Chapitre 18 - Délicieuse Mort macabre







Je la tiens dans mes bras, à deux doigts de la gifler. Si elle ne se reprend pas, je n'aurai pas d'autre choix. Pourtant, dans cet état second, elle est sublime, paniquée, ses yeux obscurcis de terreur. Ses ongles s'enfoncent dans ma peau, et elle s'accroche à moi, moi, le seul qui puisse la protéger. Et cette fois, je le ferai, je ne laisserai personne la toucher ni lui faire du mal.

Lorsqu'elle revient à elle, elle s'écarte, un voile de haine recouvrant son visage. Elle cherche Alec et sourit quand il émerge de derrière moi pour la prendre dans ses bras.
Le désir me submerge.
Alec n'est pas habitué aux contacts physiques, mais il établit des connexions profondes avec très peu de gens, d'une manière véritablement extraordinaire.
  Elle détourne son regard de lui pour me scruter avec une intensité empreinte de venin.
— Que fais-tu là ? crache-t-elle.
Une boule de nerfs se coince dans ma gorge, une fusion d'émotions mêlées de haine, de colère, de jalousie et de tristesse. Cette journée a été bien trop longue pour que je puisse me permettre ce genre de bêtises. Ma tête me fait souffrir, ma vision devient floue, et tout ce dont j'ai envie, c'est de m'abandonner au sommeil.
— Alec m'a appelé, m'a fait part de ta connerie monumentale, il fallait bien que quelqu'un vienne te chercher.
Son visage, pâle comme la craie, perd toute couleur, et elle se met à trembler, replongeant dans cet état de détresse duquel l'avait extirpée. Ses yeux, empreints de confusion, se tournent vers Alec, cherchant des réponses. Je perçois qu'elle ne lui en veut pas, et cette constatation me pique davantage. Pendant ce temps, Nia demeure assise dans sa voiture décrépie, paniquée par la tournure des événements.
— Tu l'as vue, toi aussi ? me demande soudain Lily.
Je fronce les sourcils.
— De quoi tu parles ?
Elle revient à la charge, tremblante.
— Camille ? Tu l'as vue, où tu m'as trouvée ?
Je fronce les sourcils, interloqué. Camille a de nombreux défauts, elle est insupportable, sans aucune personnalité, péniblement collante. Mais elle est loin d'être le genre de fille à traîner dans un bordel.
J'inspire, et tente de la rassurer en adoptant une voix calme.
— Lily, je t'ai trouvée en panique dans une salle noire, il n'y avait que des paquets et des sacs sombres, je n'ai pas vu Camille.
Son regard me transperce de part en part, semblable à celui d'un animal sauvage pris de peur. Une envie irrépressible s'empare de moi, celle de la prendre dans mes bras, de l'abriter contre les horreurs de ce monde. À l'arrière de ma tête, deux mots légers flottent, mais je crains de ne jamais pouvoir les prononcer.
Je ne suis pas ce genre de personne.
Mais elle m'échappe, paniquée, elle me tourne le dos pour rejoindre le club de strip. Elle se redresse et ses collants déchirés laissent entrevoir sa peau d'ivoire. Lily se met en mouvement en direction du bâtiment, et je la rattrape. Sa peau est glacée, son cœur bat avec une telle intensité que je peux sentir les pulsations sous la peau de son poignet.

— Camille est morte, quelqu'un l'a tuée, je l'ai vue, je l'ai vue dans un sac ! Deux hommes l'ont laissée là. Il faut la trouver avant qu'ils ne la découpent, comme Maëva.
Paniquée, elle tend ses bras dans le vide, vers la lumière grésillante des néons.
— De quoi tu parles, Lily, calme-toi, tout va bien, tu dois juste te reposer, je chuchote à son oreille.
En vain, elle continue de se débattre tel un animal sauvage.
— Non, elle est morte ! Sa voix se brise et je la retourne pour prendre son visage entre mes mains.
Lily tente de s'échapper à nouveau, mais je la tiens fermement.
— Calme-toi !
Elle sanglote dans mes bras, et je la serre plus fort contre moi. Elle gémit et ses jambes tremblent avant de lâcher. J'accompagne sa chute et passe ma main dans ses cheveux tandis qu'elle glisse ses doigts sous ma veste et s'accroche à mon polo.
— Tu es fatiguée Lily, il faut que tu te reposes, cette ville finit par nous rendre tous fous.
Elle sanglote encore longtemps, et je la laisse faire, les yeux fixés vers le ciel, et les étoiles illuminées par la lueur de la lune. Personne ne parle sur le parking, l'attention du monde entier est rivée sur elle et moi, deux âmes brisées qui se retrouvent dans le noir. Le son de ses pleurs disparaît pour laisser place aux rares voitures qui passent sur la nationale et les cris des oiseaux nocturnes.
— Lâche-moi, Jacob.
Je ne discerne pas son visage, mais sa voix s'est apaisée, et ses mains ont abandonné leur quête de sécurité.
Elle a retrouvé ses esprits.
Je m'exécute, plongeant mes yeux dans les siens. Une envie irrépressible de l'embrasser m'envahit, mais la haine qu'elle déverse à mon encontre me fait déchanter. Lily oscille entre des états opposés en un claquement de doigts.
Elle est malade, je le sais, mais la voir de mes propres yeux est terrifiant.
— Tu ne peux pas me traiter comme une merde devant tout le monde, et puis revenir comme une fleur, Jacob.
Sa voix se brise à nouveau, elle porte son bras à ses doigts, et se met à gratter de plus en plus fort. Je l'en empêche et prends ses mains dans les miennes, chaudes et rassurantes.
— Je suis désolé, mais ne restons pas ici, rentrons chez toi, tes parents s'occuperont de toi, et l'on en parlera demain.
Je ne reconnais pas ma voix, mon ton est presque suppliant.
— Je suis toute seule cette nuit. Mais tu as sûrement raison, elle finit par murmurer.
Elle se redresse et rejoint les autres. Alec est adossé contre la mini et peine à garder ses yeux ouverts. Nia la prend dans ses bras et la guide vers le siège passager tandis qu'Alec replace ses lunettes sur son nez et revient.

— Elle a vu un cadavre, Jacob, tu penses que c'est possible ?

Je m'amuse avec mon briquet, incapable de détourner le regard de Lily, lovée dans la voiture de Nia. Les battements de mon cœur s'accélèrent, pris dans une confusion qui m'empêche de discerner la réalité de cette nuit surréaliste.

— Je n'en sais rien, Alec. Tu connais cet endroit, on a vu des choses. Pourquoi tu l'as amenée ici ?

Je lui en veux, et il le devine au son de ma voix.

— Tu penses que je n'ai pas essayé de l'en empêcher ? Elle a trouvé dans les affaires de sa sœur un uniforme, celui des filles d'ici.

Mon cœur rate un mouvement.

— Alors ouais, elle avait envie de venir. J'ai pensé venir avec elle pour éviter de faire des conneries, visiblement cela n'a pas marché.

Je lui lance un dernier regard plein de compassion, il a l'air exténué et c'est ma faute.

— Je suis désolé pour aujourd'hui, laché-je, lutant contre l'envie de m'allumer une clope.

Alec me donne une tape sur l'épaule.

— Ce n'est pas à moi que tu devrais t'excuser, mais à elle. Je pense que tous les deux, vous avez à parler. Peut-être pas de sentiments, pas d'amour, mais il y a quelque chose entre vous. Avec tous les problèmes dans ta tête et la sienne, je pense que si vous ne parlez pas, vous allez finir par exploser.
Je retrouve le cauchemar de cette nuit funeste, où une âme fragile atteignit son point de non-retour en succombant à une overdose de médicaments. Je m'efforçais de me convaincre que la responsabilité de cette tragédie ne pesait pas sur mes épaules.

En vain.

À Clémentine Lake, l'ombre du désespoir plane sur tout le monde, laissant peu de résistance face au vertige du vide abyssal. J'étais conscient de sa fragilité, de son incapacité à discerner les frontières entre le désir charnel et les tourments du cœur, j'ai agi de manière égoïste. Il m'a même semblé, à un moment, que la passion dévorante d'une fille pour moi avait quelque chose de divertissant.

Au prix de sa vie.

— Elle est seule, reste avec elle, ne couche pas avec, mais parlez-vous. Je le ferai si tu ne le fais pas, mais on ne peut pas la laisser seule, commence Alex.

Je croise mes bras sur ma poitrine.

— Tu penses qu'on ne devrait pas la laisser avec Nia. Je ne sais pas si elle veut être avec moi.

— Nia ne peut pas dormir dehors, son père est fou. Moi, ma mère va vriller si je ne rentre pas, tu sais comment elle est.

Je le dévisage longuement.

— Tu es un drogué en réhabilitation, Alex, ne pousse pas le bouchon.

Il esquisse un autre sourire.

— Il y a ça aussi.

Puis je me rends compte d'où nous sommes, de son addiction.  Dans le passé, je ne me serais pas inquiété, mais cette nuit, j'ai une conscience, j'espère qu'elle disparaîtra aussi vite qu'elle est apparue.

— Vide tes poches, Alec.

Il roule des yeux.

— T'es pas sérieux, mec.

Je tends mes mains en sa direction et  il sort un petit sachet de sa poche.

— Tiens, sors-moi cette merde de là, crache-t-il.

Je prends le sachet, la poudre blanche, je la déverse sur le sol avant d'être emporté par la pluie.. Cette fois, je l'aiderai, il n'y plongera pas. Il est jeune, il peut arrêter, il doit arrêter.

— Prends soin d'elle, Jacob. Je ne suis pas sûr que ce qu'elle dit soit n'importe quoi.

J'aquiesse.

  

— Je sais, Alec, je sais comment est cette ville.

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