Chapitre 14 - Réminiscences




Mon cœur se fige dans ma poitrine. Je n'ai pas besoin de ça, pas besoin de retourner chez moi pour découvrir une voiture de police. Mes vieux n'ont pas appelé la police, je les ai prévenus que je passais la journée dehors et cela ne leur a pas posé de problème.
Ils sont ici pour autre chose.
Je reste là un moment, sous la pluie, laissant l'eau ruisseler sur ma peau froide. Les lumières des lampadaires s'allument et grésillent dans le noir. J'observe mes parents par la fenêtre du salon, toujours debout de l'autre côté de la route. L'autre, c'est le flic, celui qui m'a fait vomir devant tout le monde.
Reprends-toi
Je respire un bon coup et frappe avant de pousser la poignée. Mes parents se tournent vers moi. Visiblement, le flic à de mauvaises nouvelles, car mon père a enlevé les lunettes de son nez, signe qu'il est inquiet. Ma mère me fait signe de monter, j'exécute sans poser de questions.
La fuite est toujours la meilleure option.

Je claque la porte de ma chambre et me laisse glisser au sol. Je sors mon téléphone de ma poche pour voir une longue liste de noms sur mon écran. Rosa est en colère, apparemment la rumeur selon laquelle j'ai traîné dans un café ce matin est un affront à notre amitié naissante. Je lui envoie un vieux GIF en espérant la calmer. Rosa n'a pas l'air du genre de personne à chercher des raisons pour me faire la tête. Puis j'ouvre un message de Nia, elle fouine et continue de me bombarder de question au sujet de Jacob.

La discussion de groupe tourne autour du seul ragot dans la ville ; Jacob et moi ce matin. J'éteins mon téléphone et sors mon ordinateur. L'histoire que m'a racontée Jacob tourne en rond dans ma tête. Je ne peux m'ôter de l'esprit que le récit de Maëva et la légende sont étroitement lié. Je persiste à croire qu'il y a un lien dans la réalité, j'ai déjà entendu cette histoire.
J'en ai désormais le cœur net.
J'ouvre la barre de recherche et tape deux mots, un lieu : Clémentine Lake. Des images de la ville apparaissent et un site de Creepypasta, rien de bien concluant. Je trouve aussi un vieux Skyblog, une fille gothique qui raconte sa vie en ce maudit lieu. Elle relate les étranges faits, les disparitions, les hallucinations collectives. Je cherche les commentaires, et bien sûr, je déniche à quoi je m'attendais. Un flot d'injures, probablement les étudiants du lycée de l'époque, tous datant de 2003.
Je continue à chercher, en vain. J'ouvre Facebook et me mets à chercher les noms des commentaires.
En vain.
  Découragée, je tape leurs noms dans les barres de recherche, aucune trace d'eux sur les réseaux sociaux, aucune trace informatique. Je ferme mon ordinateur et me laisse tomber sur le lit. Au début de la décennie, les gens n'étaient pas aussi actifs sur les réseaux, ce qui explique sûrement leur absence en ligne.
N'abandonne pas.
Je reviens à l'attaque et me mets à effectuer des recherches sur chacun de leurs blogs, enfin pour ceux qui ont écrit quelque chose. Je fais un saut dans le passé, les couleurs fluos, les Converses et les skinny jeans. Les filles ont toutes les cheveux lissés et se tordent devant l'objectif de leur téléphone à clapet.
Cringe et loin d'être concluant.

Mes parents ne montent pas. Je me contente de manger une poche de bonbons pour le repas du soir. Puis je me couche entre mes couvertures et allume mon téléphone.
  J'appelle Nia, je lui demande si elle connaît quelque chose concernant la Légende de Clémentine. Elle me répond la même chose que Jacob ; une histoire pour les enfants, des histoires de fantômes. Je lui parle de l'étrange blog, et elle me promet de fouiller.
J'aurais dû éteindre mon moteur de recherche, mais j'étais une gamine. Je tape le nom de Jacob.
Son Facebook.

Je défile sur les photos de ses amis et lui, des bouteilles de bière à la main. Lui, Victor et Alec sont inséparables, comme trois frères qui ont vécu la même vie, sous différents points de vue. Jacob est le beau brun, passionné de lecture, l'esprit académique, qui refuse de l'assumer. Victor est le petit con, celui qui est beau, mais un peu vide du crâne. Alec, lui, est brisé, celui qui a vécu trop de choses horribles pour les oublier. Le plus faible de la bande, mais sûrement le meilleur.
Je reste là un moment à regarder le visage de Jacob, sa peau blanche, ses cheveux sombres, ses mèches qui épousent ses yeux sombres.
Arrête.
« Désolé, pour tout à l'heure. »
Le message s'envoie, quelques instants plus tard un message s'affiche :
« Je suis là pour toi si tu veux en parler. »
Puis, j'éteins mon téléphone et ferme les yeux.
Non.

Au cours des prochaines nuits, je ne dors pas. Je rêve de ma sœur, d'elle sur une brochette de viande. Puis, je rêve de Clémentine, mangée par sa propre mère. Je rêve d'une petite ville coupée du reste du monde par la neige et le froid. Je rêve de Jacob, de ses mains chaudes sur mon corps. Je rêve de me retrouver sur l'île avec lui. Il vient me chercher pour m'amener loin de cet endroit. Clémentine Lake est un enfer sur terre.

Je trouverai un moyen de sortir d'ici.

Lundi matin, 6 h 30, je me réveille plus tôt que d'habitude. Ma mère doit me ramener, faire une déposition au commissariat avant les cours. Je me dirige vers ma salle de bain et me fais couler un verre d'eau du robinet. Je sens que cette journée va être particulièrement longue.
Ma mère écoute la radio, moi, je reste enfoncée dans le siège de la voiture. Mais c'est elle qui cherche la conversation.
— Je suis contente de toi, Lily, malgré les problèmes, tu continues de vivre, de sortir, tu t'intègres avec les jeunes de ta ville. Gwen serait fière de toi.
Je lance un regard par la fenêtre. Gwen était l'opposée de moi. Brillante, lumineuse, exubérante, parfaite. Quand elle avait disparu, j'étais devenue une tout autre personne.
— Pourquoi sommes-nous venus ici, maman ? Je comprends que toi et papa vouliez commencer une nouvelle vie. Mais nous sommes dans le même département, c'est à peine si j'ai dû changer d'école.
Ma mère me lance un regard noir.
— Je n'ai jamais entendu parler de cet endroit. Pourquoi Clémentine Lake ?
Il y a un instant où elle semble déstabilisée, mais elle se reprend. C'est parler de Gwen qui a cet effet sur elle.
— Ton père voulait venir ici, lui et moi avions trouvé que c'était une bonne idée. Et apparemment, c'est bon pour toi. Regarde-toi, tu as l'air radieuse.
— Maman, tu oublie que je suis en route pour un commissariat de police, le lundi matin. Tu oublies aussi qu'une fille est morte, que nous l'avons mangée.
Ma mère secoue la tête et devient silencieuse. Elle stoppe la voiture, je regarde le commissariat. Je reconnais le pick-up du père de Jacob. Je repense à lui, à notre baiser, à la crise de panique qui m'a submergée. Jusqu'à maintenant, j'ai réussi à contenir mes souvenirs, à les enfermer dans une boîte. Mais samedi après-midi, tout est revenu.
J'ai eu la malchance de fréquenter beaucoup trop de commissariats au cours de la dernière année. Désormais, je n'éprouve plus rien en allant là-bas. Au contraire, je vois cela comme une opportunité. Une opportunité de jeter un œil à ce qui se trame vraiment dans le commissariat.
Le policier me propose un chocolat chaud, je refuse. Puis, il me parle de Maëva. Je lui explique avec gentillesse que je ne l'ai pas connue.
— Que direz-vous quant aux relations des élèves avec ses camarades de classe ?
Je hausse les épaules, je ne l'ai jamais vue avec les autres. Mais je lui ai dit, et il insiste.
— Les élèves du lycée de Grimheaven sont de vraies pestes. Ils couchent tous entre eux, se disputent, se battent, se droguent, commèrent.
Ma mère me lance un regard désapprobateur, mais l'inspecteur se penche sur le bureau, un regard lourd d'interrogation.
— Maëva avait donc couché avec Jacob Rossi.
J'esquisse un sourire.
— Jacob a couché avec beaucoup de monde, cela ne veut pas forcément dire grand-chose.
— Comment le savez-vous ?
Je lance un regard vers ma mère avant de continuer.
— J'ai moi-même couché avec lui.
Ma mère faillit s'étouffer et le policier tourne au rouge pivoine. Il continue de me poser des questions, puis je consulte ma montre. Je demande d'aller aux toilettes et je m'éclipse.
Je voulais initialement aller aux toilettes des femmes, comme toute personne normale. Seulement, quand je vois le père de Jacob et son collègue rentrer dans les w.-c. pour hommes, une moue inquiète sur leurs visages, je change d'avis.
Heureusement pour moi, il y a un petit vestibule entre le couloir et la salle de bain. À travers le hublot, je remarque les deux hommes, ils discutent à vive voix. Je me baisse pour qu'ils ne me voient pas, avant d'entrouvrir légèrement la porte.
— C'est la fille des Basher, je pensais qu'on avait pour l'intention de la garder loin de tout ça. Elle fouine, et c'est elle qui a apporté le flic dans la ville.
Le père de Jacob soupire avant de lui répondre.
— Ce n'est pas elle qui l'a fait venir, c'est quelqu'un qui a fait un appel anonyme, voilà pourquoi on se retrouve avec un flic d'en dehors de la ville sur les bras.
Des deux, le père de Jacob est le plus calme, composé. C'était lui qui menait la danse.
— Tu fais semblant de travailler, tu te retrouves des vieux trucs tout pétés, et tu me laisses m'occuper du reste.
— Et s'ils découvraient la vérité, tu sais très bien que les conséquences de nos actes laissent des traces.
Le père de Jacob pousse un grognement de frustration. Il sait tout, ce qui se passe, il cache quelque chose.
— Tu vas arrêter de faire l'imbécile, si tu continues ainsi, tu vas retrouver la place des autres. Crois-moi, je ne vais pas me priver.

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