Chapitre 4

Fabien

La Rochelle – 14 juillet 2022, 7 h 50.

Mon mug à la main et les yeux encore embrumés, je regarde le fil d'infos défiler sans vraiment y prêter attention. Rien de nouveau sur la planète : crise économique, conflits internationaux, montée en puissance de la violence dans plusieurs grandes villes... Ce dernier article retient plus mon attention que les autres. En fin de compte, ils vont peut-être me rappeler plus tôt que prévu, non ? Ouais. Pas sûr d'en avoir envie, en fin de compte.

— Bonjour, fils ! chantonne ma mère avant de déposer un baiser léger sur le sommet de mon crâne.

Je lève le nez et esquisse un sourire tandis qu'elle s'installe face à moi. Elle m'a manqué.

— Déjà accroché à ta tablette de bon matin ?

— Disons que j'essaie de me tenir au courant de la bonne marche du monde.

— Hum, lâche-t-elle avec une moue dubitative. Le monde... Cette planète part en vrille depuis des générations. Je ne suis pas certaine que la situation s'améliore.

Ma mère et son éternel optimisme.

— C'est ce qui donne un sens à notre boulot, non ?

Elle hésite, réfléchit et, l'espace d'un instant, je ne peux m'empêcher de faire le parallèle entre elle et ma douce Lola. Une chose est sure, si elle a nos yeux noirs et notre esprit de compétition, elle n'a absolument pas hérité de la modération et du tact de ma mère !

— Entre autres, répond-elle, évasive.

Elle ne cesse de me fixer, porte sa tasse fumante à ses lèvres, puis reprend :

— Comment va ta fille ?

Et c'est parti pour l'interrogatoire maternel en bonne et due forme.

— Elle n'était pas ravie de rester à Vannes, tu l'imagines bien.

Ma mère glousse avant d'avaler une autre gorgée de café :

— Ça, j'avais cru le comprendre. Mais, c'est...

— Nécessaire. Oui, je le sais, ne t'en fais pas.

Les premières fois, j'avais toutes les difficultés du monde à confier Lola à mes ex-beaux-parents. Entre Roger qui n'était jamais là et les préjugés à la con de Laurence... Et puis, il y avait cette rancœur, tenace et stupide. Moi qui avais déjà bien du mal à laisser Lola à sa nounou, j'avais l'impression de l'abandonner en terrain hostile. C'est idiot, j'en conviens. Mais j'avais surtout une trouille bleue. Peur de la séparation, peur qu'elle ne comprenne pas... Peur de la perdre, elle aussi. Et si elle avait préféré Laurence à moi ? Mes doigts se crispent sur ma tasse et mon cœur s'emballe. C'est mon enfant. Mon bébé. Et gare à celui qui oserait nous séparer !

Pourtant... C'est ce qui a bien failli arriver. Quand Valérie a disparu des radars, je me suis effondré. Pour elle, j'avais quitté ma région, mon job, ma famille... Tout. Ouais, c'est ça, se marre le démon qui s'agite sur mon épaule. Comme si ton foutu boulot avait été l'élément le plus important de ta vie à ce moment-là ! À d'autres ! Fichue conscience. Du jour au lendemain, la femme pour qui j'avais tout plaqué m'a abandonné comme une vieille chaussette pour, je cite, « reprendre sa liberté ». Drôle de décision, à quelques jours du second anniversaire de notre fille !

La main de ma mère vient recouvrir mon poing que je n'avais pas conscience d'avoir serré.

— Fabien... Je sais que c'est dur. Mais c'est ainsi et nous n'y pouvons rien.

L'espace d'un instant, je suis tenté de l'envoyer paître. Nous ? Mais il n'y a pas de nous ! C'est mon histoire, mon calvaire ! Certes, mes parents ne m'ont pas enfoncé, mais je n'ai pas le souvenir d'avoir été choyé ou soutenu plus que de raisons durant cette période ! Je peux encore entendre les reproches de mon paternel et les soupirs de ma mère. Elle n'appréciait pas Valérie et ne s'en est jamais caché. Non, dans son esprit, c'était une autre qu'elle voyait à mon bras. Conneries...

— Et puis Lo finit toujours par se plaire là-bas, non ?

J'acquiesce d'un hochement de tête avant de saisir mon téléphone. Oui, ma Lola est bonne patte. Je ne l'ai pas élevée dans le ressentiment ou la colère.

— Tu restes quelques jours, j'espère ?

Le pouce figé au-dessus de l'écran de mon smartphone, il me faut une poignée de secondes avant de saisir le sous-entendu derrière les mots pourtant anodins de ma mère.

— Oui, bien sûr.

— Promis ?

Cette fois, une alarme s'allume dans un recoin de mon esprit. Code rouge ! On a un problème, mon adjudant !

— M'man... Qu'est-ce que tu as encore fait ?

— Rien ! rétorque-t-elle un poil trop vite pour que ce soit crédible. C'est juste que... On ne te voit pas souvent et...

Nous y voilà.

— ... Je me suis dit que ce serait une bonne idée d'avoir mes fils avec moi pour ce week-end prolongé.

Le silence qui s'abat sur la cuisine est sans aucun doute assez éloquent. Au diable les regards suppliants de ma mère ou les notifications qui s'enchainent sur mon portable. Je me fous bien du cours de la bourse, des attentats suicides ou des satanés réseaux sociaux auxquels Lola essaie de me convertir. D'un trait, j'avale mon café et me lève. Les pieds de ma chaise crissent sur le carrelage, arrachant une grimace à ma mère.

— Fabien, je...

— Je vais courir un peu, asséné-je un peu trop froidement.

Elle lève les yeux vers la pendule, fronce le nez, mais ne me retient pas. D'ici moins de deux minutes, mon père va passer la porte de la cuisine, suivant son rituel immuable. Et vu mon humeur exécrable, mieux vaut ne pas nous laisser dans la même pièce avant qu'il n'ait bu son thé – ou que j'aie couru plus de vingt kilomètres.

***

Ce que j'apprécie dans cette ville ? La tranquillité. Oui, elle peut sembler relative aux locaux quand des hordes de touristes envahissent les plages et le port. Si, jusqu'ici, c'était principalement d'Allemagne ou du Royaume-Uni que venait l'invasion touristique, ces dernières années ont vu la côte de popularité de la région exploser. De son festival de musique à son aquarium ou encore son centre historique parfaitement conservé, La Rochelle attire de plus en plus. Aussi, je ne suis qu'à moitié étonné de devoir slalomer entre les groupes de marcheurs et les familles en quête d'une activité matinale. Peu surpris certes, mais tout de même agacé. Quand, enfin, j'atteins la plage, mon humeur ne s'améliore pas pour autant. Cette fois, plus de touristes à blâmer. Ne subsistent que moi, mes longues foulées et mon ressentiment à l'égard de la moitié de ma famille.

J'aurais dû me douter que ma mère préparait une de ces réunions de famille inopinée dont elle a le secret. Et puis, quoi de mieux pour les Gantier que de se réunir en ce si beau week-end de Fête Nationale ? J'imagine déjà mon père, les fesses vissées sur son fauteuil, attendant patiemment de pouvoir admirer et commenter le sacro-saint défilé. S'il n'y avait pas la retransmission télé, je crois qu'il serait capable d'y traîner ma mère chaque année !

Au-dessus de ma tête, deux goélands planent, crient. De temps à autre, ils fondent en piqué vers la plage, pour le plus grand plaisir des quelques gamins qui hurlent de joie avant de courir à leur rencontre. Avec un demi-sourire, je songe à ce temps révolu où mon frère et moi n'avions d'autres conflits que de savoir lequel pourrait être en mesure d'approcher une mouette sans qu'elle ne s'envole.

Aujourd'hui, c'est moi qui fuis au contact de mon aîné. Trop lisse, trop fort, trop parfait : Romain est le fils dont mon père a toujours rêvé. Moi...

J'allonge encore un peu mes foulées, pousse mon organisme à son point de rupture. Mon myocarde hurle son désaccord. Mes muscles menacent de se tétaniser. Hors de question de ralentir ou de renoncer. Ce Fabien-là n'existe plus.

Ou du moins, c'est ce dont j'aimerais me persuader. Parce qu'il a suffi d'un mot malheureux, d'un regard de travers, d'une onomatopée de mon père pour faire ressurgir le gamin rebelle. Mon enfance, mon adolescence puis mon entrée dans la vie adulte : toutes les étapes de ma vie ont été façonnées par le regard sans concession du colonel. Tel un pantin sans cervelle, j'oscille entre envie désespérée de lui plaire et volonté farouche de m'affranchir. Je n'ai de cesse de lui prouver ce que je vaux, enchaînant prises de risques idiotes et décisions irréfléchies. Joli tableau.

Il m'aura fallu vingt-cinq ans pour prendre du plomb dans le crâne. Vingt-cinq longues années, mais aussi un bébé, une rupture et une profonde dépression. Et au passage, tu as foutu en l'air la plus jolie histoire de ta vie. Fantastique palmarès, Gantier !

Cette fois, j'abdique. Les mains calées sur mes genoux, j'essaie tant bien que mal de retrouver mon souffle.

— Merde ! bougonné-je, en tentant de ne pas cracher mes poumons sur le sable mouillé.

Affronter mon père, tenir tête à Romain, passe encore. Mais je crois que c'est l'image d'une certaine brunette qui me retourne l'esprit depuis hier. Anastasia.

Une fois ma respiration plus régulière, je me redresse, étire mes bras, puis mes jambes et, en quelques pas, rejoins les rochers les plus proches. Je choisis le plus élevé, me laisse tomber sans aucune grâce. Lola te dirait que tu vieillis, mon pote. Oui, sans doute. Et Anna, elle dirait quoi ? J'inspire profondément, ferme les yeux, juste un instant, avant de les rouvrir pour admirer la marée montante.

Anastasia Lambert. Ma plus belle erreur.

Jusque-là, j'avais réussi à l'occulter. Elle n'était qu'une chimère merveilleuse, une réminiscence d'un passé révolu que je pouvais aisément enfouir dans les tréfonds de mon cerveau. Mon exil dans le Sud de la France avait cet avantage certain : rien ne me rappelait notre passé commun. Ici, en revanche...

Pourquoi a-t-il fallu qu'elle ressurgisse ainsi ? Elle aurait pu devenir médecin, avocate ou, j'en sais rien, moi, diplomate ! N'importe quoi qui l'aurait tenue éloignée de moi.

— Oui mais moi, ce sont les livres que j'aime, clame-t-elle avec emphase.

— OK. Mais ça n'empêche pas de faire de son mieux en maths.

Mon ton se veut léger et taquin. Malgré tout, mon estomac se tord quand une larme dévale le long de sa joue. Juste une perle d'eau, à peine plus grosse qu'une tête d'épingle, qu'elle balaie d'un revers de la main.

— Anna...

Je lève la main, hésite, la laisse retomber. Ma jolie brunette renifle, essuie son visage d'un geste rageur et m'offre un sourire à faire pâlir le soleil.

— Ouais, ouais. C'est bon. Réexplique-moi.

Ce que j'aime le plus chez elle ? Sa ténacité. Elle ne se laisse jamais abattre, refuse de baisser les bras. Pourtant, à sa place, d'autres auraient déjà craqué. Pas elle. Pas Anastasia. Et je ne parle pas de ce devoir idiot sur lequel nous planchons depuis bientôt une heure.

— Si tu veux qu'on arrête...

— Non !

Trois petites lettres crachées avec une pointe de désespoir dans la voix. Jolie Anna...

D'un geste rageur, j'envoie valser le galet que je tripote depuis cinq bonnes minutes. Toute cette histoire ne devrait plus m'atteindre. J'ai fait ma vie, elle, la sienne. Qu'est-ce que j'imagine ? Qu'elle se languit de moi, plus de dix ans après ? Connerie ! Je n'étais qu'une passade, une stupide toquade et rien de plus. Combien de fois ai-je pensé à elle durant la décennie écoulée ? Trop pour être normal. Pas assez pour avoir tenté de la recontacter. Pour lui dire quoi, de toute manière ? Salut, c'est Fabien. Je ne sais pas si tu te souviens de moi, mais je suis le type qui aurait donné sa vie pour toi avant de tout gâcher... Mouais. Bof.

Un cri d'enfant suivi d'un éclat de rire me ramène à la réalité. Un coup d'œil jeté à ma montre m'apprend qu'il n'est pas loin de 9h45. Si je veux donner un coup de main à ma mère et être présentable avant l'arrivée de monsieur Perfection, je vais devoir lever le camp. Je pousse un soupir, me redresse avant d'étirer mes bras au-dessus de ma tête. À petites foulées, je rejoins le sentier littoral et reprends mon jogging en direction de la maison.

Au diable mes souvenirs doux-amers. Je me dois d'être celui que ma famille souhaite, au moins pour le week-end. Après tout, qu'est-ce qu'il peut bien m'arriver de pire que de lire la déception sur le visage de mon père et le dédain sur celui de mon frère ?

Je n'aurais pas dû venir. C'était une idée débile.

Tout le bénéfice anti-stress de mon jogging matinal s'envole au moment où je tourne à l'angle de la rue de mes parents et aperçois une Tesla flambant neuve garée dans l'allée gravillonnée. Son Altesse Romain est donc arrivée. Que le lynchage commence !

Je ralentis, cherchant en vain à retarder l'instant fatidique où je vais devoir me confronter à mon aîné. Le souffle court, en sueur et passablement énervé, je m'arrête quelques mètres avant la boîte aux lettres, cale mes mains sur mes genoux et rive mon regard au sol. Tu peux le faire, bordel. T'es plus un gosse.

— Tontoon ! crie une voix suraigüe.

Merde. Grillé.

Affichant un sourire de façade, je me redresse et avise la jeune femme qui se précipite à ma rencontre. Aussi blonde que Lola est brune – si on exclut les mèches arc-en-ciel qui strient son carré plongeant –, de grands yeux clairs et affublée d'une tenue sans doute non validée par son père, Manon sautille vers moi avec un enthousiasme inégalable.

— Merde, j'ai bien cru que tu nous ferais faux-fond cette année encore !

Elle se jette à mon cou, se fichant visiblement de mon état de crasse avancé.

— Wow, doucement, me marré-je en l'enlaçant à mon tour. N'oublie pas que je suis un vieux croulant.

— Arrête ! T'as de bons restes, abuse pas.

Elle se recule, me détaille de la tête aux pieds avant de poursuivre :

— Ouais enfin... Ton short, là, c'est no way. Il date du siècle dernier. Lo te laisse sortir comme ça ? Ça me troue le...

J'inspire, ravale un rire mal venu. Si Lola n'a pas sa langue dans sa poche, Manon est l'archétype même de l'impertinence. La faute à l'éducation psychorigide de mon frère selon moi. Malgré tout, j'essaie de ne pas encourager ce trait de caractère, si précieux selon moi. Manger ou être mangé ? Nos filles seront du côté des prédateurs et cela suffit à me rassurer. Du moins, pour l'instant.

— Ton père sait que tu dis autant de grossièretés à la minute ? l'interromps-je.

Ma nièce roule des yeux de manière théâtrale.

— C'est bon. J'ai plus huit ans.

Je me garde bien de lui rappeler qu'à cet âge, déjà, elle n'était pas des plus polies. Combien de fois Sandrine et Romain se sont disputés à ce sujet ?

Avec le bas de mon t-shirt, j'éponge mon visage, puis mon cou. Manon glousse, passe son bras sous le mien et murmure :

— Évite de faire des trucs comme ça devant Séverine ou tu vas t'attirer les foudres du paternel !

J'ouvre la bouche, sur le point de protester, quand la principale intéressée apparaît dans l'allée.

— Manon Gantier ! s'époumonne-t-elle. Tu pourrais au moins... Oh.

À ces mots, je lâche mon maillot, accordant soudain une grande valeur au conseil avisé de ma nièce.

Séverine Girardot, la nouvelle future madame Gantier, a tout pour plaire. Trente-trois ans, une silhouette à faire pâlir d'envie la moitié des femmes de cette rue et un regard de braise : il n'en a pas fallu plus pour qu'elle piège mon frère dans ses filets. Malheureusement, il n'est sans doute pas le seul à être dans sa ligne de mire. Mais ça... Je crois qu'il est bien le dernier à s'en rendre compte.

— Salut, Fabien, minaude-t-elle en glissant une mèche de cheveux derrière son oreille.

— Bonjour, Séverine.

Romain et moi avions déjà des rapports compliqués avant son divorce. Mais l'arrivée d'une nouvelle femme dans sa vie a achevé de nous diviser. Alors peu importe que je sois à peine poli avec sa fiancée : il m'en voudra, quoi que je fasse.

Cette dernière ne semble pas se formaliser de mon manque de chaleur humaine. Oubliée, la valise que Manon aurait dû l'aider à porter. Elle papillonne des cils, nous offrant un grand numéro de séduction dont elle a le secret.

— Je ne savais pas que tu serais des nôtres ce week-end. C'est une supeeerbe nouvelle !

Toujours accrochée à mon bras, Manon soupire et marmonne quelques jurons. D'un mouvement de coude, j'enjoins ma nièce à se taire. Inutile de jeter de l'huile sur le feu : sa relation avec Séverine est bien assez compliquée comme ça.

— Ouais. Pour une fois que ton planning de ministre correspond à celui de la famille, raille Romain depuis le seuil de la maison.

Cette fois, c'est moi qui étouffe un grognement contrarié, juste avant de retrouver mon sourire commercial. Pense à maman. Fais un effort.

— C'est pas toujours simple et...

— Je sais, j'te charrie !

Sans prévenir, il s'avance vers moi et abat sa grande main sur mon épaule, dans un geste qui se veut fraternel. Je ne vacille pas – plus maintenant – et me contente de lui tendre ma paume.

— Eh beh. S'il y a une chose qui ne change pas, c'est ton sens des relations humaines. Repos, soldat ! T'es pas en faction, tu peux te détendre, hein ! Manon, donne donc un coup de main à Séverine.

Je profite d'une minute d'inattention de Romain pour me faufiler dans la maison et monter les escaliers quatre à quatre. J'attrape quelques vêtements à la hâte, investis la salle de bains. Ce n'est qu'une fois la porte refermée que je m'accorde le droit de souffler. Et de pester.

Accepter de passer tout un week-end ici était une mauvaise idée. S'il n'y avait eu que les reproches de mon père, j'aurais tenu le choc. Or, cette fois, il s'agit de composer avec la perfection faite homme qu'est mon aîné, les regards un peu trop appuyés de sa nouvelle conquête et la mauvaise humeur de Manon qui cherchera à faire de moi son allié. Merci, Laurence ! Brillante idée que de me priver de Lola durant cette épreuve. Elle aurait détourné l'attention de mes parents et distrait sa cousine.

Je laisse l'eau chaude ruisseler le long de mes muscles endoloris. Les mains calées sur la faïence et les yeux rivés sur le siphon, j'essaie de faire le vide dans mon esprit. Ce n'est qu'un week-end, merde ! Personne ne te demande de jouer les fils prodigues. Juste d'être là pour ta mère et d'endurer la présence de ton frère. Est-ce trop demander ? Sans doute.

Au moment où je ferme le mitigeur, la sonnerie de mon téléphone retentit, m'arrachant un sourire. Au lieu du traditionnel Linkin Park, voilà que c'est Imagine Dragons qui s'époumone pour me notifier un appel.

— Petit démon, me marré-je en imaginant Lola changer la musique à mon insu.

Par contre, lorsque je découvre le nom à l'écran, je perds mon envie de rire. Mince. Je ne l'avais pas vu venir, celle-là.

L'espace d'une seconde, je suis tenté d'ignorer l'appel. Elle connaît les règles et sait à quel point je déteste être pris au dépourvu. Je lui avais pourtant dit...

— Allô ?

— Fab ? C'est moi.

Un « je sais » peu amène me brûle les lèvres. Je me contiens, essayant par la même de m'entraîner à ne pas perdre mon sang-froid.

— Je sais que nous avions convenu de ne pas téléphoner durant le week-end mais... Comme ta fille n'est pas là, je me disais que nous pourrions...

Sa façon de marcher sur des œufs m'attendrit quelque peu.

— Je ne suis pas chez moi.

— Oh.

D'une simple onomatopée, elle laisse échapper toute sa déception. Elle n'est pas responsable de ce désastre annoncé.

— Je t'appelle sitôt que je rentre. OK ?

Je mets fin à la communication sans attendre sa réponse. À quoi bon ? Je sais qu'elle ne me refusera rien. Aimable ou pas, poli ou parfait connard, je suis toujours le bienvenu dans la vie d'Elsa. Parfois, je culpabilise. Elle mérite une vraie relation, un homme disponible et prêt à faire des projets. Un homme comme Romain, fiable et sérieux, qui n'a pas peur de l'engagement. N'importe qui... sauf moi.

— Fabien ! crie ma mère depuis le bas de l'escalier. On t'attend, le défilé va commencer !

Merde. J'en aurais presque oublié leur rituel à la con.

— J'arrive !

J'enfile mes vêtements, passe mes doigts dans mes mèches encore humides en fixant mon reflet dans le miroir. Mes cheveux sont trop longs, mes cernes, trop marqués. Aurais-je dû me raser ? Hum. Oui, peut-être. De toute façon, le colonel Gantier trouvera à redire sur mon allure ou mes faits et gestes.

Il faudrait un miracle pour que je ne sois pas la cible privilégiée de ses remarques désapprobatrices.  

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