils raison ? Suis-je en train de perdre la tête ? Camille n'est pas morte, elle ne peut pas être morte, oubliée dans un vieux sac de sport. Je suis malade, je devrais probablement écouter les médecins et prendre les médicaments. La main de Jacob contre mes reins me tire de mes ruminations, pour retrouver cet horrible monde.
La maison est plongée dans une obscurité totale, seuls les sons du frigo viennent bercer cette nuit effrayante. Par les fenêtres, les griffes des arbres projettent des ombres terrifiantes sur e plancher. Je m'efforce de chasser le cadavre de Camille de mon esprit, avec ses yeux grand ouverts, son cou rouge et les marques de notre affrontement plus tôt dans la journée.
Lorsque j'ouvre la porte de ma chambre, au sommet de l'escalier, je suis submergée par les souvenirs et je laisse mes larmes couler librement sur mes joues.
Je suis en train de perdre la tête.
Jacob prend ma main, et je le laisse faire. Je n'ai pas la force de me battre, pas contre lui et sa chaleur si réconfortante. Je lutte déjà contre mon esprit, contre les couleurs qui dansent au rythme des voix de ma tête, contre les souvenirs qui me hantent nuit et jour.
Je ne peux pas faire plus.
— Je suis désolé, murmure-t-il à son tour. Je n'ai jamais voulu te faire de mal, Lily.
Je l'ignore et rejoins mon lit, m'enroulant dans ma couverture, je suis gelée, vidée de toute énergie.
— Je ne sais pas quoi faire de mes sentiments, je ne sais même pas ce que je ressens pour toi, continue-t-il.
Je me redresse pour trouver son visage illuminé par ma petite veilleuse, cette dernière lui confère un air triste.
— Je ne pense pas qu'il soit nécessaire d'avoir cette conversation, Jacob, murmuré-je.
Il se rapproche et se pose sur le rebord du lit.
— J'ai besoin de le faire, alors laisse-moi.
Je concède à contrecœur, la raison pour laquelle je refuse d'écouter est évidente. Jusqu'à présent, j'ai tout fait pour éviter d'aborder mes sentiments. S'il le fait, je devrais affronter les miens en plus des siens.
Il inspire profondément avant de commencer.
— Je n'arrête pas de penser à toi, enfin, au début, c'était juste sexuel, il y a un truc dans la façon que tu as de te tenir, de regarder le monde. Puis c'est devenu autre chose, je suis devenu jaloux, je cherchais la chaleur des autres pour ne pas penser à toi. Aujourd'hui, quand je me suis fait taper, je t'ai vue venir pour moi, et j'ai eu peur, tellement peur. Cette peur m'a effrayé, je ne savais pas quoi en faire.
Il marque une pause et pince l'arête de son nez.
— Alors, j'ai laissé Olive te parler comme elle l'a fait. Je ne savais pas quoi répondre, car j'étais tétanisée, j'avais peur de ce que je ressentais. Alors qu'elle te repousse ne me gênait pas, je voulais juste ne plus avoir à réfléchir à mes émotions.
Un rire se coince dans ma gorge tandis que mon cœur s'emporte dans ma poitrine.
— Tu es en train de me dire que tu veux plus penser à moi, tu ne veux plus que je fasse partie de ta vie ? Pourtant, c'est toi qui as insisté pour venir ce soir, toi qui m'as appelée, toi qui as tout fait pour que je passe du temps avec toi !
Les mots s'échappent de manière plus violente que je ne l'aurais voulu. Mais c'est Jacob, il a le don de me sortir autour de mes gonds, d'éveiller des émotions que je songeais éteintes en moi.
Il se prend la tête entre ses mains. C'est là que je vois les marques sur son visage, sur ses jointures. Il est aussi brisé que moi, mais il a grandi dans cette maudite ville, il a appris à se cacher, à porter cet horrible masque d'assurance en toute circonstance.
« Clémentine Lake finit par écraser les gens, les forcer à rester dans l'ombre, ou partir de ce monde. »
Alors, j'inspire profondément une dernière fois, et prends sa main dans la mienne ; tant pis.
— Jacob, je ressens la même chose depuis cette nuit. Je ne sais pas si c'est bien, mais ce n'est pas une mauvaise chose.
Les souvenirs des moments passés ensemble me reviennent, comme les traces laissées par la mer sur le sable.
— Lily, tu ne peux pas m'excuser... je...
Il lève les yeux pour rencontre les miens et j'esquisse un sourire triste avant de répondre.
— Ne t'excuse pas, j'ai juste besoin que tu saches que tu n'es pas la seule mauvaise personne dans cette chambre. Je mens comme toi, j'ai vécu des choses qui te dégoûteraient de moi.
Le goût de la terre revient hanter ma bouche, et je repousse les horribles souvenirs qui grouillent sur la toile de mon esprit. Ce moment m'appartient, c'est lui et moi, personne d'autre ne viendra le briser.
— Tu peux me parler, chuchote-t-il.
Je secoue la tête.
— Je préfère être cette Lily, celle que tu connais dans cette ville, pas une autre.
Il lève sa main, et frôle ma joue, avant de replacer une de mes mèches derrière mon oreille. Sa présence rassurante chasse ce qu'il reste des monstres et je m'accroche à lui, à ses yeux sombres et son sourire triste.
Il est mon phare dans la tempête.
Je me rapproche, il ne s'écarte pas, il me fixe encore, me scrute avec envie. Je le veux, lui, ma seule certitude dans ce monde qu'est devenu le mien. Lui ne connaît pas Gwen, lui ne me voit pas comme une gamine brisée.
Lui peut me faire oublier le cadavre de Camille.
Je scelle nos lèvres dans un baiser. Elles sont douces, mais rapidement, la passion s'emballe. Mes lèvres s'ouvrent, accueillant sa langue chaude et délicieuse. Je cherche à combler un vide en moi, à répondre à un besoin qui dévore mes entrailles. Nos lèvres explorent les marques de nos vies passées, une toile de cicatrices et de douleurs qui n'ont pas besoin d'être verbalisées.
— Je pense qu'on devrait réfléchir, murmure Jacob.
Je l'ignore, et je glisse ma main dans son pantalon, il se fige, et je m'écarte pour le dévisager.
— Tu veux que j'arrête ? murmuré-je.
Il déglutit.
— Je ne veux pas que tu te sentes obligée, je ne veux pas qu'on fasse quelque chose que l'on regrette tous les deux demain.
Je reste figée un moment. Je n'ai jamais été le genre de fille à se laisser dominer, et je ne vais certainement pas commencer maintenant. Il a raison, cette envie n'est pas intelligente, nous devrions réfléchir, mettre des mots sur nos émotions avant de nous dévorer. Malgré tout, une envie indescriptible pour Jacob s'empare de moi, plus intense que tout dans cette vie maudite qui est la mienne.
— Je veux ça, j'en suis certaine. Je te veux, toi.
Je retire mon haut, dévoilant ma poitrine emballée dans un soutien-gorge noir. Il baise les yeux et cette fois, il me découvre entière. La pulpe de ses doigts caresse les marques sur mon avant-bras avant de grimper vers mon biceps et les marques de morsures.
— Pourquoi ? me demande-t-il.
— Parce que la douleur, je peux la contrôler.
Sa main continue son chemin, vers mon cou, avant de descendre dans mon dos. En un habile mouvement, il me dégrafe et j'esquisse un sourire.
— Je te comprends, il sursure, avant de m'allonger et se pencher au-dessus de moi.
Il sourit, et je lève la main pour caresser son visage, celui que j'ai découvert lors de ma première soirée en ce lieu. Puis, il m'embrasse à nouveau et je passe les mains sous son polo, caressant sa peau chaude et douce.
— Je peux te regarder cette fois ?
J'acquis en silence et il se déshabille à son tour avant de retirer mon collant. Cette fois, je m'ouvre à lui, je lui montre les cicatrices, les marques que j'ai infligées mon propre corps, cette masse de chair que je déteste tant. Son regard s'assombrit, et la tristesse fleurit sur ses pupilles sombres.
— Qui t'a fait ça Lily ? me demande-t-il dans la pénombre.
— Le monde.
Il reste là un instant, en silence, et mes entrailles se retournent.
— Je te dégoûte ? demandé-je.
Toujours rien, seule la mélodie du vent me répond.
— Je peux m'habiller...
Il m'embrasse, plus fort cette fois, et je comprends : il est furieux, contre lui-même, contre le monde. Alors, je l'entrouvre de mes jambes et continue de l'embrasser, encore et encore, jusqu'à ce que j'oublie de respirer, jusqu'à ce que nos corps s'inondent l'un dans l'autre. Il s'écarte juste assez longtemps pour attraper un préservatif de sa poche, cette fois, il fait attention. Puis il l'enfile, et revient au-dessus de moi, me rendant cette chaleur si agréable.
— Lily, je peux ? me demande-t-il
J'acquiesce, et il se présente à moi. Je sens le bout de son sexe contre le mien et je dois me faire violence pour ne pas l'enfoncer d'un coup. Mais il ne bouge pas, il attend, il me fixe avant envie.
— Dis-moi Lily ? Dis-moi que cette deuxième fois, tu la veux, qu'elle n'est pas juste un coup d'un soir.
J'esquisse un sourire.
— Dis-moi que tu veux que je te prenne.
Le rouge me monte au joug, je ne suis pas du genre bavarde, encore moins dans ce genre de situation. Mais je le sens contre moi et je le veux, je le veux profond en moi, je veux qu'il efface cette brûlure dans mes entrailles.
— Prends-moi, Jacob.
Alors, il s'exécute. Il glisse et je m'accroche à ses bras sans le quitter du regard. Cette fois, il est en contrôle, cette fois, je suis à sa merci. Il recommence, encore et encore, jusqu'à ce que mon bassin ondule contre lui et que je l'attire contre moi pour l'embrasser. Cette fois, nos corps fusionnent, ils s'écrasent l'un contre l'autre, telles deux voitures lancées à pleine vitesse sur une autoroute. Il me fait l'amour, me menant jusqu'à l'orgasme, courant après cette boule de nerf qui est né dans mon bas ventre. Je murmure son nom, et lui le mien, je vais venir, je m'accroche à mes draps, retenant les cris qui menacent de s'échapper de mes lèvres. Puis il s'arrête, juste avant que j'explose et je fronce les sourcils, à deux doigts de lui arracher ses beaux yeux sombres.
— Je veux te voir venir, Lily.
Alors, il recommence, et je m'exécute, je le fixe, lui, celui que j'ai laissé entrer
— Jacob...
Son nom roule sur mes lèvres alors qu'il continue, plus fort, plus vite. Je roule des yeux et il m'appelle, me forçant à garder mon attention sur lui et son visage déformé par le plaisir. Puis je comprends qu'il se retient, alors je me noie et j'oublie tout.
Je viens.
J'explose et il sourit avant de s'écrouler, couvert de sueur à mes côtés.
***
Dans l'obscurité, je retourve l'horeur du désespoir.
Jacob dort, allongé sur les draps. Pourtant, le sommeil m'évite, accaparée par l'image du corps mutilé de Camille. Malgré tout, je suis mentalement loin, éloignée de tout ce qui vient de se dérouler. Le goût de sa langue sur la mienne, ses mains dans mes cheveux, tout cela persiste dans ma mémoire. À la lumière de la lune, son corps semble fragile, et j'ai une envie irrésistible de me glisser contre lui, de lui murmurer des paroles réconfortantes.
Pourtant, ce n'est pas possible.
Jacob dissimule trop de secrets pour que je puisse lui accorder ma confiance. De plus, il ressent de la honte à mon égard, ne me reconnaissant pas en public. Je suis sa péripétie secrète, sa fascination morbide. Peut-être devrais-je me contenter de cette main dans la mienne, dans cette chambre qui évoque trop une prison.
Je m'encourage à respirer, à ne pas laisser ces pensées noires prendre le dessus.
Je quitte le lit et pose les pieds sur la moquette froide. Dehors, la pluie persiste, et le vent caresse doucement les volets. Je me dirige vers ce qui aurait dû être la chambre de Gwen. Parmi les cartons, je trouve un refuge. En observant les photos de mes parents, une étrange reconnaissance m'envahit. Ils sont déjà venus ici. Clémentine Lake n'a pas réintégré ma vie par simple hasard. Dans le labyrinthe de ma pensée, entre les cartons, la compréhension commence à se dessiner.
Le piège se referme sur toi, Lily. Tu es aveugle au monde qui t'entoure.
Je m'efforce de reconnaître les visages, d'associer des indices, cherchant à déchiffrer un monde qui me demeure étranger. Tout semble étrange, trop étrange pour être ignoré. Néanmoins, je ne perçois pas l'ensemble du tableau, les ombres menaçantes qui se dessinent à l'horizon me restent invisibles.
Cette nuit-là, je renoue avec une vieille amie : une lame de rasoir dissimulée dans la housse de mon téléphone. Je trace des tranchées sur ma peau, observant le monde danser, tandis que la douleur physique confère un sens à ma vie désespérée.
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