Chapitre 17 - Trou de serrure

—   Je ne veux pas en parler. Ça ne changera rien.

Je regardais Nia droit les yeux, avant de pousser la porte de ma chambre. Ma maison était complètement vide, mes parents sont sortis de ville pour la nuit. Soi-disant, ils avaient besoin de temps pour faire aux nouvelles qui concernaient Gwen. Bien sûr, laisser leur cadette sans surveillance était une bonne idée à leurs yeux. Depuis le départ de Gwen, personne ne faisait attention à moi. Parfois, ils m'envoyaient chez le médecin, ou passaient leur mine inquiète par la porte de ma chambre. Mais rien de plus.

  Arrête de t'apitoyer sur ton sort.

—   Tu n'as pas à te laisser traiter comme ça Nia.

Nia haussa les épaules, visiblement mal à l'aise

—   Tu peux prendre une douche, je te passerai des vêtements de ma sœur, je te les laisserai devant la porte. Les miens sont trop grands pour toi.

Nia sourit.  Je l'ai prise dans mes bras. Une larme coula sur sa joue creusée.

—   Merci, Lily, personne ne m'a jamais défendue.

—   Allez va, tu ne veux pas que l'ADN de cette garce s'infiltre dans ma peau.

  Je tournais des talons et elle lança une dernière phrase.

—   Je suis désolée pour Jacob aussi.

Je ne lui répondis pas, et je la regardais traverser le palier, pour rentrer dans la salle qui était celle des souvenirs, des reliques d'une vie passée. Sans m'y attarder, j'ouvris une des boites, pris un débardeur rose un peu trop moulant, et un pantalon en velours. Les deux n'étaient de loin pas le style de mon amie, mais je n'avais pas envie d'allumer et je n'avais pas envie de m'attarder dans la pièce.

Quand je revins dans la chambre, je posais les vêtements devant la porte. Je me laissa tomber sur le lit, les larmes se mirent à couler le long de mes joues. Cette journée avait été horrible. D'abord Camille, puis Olive, et maintenant Jacob.

Je pensais avoir quelque chose avec Jacob, pas de l'amour, mais une certaine amitié. Peut-être que cette île, ces deux moments volés à ses côtés m'avaient fait croire que c'était une bonne personne. Mais j'avais faux. Quand je l'avais vu se faire frapper, je m'étais précipitée à ses côtés, je ne voulais pas qu'il souffre. Puis il avait pris mon visage dans sa main, durant un court instant j'avais vu la compassion dans ses yeux, du bon, de l'inquiétude. Olive était arrivée, puis il avait disparu, et j'avais senti mon cœur se briser.

Mon téléphone se mit à vibrer, c'était lui, je restais là, un moment à le regarder. Derrière moi, l'eau de la douche collait toujours, Nia passait du temps, et tant mieux pour elle.

J'ignorais l'appel, mais le téléphone sonna plusieurs fois encore. Au bout d'un moment, je décrochais et portais le téléphone à mon oreille. À l'autre bout du fil, j'entends une respiration lourde.

—   Lily...

Sa voix se casse, je réponds.

— Jacob, ne me parle pas, si tu n'es pas apte à le faire devant les autres, ne tente pas de m'appeler maintenant.

—   Je... laisse-moi te ...

—   Non, je t'appellerais quand il faudra que l'on rende le devoir.

Je lui raccrochais au nez. Et balançais mon téléphone sur le sol. À ce moment, quelqu'un frappa à la porte. Je me levais pour déballer les escaliers. À travers le verre, je vis une forme familière et j'ouvris la porte.

Alec se tenait là, mouillé par la pluie, un triste sourire sur ses lèvres. Je le fis entrer, il me prit spontanément dans les bras.

—   Je suis désolé, Lily.

Il retira ses chaussures et se mit à gravir les escaliers. Quand lui et moi passâmes la porte, Alec émit un hoquet de stupéfaction.

—   Où as- tu trouvé ce haut, Nia ?

Elle me dévisagea, étonnée.

—   Je sais ce n'est pas mon style, mais bon ça ne me va pas si ma,l non ?

—   Où as-tu trouvé ce haut ?

Je m'avançais, les yeux pleins de curiosité.

—   Il appartenait à ma sœur, elle en a plusieurs du genre.

Alec resta bouche bée devant le débardeur.

—   Lily, ta sœur, elle était une danseuse exotique ?

Ma bouche se décolla complètement, de quoi venait-il me parler ?

—   Lily, tu ne peux pas y aller, je ne vais pas t'y amener.

Je me tournais, brûlante de rage vers Nia, sous la pluie je devais avoir l'air d'un chien mouillé. Mais si ce qu'Alec venait de me dire était vrai, j'étais loin de me laisser abattre.

—   Si tu ne m'emmènes pas, j'irais à pied. Je te jure que je vais faire une connerie.

Alec prit le bras de Nia.

—   Peut-être que l'on devrait l'amener, au moins on pourra peut-être contrôler ce qu'elle fait.

Nia roula des yeux pour ouvrir la portière passagère. Alec se glissa à l'arrière de la voiture. Nia démarra le moteur et nous partions dans la pluie.

La radio tournait sans cesse, une musique qui me tapait sur les nerfs. La voiture s'arrête devant un hôtel miteux, apparemment c'était le genre de la ville. Je me tournais vers Alec. J'avais besoin de trouver un moyen de rentrer dans cet endroit. Je ressemblais actuellement à une gentille fille qui voulait déplaire à ses parents. Mais ça je pouvais y remédier.

—   Passe-moi ton t-shirt.

Alec fit les gros yeux. Mais s'exécuta, il me passa son t-shirt Iron Maiden. Nia tourna au rouge devant son torse musclé. Elle avait raison, il était plutôt bien taillé. Je retirais ma jupe et ma chemise de cours. Alec éclata de rire. La situation était comique, nous étions tous les trois amassés dans la petite voiture de Nia. Moi en train de m'habiller de façon à rentrer dans ce qui était une boite de strip.

J'ouvris la boîte à gant de Nia, j'y trouvais un rouge à lèvres et du khôl. Je me maquillais et attachais mes cheveux en un chignon.

—   Alors ? dis-je en me tournant mes amis, ça passe ?

Alec fit les gros yeux, et Nia siffla.

La première chose que je remarquais était que j'avais incroyablement froid. Je portais seulement un collant résille, et un t-shirt trop grand, qui m'arrivait au haut des cuisses. Les deux autres me suivirent, je me disais que Nia aurait du mal à rentrer, alors elle décida d'attendre à l'extérieur avec la voiture, au cas où j'aurais besoin de partir plus vite que prévu.

Alec tapa quelque chose sur son téléphone puis le glissa dans sa poche. Il me prit par la main, et murmura à mon oreille.

—   J'espère que tu n'es pas du genre à être trop prude.

Je le dévisageais souriante et il ajouta.

—   C'est vrai, tu as couché avec Jacob.

Je lui flanquais une tape dans les côtes, il tenta de m'en dissuader. Seulement, je connaissais la vérité, dans cette ville, les flics étaient vendus. Si Gwen avait le t-shirt de cet endroit, c'est qu'elle savait ce qui se passait ici. Pire encore, cela voulait dire qu'avant sa mort elle avait un lien avec Clémentine Lake. Je me demandais si mes parents le savaient, cela pourrait expliquer pourquoi ils avaient décidé de venir ici.

Peut-être avaient-ils décidé d'enquêter sur la mort de leur fille, peut-être qu'ils étaient toujours en train de chercher ?

J'avais toujours pensé qu'ils avaient agi étrangement à la disparition de Gwen, comme si au fond d'eux même ils savaient ce qui lui était arrivé. Je n'avais jamais vu mes parents pleurer, peut-être était-ce quelque chose de normal, on réagissait tous de manière différente à la mort.

Ce fut facile de rentrer, bien sûr j'avais l'air d'une prostituée, mon attirail était digne d'une rockeuse droguée, ou quelque chose dans le genre. Quand je pénétrais dans la salle d'accueil, je découvris un autre monde, un monde que je pensais exister seulement dans les films. Les lumières étaient tamisées, teintées de rouge et de violet, mettant en valeur le corps des femmes qui se mouvaient au rythme d'une musique sensuelle. Je me tournais vers Alec, ne lui semblait pas vraiment surpris, puis je compris ; ils avaient l'habitude de venir ici.

Les murs étaient couverts d'une fausse fourrure pourpre, le genre qui fait bling-bling, et surtout le genre qui prend la poussière et les odeurs. Malgré la réglementation en règle, tout le monde fumait à l'intérieur. La salle sentait le tabac, et le cannabis. Se mélangeaient à cela des effluves corporels, l'odeur de la chair, de la sueur.

—   Quel est cet endroit ?

Alec se tourna vers moi, un sourire épinglé sur ses lèvres charnues.

—   Officiellement, ou officieusement ?

—   Les deux ?

Il haussa les épaules en dévorant une fille pulpeuse qui se le fixait. Je pris son menton entre mes doigts, le ramenant à la conversation.

—  Sur le papier, c'est un club de strip. Sinon en pratique, ici c'est le vrai cœur de Clémentine Lake.

Je fronçais des sourcils et il me tira à l'écart. Il commanda à boire au bar, à la façon dont le barman le servit, je me rendis compte d'une chose, Alec était un habitué.

—   Le vrai cœur que tu es en train de me cacher.

Il fit mine de boire le contenu de son verre, mais je l'en empêchai.

—   Je ne pense pas que cela puisse aller avec ton servage.

Il roula des yeux, mais ne poussa pas.

—   Tu penses que cette ville de merde reste vivante ? Avec ses hôtels miteux.

Alec se rapprocha de moi, son haleine sucrée me chatouillait le visage.

—  Non, cet endroit est une maison close, un hub. Là où je trouve ma came, là où Jacob a fait sa première fois. C'est ici que Victor a trouvé son flingue. C'est ici que Maëva était la nuit où elle a disparu.

Pourquoi Victor aurait-il besoin d'un flingue?

Le monde s'arrêta de tourner, je savais que des choses tournaient mal dans cette ville, mais pas à ce point, je ne pensais pas que telle était la vérité. Je repensais à Jacob et Victor, je ne savais pas quoi m'indigner. Qu'un gamin aux vingt unième siècle avait fait sa première fois avec une prostituée ou que Victor ait une arme à feu.

Je tirais Alec loin du bar, je n'avais pas envie d'attirer les clients.

—   De quoi tu parles ? Jacob, Victor et Maëva, ils n'ont rien à voir avec ce lieu.

—  Tu penses que le shérif n'est pas au courant de cet endroit ? Tu penses que les deux meilleurs amis n'ont pas vu des choses qui les ont terrifiés à jamais ? Tu penses que Jacob est né comme il est ?

Je n'étais pas prête à le plaindre, le garçon était un connard, j'avais aussi vécu des choses horribles, mais cela ne faisait pas de moi quelqu'un de mauvaise. Le temps d'un instant, je repensais à mon comportement, les choses que j'avais faites, les bonnes et les mauvaises.

Pas une si bonne personne que ça.

Je revis les ombres voler, je tentais de les ignorer. Cet endroit allait finir par me rendre folle.

—   Maëva, elle a quoi à voir avec cet endroit ?

—   Elle travaillait ici.

Je tombais dénue.

—   Elle dansait ici ?

Alec fit non de la tête, j'ai cru qu'il allait me rassurer, elle était sûrement une serveuse, rien d'autre.

—   Elle se prostituait.

La déclaration eut l'effet d'une bombe sur mon cerveau. Maëva, elle se prostituait.

—   Comment ?

—   Ses parents devaient de l'argent à quelqu'un d'important, alors...

J'eus envie de vomir.

—   Ils ont décidé de prostituer leur fille.

Alec hocha les épaules.

—   Et dire ça à la police ? Ce n'est pas dans tes plans ou quoi ?

Puis je compris, la police, elle savait tout. C'était même elle qui prenait les décisions., la conversation que j'avais surprise dans le poste de police prenait maintenant tout son sens.

—   Je vais voir ce que je peux trouver, toi tu couvres mes arrières.

Alec me prit la main, comme s'il voulait me retenir de faire une connerie.

—   Non, si ma sœur était ici, cet endroit aurait sûrement quelque chose à voir avec sa mort.

—  Tu ne peux pas faire ça, tu ne sais pas ce qui se passe dans cette ville, laisses les autres faire leur travail.

Je me détachais de son emprise. Je ne pouvais, je ne pouvais reculer, je pouvais pour une dernière fois retrouver ma sœur, je ferais tout ce qui était possible, je ferais tout ce que je peux.

—   Je vais découvrir ce qui se passe dans cette ville, je vais trouver ce qui est arrivé à ma sœur.

Je me détachais de lui pour me fondre dans la foule. J'eus l'impression de me retrouver dans un autre monde. Un monde où la chair et la violence étaient rois. Les filles dansaient, faisaient vibrer la lumière de leurs peaux sensuelles. Dans la fumée, j'avançais. Étrangement je n'avais pas l'air de ne pas être d'ici, je me fondais dans la masse. Je tentais de ne pas penser à ma sœur, à ses yeux, à son corps vendu au plus offrant.

Elle n'a pas été ici, je le sais, Gwen ne ferait jamais ça.

Mais j'eus beau chercher, je ne trouvais pas de raison qui pouvait expliquer que ma sœur avait été ici. Je regardais les hommes baver sur les corps hyper sexualisés. Je ne pus m'empêcher de penser à Jacob, à sa peau sur la mienne.

Tu n'es rien pour lui, il t'a bien prouvé ça aujourd'hui.

J'observais la salle, je remarquais qu'il y avait une porte qui menait vers l'arrière, étrangement elle n'était pas gardée. Sûrement que les gens qui fréquentaient ces lieux étaient des habitués, et ne traînaient pas dans les affaires qui ne les concernaient pas.

J'avais eu tort, quand je poussais la porte j'entendis des gémissements, les portes étaient toutes rouges, et le couloir désert, baigné dans la froide lumière des néons. J'avançais, comme si je rentrais dans un autre monde. Derrière moi, j'entendais des voix, je ne pus dire si elles étaient issues de mon imagination, ou celles des clients qui discutaient derrière des portes closes. Puis j'entendis des pas, et je me mis à courir, ouvrant la première porte qui me semblait vaguement différente des autres.

Ce fut avec joie que je découvris que j'étais dans ce qui ressemblait à un local. L'endroit était complètement noir. Je restais tapi dans l'ombre, sentant mon cœur battre à cent à l'heure, j'eus l'impression que mon cœur allait sortir de ma poitrine.

Ce fut un cet instant que je me rendis compte que j'étais une imbécile. Je m'étais infiltrée dans un repaire de criminels, des gens qui à ma connaissance étaient responsables, de près ou de loin, dedeux meurtres. Je sortis mon téléphone de ma poche. Je n'avais rien pour me défendre à l'exception du rasoir que je gardais en permanence dans ma coque de téléphone. Ce n'est pas avec ça que j'allais faire un carnage. Mon iPhone vibra, et je le mis rapidement muet. Alec était déjà en train de me demander où j'étais passée.

Je lui répondis que j'avais trouvé le couloir où tout le monde couchait, que je n'allais pas tarder à sortir.

Je m'apprêtais à sortir de ma cachette, quand j'entendis des pas se rapprocher.

Ce n'est pas possible.

Éclairée par la torche de mon téléphone, je me forçais à ne pas laisser les mauvais souvenirs me revenir. La dernière fois que j'avais ressenti la peur de la sorte, c'était la dernière nuit où Gwen avait été enlevée.

N'aie pas peur Lily, tu n'as déjà rien, ils ne peuvent pas te prendre ce que tu n'as pas.

Je trouvais un endroit derrière une étagère, et je m'accroupis, espérant que les cartons ne trahiraient pas ma présence. La porte s'ouvrit et la lumière s'alluma, je vis deux paires de chaussures, et un gros sac noir.

—   Personne ne la trouvera ici, on reviendra dans une heure la chasser.

—   Tu penses que ça suffira, je veux dire, elle n'est pas bien menue.

Je sentis mon ventre se serrer, je ne savais pas de quoi ils parlaient, mais je restais complètement tétanisée. Les yeux fermés, je retenais ma respiration.

—   Tu as vu ses cuisses, elles sont loin d'être menues.

—   J'espère que t'n'as pas joué avec, fit l'autre voix, l'autre flic est déjà assez sur notre dos.

L'autre rit, un rire méchant, un rire amer.

—   Pas pour très longtemps je te dis, l'autre va sûrement s'en occuper, c'est bientôt la fin de l'année scolaire.

—   Si vous continuez avec vos conneries on va se faire repérer, on fait ce qu'on fait pour survivre, tu n'es pas censé prendre ton pied.

La porte se ferma, je fus à nouveau dans le noir. Je restais un instant silencieux, avant de sortir de ma cachette, éclairée par la lumière de mon portable. Puis mon pied rencontra quelque chose de lourd, ce que je voulais éviter. Il y avait un sac sombre, assez grand pour porter ce qui me terrifiait le plus.

Je me penchais pour l'ouvrir, puis je vis un visage, un visage que je connaissais trop bien : Camille. Je basculais en arrière. J'étais complètement effrayée, je me mis à paniquer. Je sentis les voix revenir de plus en plus fort. Je me mis à respirer fort. Tout, c'était trop, Camille était morte, j'étais dans la même salle qu'elle. Quelqu'un était en train de nous tuer.

Ses yeux grands ouverts me fixaient d'un regard glacial, cadavérique. Sa peau était de marbre, et sa bouche barbouillée de sang, comme si elle s'était mordue en tentant de se débattre. Je revois les images de ma sœur, les images de la viande humaine que j'ai mangée.

Non, non, non.

Puis tout devint noir, et je sentis des mains me rattraper dans ma chute.

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