Chapitre 4 - Double flèche

J'ai décidé de mettre une citation amérindienne, au début de chaque chapitre, parce qu'ils sont les mieux placés pour exprimer ce que j'essaye maladroitement de transmettre...

" La deuxième paix est celle qui se crée entre deux individus, la troisième et celle qui soude deux nations. Mais au-dessus de tout cela il vous faut comprendre que la paix ne sera pas possible entre les nations tant qu'on ne sera pas convaincu que la véritable paix – comme je l'ai souvent dit – se trouve au cœur même de l'âme humaine ". Black Elk (Chef Sioux)

Lila

Chayton,

Je ne sais pas si tu peux me lire encore, mais je garde espoir, même si ce temps sans avoir de tes nouvelles, des nouvelles de ta maman aussi, est insupportable. Sora manque tellement à ma mère, si tu savais. Tu te rends compte, elles s'étaient rencontrées à un enterrement. Qu'est-ce que l'on a pu rigoler quand elles nous ont raconté cette anecdote !

Le truc improbable, en général, tu crées des liens au boulot, dans des soirées, à des mariages, mais nos mères étaient uniques. J'aurai tellement aimé connaître ta grand-tante, Mme Blake, la remercier d'avoir mis sur sa route sa nièce Sora et sa nièce de cœur...

Je sais que ton peuple à complètement rejeter les nouvelles technologies, alors, certes, tu connais ma colère à ce sujet. J'aurai tant aimé pouvoir continuer à communiquer avec toi. Bientôt un an que je te pose inlassablement les mêmes questions : qu'est-ce qu'il se passe Chayton ? Pourquoi tu ne peux plus m'écrire ? Est-ce-qu'il t'est arrivé quelque chose de grave ? A toi ? À Sora ? J'ai été encore devant l'épicerie, j'ai guetté des heures, les hommes de ta tribu viennent parfois faire leurs courses pour la réserve. Il achète peu et de plus en plus rarement.

Dans tes premières lettres, tu me disais que vous aviez beaucoup de travail. Que votre but était de pouvoir vous nourrir avec ce que la terre vous donne. J'imagine que vous avez réussi à créer de magnifiques potagers, que vous chassez et cueillez à bon escient.

Bref, je m'égare ! Comme toujours d'ailleurs. Donc, je voulais te parler des nouvelles technologies. Finalement, vous avez raison, il faut les éliminer. Tu te rends compte, je me suis fait trahir par Google home ! Ok, si tu me lis, tu dois te demander ce que je raconte. Je te parlerai de cette rencontre improbable, mais pas maintenant, c'est trop tôt pour dire quoi que ce soit. Pour l'instant, j'ai juste envie de débrancher Google Home et d'éviter de croiser Jayden Bennett !

Sinon, depuis que mes parents sont partis en vacances avec Kate, depuis que je me retrouve seule, c'est-à-dire, à peine quelques heures... Je n'arrête pas de penser à ma famille biologique. J'aurai tellement besoin de tes conseils. Quelquefois, j'ai l'impression de trahir mes parents, juste en pensant à eux. Et parfois, je me dis que j'aimerais en savoir plus. Savoir d'où je viens ? Comment une femme peut en arriver à abandonner son bébé ? Comment mes parents, surtout ma mère, se sont retrouvés avec un enfant si jeune ?

Je sais, je sais, tu me dirais qu'il faut que je leur pose ces questions, qu'ils n'ont jamais refusé de répondre. Tu rajouterais qu'Ash et Sofia sont les meilleurs parents qu'ils soient, après les tiens bien sûr... Mais je ne sais pas, j'ai l'impression de ressentir une crainte, une peur, une tristesse dans leurs yeux. Une appréhension de ce jour où j'oserai enfin franchir le pas.

Mince, je dois te laisser, ma pause est finie depuis cinq minutes. J'ai passé la matinée à suivre un joueur de golf en tant que Caddie ! Porter leurs sacs et leurs clubs est un jeu d'enfant maintenant, heureusement, le temps a permis qu'il ne pèse plus vingt kilos, merci mon Dieu. Étant une des rares à avoir accepté ce travail ingrat, l'oncle de Stacy a bien expliqué aux membres que j'apprendrai vite les bases, à ses côtés, pour leur donner le club adéquat.

Et sincèrement mes autres missions sont plus sympas et à la portée de tous. Je dispose d'une lunette pour mesurer et donner les distances au golfeur. Quant au reste, je ne m'en sors pas trop mal. Ratisser les bunkers, nettoyer les clubs et les balles, remettre et replacer le morceau de gazon arraché des fairways et des greens, le divot je crois ?! Tenir le drapeau et le retirer et bien entendu, veiller à l'hydratation de ces braves gens. Avec le petit service en plus, je les conduis dans leur petite voiturette. Oui, toi aussi, tu trouves que c'est un peu de l'assistanat, mais que veux-tu ? Plus tu as de l'argent et plus tu payes pour des services dont tu n'as pas besoin, c'est bien connu.

Je te vois déjà me dire : « mais, pourquoi t'infliges-tu cela ? ». C'est très simple, me retrouvait à servir au club les dames sirotant leur cocktail sans alcool ou me retrouver à l'accueil du spa à plier les serviettes, très peu pour moi. Je retarde ces moments. On nous a bien précisé que nous devrions être polyvalents. Et bientôt, nous pourrions noter sur nos CV, notre immense qualité : la polyvalence ! C'est le nouveau truc à la mode. La polyvalence ou l'art de faire croire que tu fais beaucoup de choses, mais au final, tu fais surtout peu ton travail et mal le reste. Ou la jolie manière de cautionner et de nommer : le glissement de tâches...

En tout cas, je vois le fait de travailler au « Double Arrow Lodge » comme un signe. Tu sais que deux flèches signifient le lien amical dans les légendes amérindiennes ! Ne viens pas me parler du mythe de Cupidon et du lien affectif, s'il te plaît ! Puis, la signification n'est pas forcément métaphorique, hein ! Une flèche, c'est avant tout une arme pour se protéger, voila...

Bref, je m'égare encore. Et, tu adorerais cela, c'est ce qui me manque le plus. Nos échanges et non mes monologues littéraires... J'espère vraiment voir arriver une lettre ou un pigeon voyageur, un jour !

Ta fidèle amie, Lila.

Je rangeai mon carnet dans mon sac. Cette histoire de cahier et stylo connectés était surréaliste, il devait sûrement y avoir une explication et cela aussi, c'était une de mes priorités. Je sortis de la salle réservée au personnel. Ils avaient mis quelques tables, une petite kitchenette et des fauteuils relax. Mes collègues venaient rarement ou sinon vraiment quelques-uns, juste le temps de manger. Stacy avait choisi d'être serveuse au bar/restaurant, -tout est polyvalent maintenant, même les lieux-, nous avions donc nos pauses en décalées.

J'arrivai à la boutique de golf où l'oncle de Stacy était responsable depuis de nombreuses années. Maddox m'accueillit avec un large sourire.

– Je n'arrive toujours pas à croire que tu aies accepté ce poste-là, s'étonna-t-il. Même les gars n'ont pas bougé ! Et ma Stacy n'aurait jamais consenti non plus.

– Finalement, J'ai trouvé la matinée plutôt cool. L'homme que j'ai suivi était peu loquace, mais indulgent. Il me demandait à l'avance quel numéro de club lui préparer. Puis ce calme, cette tranquillité sur le parcours, je ne voyais pas du tout ce sport comme cela. Un vrai havre de paix.

Les vacanciers et les membres du club étaient en train de finir leur déjeuner. Nous avions un peu de temps devant nous et il me raconta naturellement l'histoire du complexe de vacances et du country club. Je connaissais Maddox depuis toujours et j'appréciai beaucoup le quadragénaire, aux cheveux bruns, mais à la barbe abondante, parsemée de gris. Je me rendis compte qu'il avait pris quelques kilos. La mère de Stacy devait déjà être sur le coup, pour expliquer à son frère combien une bonne hygiène de vie était primordiale. Ah, les apparences...

– Jan Boissevain un talentueux cavalier, a acheté le ranch et il lui a donné le nom de son cheval : « Double Arrow Lodge ». Sa jeune épouse est morte en couches, mais il a poursuivi son rêve de construire des lodges pour accueillir des vacanciers, commença Maddox.

Je repensais à ma propre mère biologique, certaines rêvaient de donner la vie et la perdaient, quand d'autres décidaient de confier leur bébé à des inconnus...

– En 1932, pendant la grande Dépression, les Indiens sont venus vers le Col de Jocko afin de trouver refuge. Pour Monsieur Boissevain, ils avaient largement le droit d'utiliser la terre comme ils l'avaient toujours fait. La cohabitation se passa très bien d'ailleurs.

– Une belle histoire d'entraide et de partage, ajoutai-je.

– Oui ! Au début, les Indiens le trouvaient différent, un drôle d'accent, des manières parfois étranges, mais avec le temps, il est devenu pour eux : « le grand patron de Bell ». Puis, les cuisines qui avaient servi pour la royauté, ont été également utilisées pour des centaines de bûcherons sans emploi, qui logeaient dans les cabanes de Boissevain. Tu vois un peu le personnage !

Il poursuivit son récit, le regard passionné.

– La seconde Guerre mondiale a été fatale pour l'économie du Ranch. Il a dû vendre, après quelques années de dur labeur, le ranch de travail n'était pas rentable. Il avait même essayé d'en faire une station de ski, t'imagine !

Je souris à cette anecdote. Cela ne m'étonna même pas. On pouvait voir les chaînes montagneuses de chaque hectare du club.

– Après de nombreux propriétaires, les derniers acquéreurs sont six couples de la région de Seattle, qui ont racheté le Lodge, en 1989. Aujourd'hui, ils ont essayé de garder l'âme de Boissevain qui continuait à venir en vacances. Le « Double Arrow Lodge » a pu être rénové. Une cuisine de qualité et de saison est proposée depuis de nombreuses années. Le parcours de golf a vu le jour en 1994. Il a la particularité d'être un des plus difficiles du Montana. Le complexe a gardé son âme « rustique et luxueuse », avec un parcours rude et pittoresque qui fait le charme de ce lieu paradisiaque.

– On sent tout l'amour que tu as pour cet endroit unique. Tu devrais arrêter de donner des cours et devenir le commercial, voire le gérant des lieux ! Depuis le temps que tu travailles ici.

Maddox ricana à ma requête, pourtant j'étais on ne peut plus sérieuse.

Au même moment, un couple d'une cinquantaine d'années, entrait dans la boutique. Ils saluaient immédiatement l'oncle de Stacy qui proposa mes services. Je passai une excellente journée en compagnie de ce charmant ménage.

J'avais tout le loisir d'admirer le mont Swan à l'Est du Montana et les montagnes de Mission à l'Ouest. Les immenses collines et les pins de Ponderosa offraient également un calme absolu. J'avais bien besoin de ces instants pour moi, car j'en étais sûr, Jayden Bennett finirait bien par venir troubler la plénitude des lieux, avec ces jacassements incessants. Je soupirai un grand coup à cette idée. La gracieuse golfeuse, qui était pile devant le trou numéro dix-huit, se retourna amusée vers moi. Mince, j'avais fait trop de bruit. Les golfeurs entendraient une mouche voler !

Le soleil commençait à se coucher, chaque trou du parcours avait sa particularité, mais l'arbre du drapeau final, sous un ciel orangé, était à présent mon préféré.

Le lieu "Double Arrow Lodge" existe vraiment, lors de mes recherches je suis tombée sous son charme, et sur sa magnifique histoire. Seeley Lake est vraiment un lieu magique ;) !

Merci pour vos votes et commentaires, j'espère que ce chapitre vous plaira, à bientôt !


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