Chapitre 12 (2-2) : "Ce n'est pas la destination mais la route qui compte"
Le paysage défilait devant mes yeux, mais je ne voyais strictement rien. Jayden sûrement lasse de mes silences avait lancé un livre audio.
— Tu es le mec le plus bizarre que j'ai jamais rencontré, marmonnai-je.
— Quoi ? Il y a une règle qui dit qu'en voiture on peut seulement écouter de la musique ou les mêmes informations en boucle sur la radio ?
Il inspira un grand coup et tenta tout de même de se justifier.
— Je n'ai pas le temps de lire.
— On a toujours le temps, si on s'en donne les moyens.
— OK, tu as gagné, en fait je suis incapable de me concentrer sur quelques lignes sans m'endormir. Même si j'adore l'histoire. Lire me fait dormir direct ! se confia-t-il.
— Non, sérieux, même pas une page ? Tu as essayé les récits pour enfants, genre « Tchoupi va sur le pot » ou « Petit Loup ne veut pas dormir » ?
Son visage s'assombrit, merde, j'avais commis une gaffe.
— Ma mère les lisait à mon frère ça durer des heures, il en souhaitait toujours plus...
Il sourit enfin. Qu'est-ce qu'il le rendait nostalgique, l'évocation de son frère ? De sa mère peut-être ?
— Bref, même celles-là, je dormais avant la fin !
— Ma petite sœur est pareille, impossible à arrêter, je pense qu'elle va faire carrière dans le commerce, genre présentatrice du télé-achat 2.0. De trois histoires tu arrives facile à six, ni vue ni connue, elle t'embrouille.
Nous passâmes le début du trajet à parler de nos familles. Jayden vouait un amour inconditionnel à ses proches particulièrement son grand frère. Son aîné n'avait pas le même père, ce fut sa seule confidence. Selon les mots qu'ils employaient, il semblait parfois qu'il était l'aîné de la fratrie. Comme si Junior devait absolument être protégé. Pour moi, parler de Kate paraissait si facile, si naturel surtout ces jours-ci. Ma sœur me manquait indéniablement. Ses minuscules bras serraient fort contre mon cou étaient une vraie dose d'adrénaline. Ma came à moi. Au bout de quelques anecdotes sur nos proches, je retournais dans mon petit monde.
Il pointa son doigt vers moi en appuyant dans le vide de manière circulaire.
— Non, mais qu'est-ce que tu fais ?
— Tu t'es remis dans ta bulle. Je tente de trouver l'entrée.
Je haussai les épaules. Il pouvait toujours essayer. Ce n'est pas une carapace, c'est une armure de hérisson, qui s'y frotte s'y pique.
— Et s'il n'y avait pas d'entrée ? Et s'il existait qu'une sortie pour y accéder il faudrait que je veuille vraiment l'ouvrir. Et tu es mal barré !
Je réfléchis à mes propos, aux siens aussi ! Au double sens, échangé... Irrécupérable !
— Non, mais sérieux, cette histoire de bulle, d'entrée de sortir, franchement Jayden !
Il leva rapidement les mains en signe d'innocence.
— Quoi ? Mais je n'ai rien dit, enfin rien de conscient, c'est ton interprétation ! Après je reste prêt à attendre, pour la bulle. Et si tu le veux bien pour dormir avec toi aussi...
Incurable, avant un dernier coup de coude dans ses hanches, je retournai aussitôt dans ma peau de hérisson pour ne plus jamais en sortir !
Plus nous nous rapprochions de Bellings, plus les nombreuses maisons, magasins, m'oppressaient. Les villes devenaient irrespirables. Lors de ces deux mandas, Joe Biden avait tant bien que mal essayé de jouer le jeu face à la crise climatique. Des terres amérindiennes avaient été rendues aux autochtones afin de laisser les principales concernés sauver ce qui pouvait encore l'être. Les années écoulaient et les crises sanitaires, économiques prenaient également le dessus. Chaque pays s'isolait un peu plus, faisant croître les partis les plus extrémistes.
Dans un silence absolu, Trump avait fini par revenir au pouvoir, aider par les réseaux sociaux et l'impassibilité qu'ils créent. En quelques années, cet homme réussit à autoriser une loi, lui permettant d'être réélu plusieurs fois. Autant en Russie, malgré le sort réservé aux résistants, des gens s'insurgeaient. Autant aux États-Unis sa politique de repli sur soi, de peur de l'autre et de l'étranger lui avait permis d'accroître sa puissance et d'y être bien ancré, sans aucune protestation. Sauf quelques rebelles bien au chaud derrière leur écran, pas grand-chose à dire sur eux.
Cet homme était prêt à tout, de la pure folie. Et pourtant une partie extrêmement égoïste de moi-même en voulait au chef de la tribu de Chayton. Est-ce que c'était vraiment ça la solution ? Est-ce que le repli sur soi face à un monde à la dérive pouvait être envisageable ? Est-ce que nous ne devions pas être tous unis contre ces menaces plutôt que divisés ? Je chassais rapidement ses idées de mon esprit, qui j'étais pour penser cela. Avais-je déjà éprouvé un seul instant le racisme ? La pauvreté ? Une phrase du livre de Jayden m'interpella et me sortit de mes tourments.
« L'espoir est le combustible que les hommes brûlent pour pouvoir vivre. Impossible de vivre sans espoir. Mais c'est comme une pièce qu'on jette en l'air. Pile ? Face ? On le sera quand elle sera retombée, pas avant ».
Finalement, ces mots faisaient autant écho aux choix des Amérindiens, comme un dernier espoir pour continuer à vivre. Mais également à ce qui m'attendait à Bellings. Quelle espérance avais-je dans ces retrouvailles ? Juste le désir de savoir, de comprendre ? Ou l'espoir d'être peut-être aimé par ce père biologique ? Mais qu'est-ce que j'allais trouver ? Pile ? Face ?
Jayden coupa le moteur et me sortit de mes pensées. Il resta un instant pour finir le chapitre de son bouquin « 1Q84 » de Haruki Murakami. Je n'allais sûrement pas lui dire, mais ce livre était désormais dans ma PAL.
— Une chambre commune ou deux chambres ?
— Non, mais tu es réellement sérieux là ? rétorquai-je.
Ce mec vit dans un monde parallèle comme dans son roman, je ne voyais pas d'autres explications !
— De toute façon, j'ai réservé une suite avec deux chambres, précisa-t-il, tout fier de lui. Comme ça si jamais tu changes d'avis ! Nous devrions toutefois partager la salle de bain et le petit salon.
J'abdiquai facilement, même si l'idée de devoir partager quoique ce soit avec lui ne m'inspirait rien de bon. Il était maintenant presque vingt-deux heures et tout ce que je souhaitais c'était me reposer avant d'affronter la journée de demain.
L'hôtel changeait du côté rustique de notre cher ranch ! Les deux chambres se faisaient face séparées par un mini salon, un bureau et un accès à une terrasse... Et bien entendu la salle de bain. Heureusement, on y parvenait par le salon, pas de portes communes dans les chambres donnant sur la salle d'eau ! Juste le temps de me poser, le room service nous apportait notre repas. Jayden m'avait accompagné dans ce périple, c'était la moindre des choses que de manger ensemble. On s'installa sur la table de la terrasse. Je soupirai sans m'en rendre compte.
— Tu regrettes de ne pas avoir choisi une chambre commune, demanda-t-il.
Il avait allongé ses jambes sur le rebord de la fenêtre et jubilait de sa réplique.
— Si tu es si en galère que ça, tu sais qu'ils ont créé des applications qui vont droit au but maintenant. Plus de faux semblant, c'est quoi déjà le nom : « rencontre d'un soir », quoiqu'il aurait pu faire plus simple : « tirer un coup en moins de 5 min ».
Il entoura son cœur de ses deux mains. Jayden touchait ! On aura tout vécu !
— Tu me blesses, Lila, je ne suis qu'amour !
— Qu'un lourd oui, marmonnai-je. Je m'indignais face à la pollution nocturne, et je n'évoque pas de tes nuits solitaires, hein ! Je parle bien évidemment du ciel, impossible de voir une étoile ici ! Pollution lumineuse si tu préfères...
Il resta silencieux un instant, se rassit également.
— Tu es plus docile d'habitude le soir... Je vais mettre ça sur le compte de la fatigue et de ce qui t'attend demain. Et nous aurons plein d'autres occasions de regarder encore les étoiles ensemble ne t'en fait pas, conclut-il, sans perdre son mordant.
Je me disais aussi, c'était trop beau pour être vrai. J'engloutis un succulent moelleux au chocolat, je n'allais pas me coucher sans une dose de sucre et pour rester honnête trouver le sommeil aller être difficile. Jayden avait rejoint ses appartements. J'installai mon carnet et mon stylo sur la table basse du salon, mit une chaîne de musique et fila vite fait à la salle de bain.
Mon retour fut spectaculaire lorsque je surpris Jayden, assis sur le canapé, en train d'écrire sur une feuille avec mon stylo ! La serviette qui me servait de sèche-cheveux tomba net, heureusement, j'étais sortie déjà habillée pour la nuit.
— Jayden ! hurlai-je, repose ce stylo tout de suite !
Il sursauta et se leva d'un bond, tenant d'une main son bout de papier et de l'autre mon stylo plume. Pris la main dans le sac restait un euphémisme. Il avait l'air le plus suspect au monde. Vu ma tête ahurie, il me tendit le stylo immédiatement. Les cheveux en vrac devaient vraiment foutre la trouille.
— Je suis désolé, marmonna-t-il, je te l'ai juste emprunté un instant, je n'arrivais pas à dormir.
Tout s'enchaîna très vite, qu'avait-il écrit ? C'était la seule chose qui m'obsédait à cet instant, sachant que Chayton pouvait le consulter à distance...
— Donne-moi ce papier aussi !
Il fit non de la tête. Impossible ! Il était nécessaire, même vital que je lise cette feuille.
— Qu'est-ce que tu as écrit ? insistai-je, furax.
Nous continuions à nous faire face, aucun de nous deux ne bougea, la tension demeurait palpable et rien de sexuel cette fois-ci ! Il semblait mal à l'aise surtout. J'essayais de respirer calmement, mince, ce n'était peut-être rien, il avait sûrement inscrit un truc insignifiant que je pourrais facilement expliquer à Chayton. Merde, merde, merde, j'allais devoir parler de Jayden maintenant, quoique tout dépendait de ce qu'il y avait de consigné sur ce qu'il tenait fermement dans sa main.
— Il n'y a rien d'écrit, clarifia-t-il.
Mes muscles se relâchèrent, j'étais sortie à temps et j'avais évité le pire.
— Je n'écris jamais, en fait quand j'ai une feuille et un stylo à porter de main, dans ce cas précis, le papier à lettres de l'hôtel et ton... bref, je ne peux m'empêcher de réaliser des graffitis.
— Sérieux, tu as fait un dessin ? Et pourquoi n'as-tu pas pris le stylo de l'hôtel ? demandai-je, étonnée par sa réponse.
— Bah, l'encre se trouve plus épaisse avec le tien... bon, puis ce n'est pas un dessin, mais des mots, enfin des lettres ! Tu n'y connais vraiment rien en graffiti !
— Tu as taqué Jayden ?
Ce mec était entrain de me rendre dingue ! Chayton allait croire que pendant son absence, je m'étais mise à arpenter les rues et à faire des graffitis lors de sorties nocturnes clandestines.
— Je ne sais pas pourquoi ça à autant d'importance pour toi. Mais bon, OK, tiens. Heu, pour ma défense, je m'inspire de ce qui me traverse l'esprit et en ce moment, on se voit beaucoup.
Il passa ses mains dans ses cheveux, Jayden gênait vraiment ! Je pris sur-le-champ la feuille et malgré l'originalité des lettrages, je reconnus immédiatement mon prénom, écrit sous plusieurs formes et formats. Jusqu'à là, j'aurais pu le gérer, mais à côté, il y avait les mêmes graffitis avec le prénom de Jayden un peu partout aussi. Bon, je gérerais ça plus tard... trop épuisée pour écrire à Chayton maintenant. Et sûrement émue de voir mon prénom aussi joliment écrit...Nous nous fîmes face un long moment, son regard changea, la lumière tamisée donner une autre ambiance le calme revenu.
— Tu sembles troublé, pour être honnête, tu me plais et pour l'instant je parviens à contrôler les fois ou je meurs d'envie de t'embrasser. Là, je gère encore tu vois, mais je te préviens par avance. Il y aura un autre jour, un autre regard, un autre sourire et là, je ne serai pas sûr d'y arriver, se confia-t-il.
Je ne pouvais pas, non aucun neurone de mon cerveau n'était connecté à ce moment-là. Il ne me restait qu'à botter en touche.
– Qui dit encore « tu me plais » ? Franchement, Jayden...
Il sourit et abdiqua lui aussi pour ce soir.
— Il faut que je cesse de regarder des romances avec ma petite cousine, Meily a une très mauvaise influence sur moi. Et pour ta gouverne, en Corée du Sud, une phrase comme ça et elles craquent toutes !
Il s'arrêta et me fixa un instant.
— Tu as encore ton sourire de Duchenne, tant que je le verrais, je serais là pour toi...
Je balbutiai un bref bonne nuit, rassemblant mes affaires, faisant tomber la moitié et fila dans ma chambre sous le regard amusé d'un Jayden attachant. Et m'attacher à quelqu'un n'était en aucun cas quelque chose d'envisageable ! Seule, dans mon lit, je commençais à douter que le lieu de notre destination demeurait la chose la plus importante, est-ce que la route parcourue avec Jayden ne me touchait pas autant ? Mince, la nuit me rendait vraiment trop vulnérable !
Salut ! La suite du chapitre 12, j'avais déposé ces quelques mots sur un carnet pendant mes vacances ! Je dépose ça là... Merci pour vos retours, je sais que vous voulez pour certaines connaitre la suite ou surement les grandes lignes de ce tome 2 ! J'essayerai de poursuivre de temps en temps, comme je le fais là...
Bonne journée à vous :)
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