Chapitre 11 - Voile de mensonge
Chapitre 11
Voile de mensonge
Je cours, ma musique dans mes oreilles. Maman est contente, je vais voir un psychiatre, en plus j'en profite pour pratiquer du sport. Dans une autre vie, je courais tous les jours, je courais des kilomètres pour me vider la tête.
La semaine a été tranquille, j'ai réussi à éviter tant bien que mal le commissariat ainsi que Jacob, bien que cela s'avère plus facile à dire qu'à faire. Les cours, quant à eux, se révèlent d'une monotonie à toute épreuve et Olive persiste à me traiter comme la peste noire.
Si seulement elle savait.
Cependant, durant les pauses, je rejoins Nia, cherchant à démêler le vrai du faux tout en tentant d'obtenir une chronologie concernant ma sœur lors de ces derniers instants de vie. En vain, car l'unique certitude que j'ai est qu'elle cachait quelque chose. Quoi et pourquoi ; je n'en ai aucune idée.
Camille, elle, me suit comme un bouchon de colle, ou plutôt, un méchant morceau de papier toilette collé à ma semelle.
Elle a entrepris un étrange stratagème : m'imiter. En l'espace de quelques semaines, elle a modifié sa garde-robe pour quelque chose de plus sombre. Camille a quitté sa mythique bonne humeur pour un ton plus monotone et cynique, comme le mien. Puis, elle change même sa calligraphie, son parfait tracé, rond, devient quelque chose de brouillon, des pattes de mouches semblables à ma propre écriture.
Je la laisse faire, sans comprendre et sans lui donner l'attention.
Jacob, lui, continue de me lancer des regards à la dérobée, sans m'approcher pendant les cours. Les soirs, il me texte et tente de me ramener en voiture chez moi. Je refuse chaque fois ; je ne veux pas tomber amoureuse, ou tenir à lui.
Puis, je ne suis pas sûre que Jacob en vaille la peine.
Je reviens à moi lorsque mes poumons m'interdisent de continuer et me piquent atrocement et que les platanes qui bordent la route commencent à trembler.
Ma forme n'est plus ce qu'elle était.
J'ai atteint ma destination, le centre psychiatrique de Clémentine Lake. L'endroit me donne envie de faire demi-tour. Il a été bâti selon le style des années quatre-vingt : en béton, décrépi et laissé à l'abandon, comme le reste de la ville. Devant, quelques carcasses d'arbre frémissent face au vent hivernal et je soupire avant de tirer le papier de ma poche.
Samedi, 11 h — Dr Galant.
Je pousse la porte, prête à affronter une partie de ma vie, les démons que je fais de mon mieux pour oublier. L'endroit pue le renfermé, plongé dans un silence complet. Les murs, eux, sont couverts de moquette grisâtre imbibée de poussière et l'odeur du tabac.
J'avance vers la réception, la secrétaire lève les yeux vers moi.
— Vous avez rendez-vous ? me demande-t-elle d'une voix mielleuse.
— Malheureusement.
Elle m'adresse un regard sombre et me fait signe de patienter dans la salle d'attente. J'y reste un moment, assise parmi les pancartes de prévention : alcoolisme, drogue, protection sexuelle, tabac.
C'est presque ironique.
Depuis l'incident avec Gwen cette nuit-là, j'ai tendance à me mettre moi-même en danger, comme en témoigne mon numéro avec Jacob. Coucher avec le Don Juan local sans protection... quelle brillante idée ? Je n'ai même pas la force de faire défiler les messages sur mon téléphone, alors je fixe la fenêtre et l'arbre mort qui frémit sur le parking.
— Madame Basher.
Je me lève pour suivre la psychiatre dans son bureau. L'endroit est mal éclairé et pue la cigarette. L'air y est lourd, gris, comme le reste de la ville. Je ne vois pas comment ils pensent que les gens iront mieux ici.
La psychiatre doit avoir une quarantaine d'années, sa peau est jaunâtre, et ses yeux cernés par de lourdes poches noires. Ses cheveux, eux, sont tirés en arrière de façon presque militaire.
— Lily Basher, c'est ça ? Ce sont vos parents qui m'ont contacté à votre sujet.
Elle ne lève pas son regard du dossier qu'elle feuillette, le mien.
— Oui, c'est ça.
J'y étais déjà tellement de fois, devant un bureau, à me faire examiner comme un animal de foire. La première fois, j'avais six ans, j'avais mordu mes camarades de classe. Puis j'avais essayé d'étouffer une gamine dans mon bac à sable. J'étais une gamine perturbée, et visiblement les choses n'ont pas changé.
Non, les choses ont pris une tournure pour le pire en grandissant. J'ai continué sur la mauvaise voie : insomnies, crises d'angoisse, mutilation, comportements à risque, la liste est longue. Puis tout à basculer. J'ai fait ma première tentative de suicide à quatorze ans. Je n'avais pas envie de mourir, juste de voir ce qu'il y avait de l'autre côté. Mes parents ont pensé que c'était leur faute, ma mère m'avait répété que ce n'était pas mon moment. Désormais, tout recommençait. Je devais m'exposer au visage d'une inconnue et la laisser tirer les vers du nez.
Je fais acte de présence uniquement.
Je ne parle pas. C'est elle qui fait toute la discussion, et je me contente de hocher la tête. Le temps passe, et je me referme, la bonne femme capitule et me donne un autre rendez-vous avant de faire signe de prendre la porte.
Je sors lentement, sous la pluie. Je me sens pire que quand je suis rentrée. J'ai passé une heure à ne rien faire, juste à ruminer. Elle ne me connaît pas, mais elle a déjà préconisé des médicaments. Je baisse les yeux sur la prescription et les noms vaguement familiers des molécules.
Plus jamais.
Alors, je froisse le papier et le jette dans une poubelle qui passe par là.
— Tu sais qu'il y en a qui paieraient cher pour des ordonnances, et toi, tu les jettes dans le caniveau !
Je veux être seule.
— Jacob, je ne savais pas que tu traînais autour de la maison des fous.
Il me sourit, il porte un polo rouge et un jean noir. Ses cheveux sont légèrement humides à cause de la pluie.
Il est magnifique.
— Cependant, toi, tu es à ta place, lance-t il ne m'étonne pas
— Charmant.
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