Chap 20 : Entre cicatrices visibles et blessures invincibles

JAYDEN

"La guérison n'est pas un processus linéaire. C'est une danse entre l'ombre et la lumière." – Proverbe amérindien

La tranquillité de ma chambre d'hôpital était étouffante, presque trop calme. Les lumières tamisées jetaient des ombres sur les murs blancs, créant une atmosphère lourde, presque claustrophobique. Chaque soir, ce silence accentuait ma solitude, un vide que je n'arrivais pas à combler. Et chaque soir, mes pensées me ramenaient là-bas : à l'accident. Je revoyais tout, encore et encore.

Le grondement du moteur, si proche, qu'il résonnait dans ma poitrine. Le cri de Lila, déchirant, rempli de terreur et d'impuissance, me hantant comme une mélodie obsédante. Puis l'impact... La douleur, violente, aveuglante, traversant mon corps comme une décharge électrique. C'était plus qu'une douleur physique, c'était l'écho d'une vie brisée. Je regardai ma main dans l'ombre. Elle tremblait encore, comme si elle portait la mémoire de cet instant. Une lésion du plexus brachial droit. J'avais perdu la motricité fine de ma main. Mon rêve de devenir chirurgien en cardiologie ? Évanoui. Je rangeai ma main sous les draps. Lila ne devait pas savoir. Elle avait déjà assez souffert.

Puis, le chaos. Le ciel qui tournait au-dessus de moi, le goût métallique du sang dans ma bouche, le froid du bitume me frappant de plein fouet. Mais ce n'était pas cela qui me poursuivait encore. Non. C'était son visage. Les yeux de Lila, écarquillés par la peur, reflétant cette souffrance partagée. Et ma mère... elle était devenue une ombre mutique depuis l'accident, rongée par la culpabilité et le désespoir. Comment avait-elle pu en arriver là ?

Ces souvenirs ne me laissaient aucun répit. Ils me serraient, m'étreignaient dans l'obscurité, m'empêchant de trouver la paix. Chaque nuit, je revivais cette scène, comme un film dont on ne peut pas couper la projection. Et chaque matin, la même question : pourquoi ?

Pourtant, malgré tout, une lueur persistait dans cette obscurité. Lila. Elle apparaissait sans prévenir, brisant ma solitude de manière obstinée. Une semaine entière qu'elle venait me voir. Une semaine à ignorer mes silences et à rester, comme si elle portait une partie de ma douleur.

Je ne voulais pas d'elle ici. Ou du moins, c'est ce que je prétendais. Car à chaque fois qu'elle s'éloignait, je ressentais un vide grandir en moi, comme si elle emportait avec elle le peu d'air qui me maintenait en vie.

Allongé là, cloué à ce lit, incapable de bouger, une pensée me traversa. Si Lila n'avait pas été là... Si elle avait écouté mes refus, si elle m'avait laissé dans ma solitude, où serais-je maintenant ?

Je soupirai, les dents serrées. La gratitude était amère, une douleur supplémentaire. Parce que je détestais avoir besoin d'elle. Mais je ne pouvais pas ignorer la réalité. Elle était là, mon ancrage dans ce chaos. Ma lumière, dans cette nuit sans fin. Mes paupières se fermaient enfin, le poids de la fatigue m'étreignant. Mes pensées se dispersaient. Et dans cet entre-deux, je m'imaginais entendre sa voix. Douce, rassurante. Finalement, le sommeil m'emporta.

Le lendemain matin, un bruit léger me réveilla. La porte de ma chambre s'ouvrit, et la lumière qui pénétra dans la pièce me fit plisser les yeux. Lila entra pour me saluer. Cette voix, douce, mais pleine de cette obstination que je connaissais si bien. Lila. Mon cœur se serra malgré moi. Je fermai les yeux, espérant chaque matin qu'Anita la renverrait, qu'elle comprendrait que je voulais qu'on me laisse tranquille. Mais non, une semaine que ces deux-là s'entêtaient...

Quand j'ouvris les yeux, Lila était toujours là, debout près de la porte, un sourire léger aux lèvres. Je me tournai immédiatement vers Anita, cherchant encore à fuir cette confrontation.

— Anita, je ne veux toujours pas de bénévole, dis-je, ma voix plus dure qu'intentionnelle.

Anita haussait un sourcil, son sourire taquin accentuant sa réponse.

— Oh, vraiment ? Et qui va t'aider à te déplacer à tes séances de kinésithérapie ? Ton charme irrésistible ?

Je sentis mes joues rougir, mais je tentai de garder mon calme.

— Je... je peux me débrouiller seul, murmurai-je, une ironie évidente dans mes mots. Parce que, clairement, rester allongé dans ce lit en était la preuve.

— Jayden, avec tout ce que j'ai à faire, crois-moi, je ne vais pas refuser de l'aide pour tes beaux yeux. Lila sera là pour t'aider. Que ça te plaise ou non.

Je n'avais rien à répondre. Elle avait déjà pris sa décision, comme toujours. Anita m'aida à me préparer et sortit, me laissant seul avec Lila. Je me sentais piégé. Pris dans un coin comme un animal acculé.

Elle s'approcha, d'un pas mesuré, avec cette douceur que je détestais. Douceur qui, paradoxalement, me faisait mal. Parce que je n'en avais pas besoin. Parce que c'était moi qui me devait d'être là pour elle, la protéger, l'aimer et j'en étais maintenant incapable.

— Pourquoi es-tu encore là ? lâchai-je brusquement, ma voix glacialement distante.

Elle parut déstabilisée, mais ce ne fut que l'instant d'une fraction de seconde. Rapidement, son sourire taquin reprit le dessus.

— Eh bien, j'ai entendu dire que cet endroit avait la meilleure nourriture de l'hôpital, répondit-elle avec un haussement d'épaules. Et qui suis-je pour refuser la meilleure purée/jambon du coin ?

Je la fixai un moment, entre le désir de la repousser et la tentation de rire face à sa légèreté. Finalement, un rire amer m'échappa, incongru, presque désespéré.

— Fais ce que tu veux, Lila, mais ne t'approche pas trop. Il ne manquerait plus que tu te mettes à me faire la toilette.

Son rire emplit l'air, résonnant dans la pièce. Une chaleur s'en échappait. Et pour une seconde, c'était presque trop... Trop proche. Trop nous.

— Ne t'inquiète pas, répondit-elle. Je laisse ça aux professionnels. Je suis juste là pour la nourriture. Promis.

Je détournai le regard, cherchant à cacher l'agitation intérieure que sa présence provoquait. Elle avait cette capacité irritante à franchir mes barrières, à perturber mon espace, comme si elle voyait au-delà de mes défenses. Je ne voulais plus qu'elle souffre et encore moi à cause de moi.

Mais, en dépit de la colère qui bouillonnait de la savoir si têtue, malgré la douleur qui me rongeait à l'idée de la voir encore pleurer, quelque chose en moi s'accrochait à elle. Une étincelle d'espoir, aussi ténue soit-elle. Parce qu'au fond, malgré tout ce que je lui avais dit, sa présence était mon ancrage. Et je savais, même si je refusais de l'admettre, que je n'étais pas aussi seul que je voulais le croire. Mais surtout qu'elle était plus forte que ce que je pouvais penser.

Elle m'avait d'ailleurs gentiment accompagné dans la salle de rééducation après avoir pris mon petit-déjeuner. L'air de l'endroit était glacial, presque aseptisé, chaque respiration m'apparaissant douloureuse dans cet environnement qui n'était qu'un rappel constant de ma faiblesse. La douleur dans mes muscles semblaient une épreuve supplémentaire, comme si l'hôpital tout entier voulait me rappeler chaque jour que je n'étais plus celui que j'avais été.

Le kinésithérapeute était parti depuis un moment, et je me retrouvais seul, face à mes limites. Mais aujourd'hui, elle était là, Lila. Ma gorge se serra en la voyant, un mélange d'agacement et de désir de la fuir. Fuir, pfff, j'en étais physiquement incapable. Son regard me brûlait, et cette chaleur, je la voulais autant que je la détestais. Je n'avais pas besoin d'elle ici. Pas maintenant. Pas alors que chaque mouvement me faisait souffrir.

Je tentai de redresser mon corps pour faire un exercice supplémentaire. Chaque geste semblait être un défi insurmontable, chaque centimètre gagné une victoire et une souffrance. Mon visage se crispa sous l'effort. Je sentais mes muscles se tendre, chaque fibre hurler sous la douleur. Mais je refusais de m'arrêter. Je devais le faire, je ne pouvais pas me laisser abattre. Pas devant elle.

— Jayden, tu devrais faire une pause, dit-elle doucement, sa voix comme une caresse, mais chargée de cette inquiétude que je détestais voir dans ses yeux.

L'entendre parler me surprit et sa présence m'envahit instantanément. Je secouai la tête, l'air plus déterminé que jamais, mes dents serrées contre la douleur qui tordait mon corps. Ici au moins, elle voyait tout mon corps trembler et pas seulement ma main droite... Elle ne devait pas savoir. 

— Je peux le faire, répondis-je d'une voix tendue, presque un murmure, comme si je voulais convaincre non seulement Lila, mais aussi moi-même que j'étais encore maître de cette situation. Mais la vérité, c'était que je n'étais plus maître de rien.

Lila soupira doucement. Elle savait que je n'accepterais aucune aide. Elle n'insista pas, mais elle s'assit près de moi. Trop près, à mon goût. Trop proche. Je pouvais sentir sa chaleur, son parfum léger se mêler à l'odeur antiseptique de la salle, et cela m'irritait. Je ne voulais pas qu'elle me voie comme ça, brisé, vulnérable, chaque mouvement me tirant des grognements de douleur que je ne pouvais pas réprimer.

Elle ne pouvait rien faire de toute façon. Elle ne pouvait pas m'aider à exécuter les exercices. Mais elle était là, et je détestais avoir besoin d'elle. Un silence pesant s'installa entre nous, le genre de silence où chaque respiration, chaque souffle devient plus lourd. Les seuls bruits qui brisaient cette quiétude étaient les gémissements de douleur qui m'échappaient malgré moi et les bruits de ma respiration, courte et sifflante.

Je continuai de m'efforcer de bouger, mes muscles en feu, mon bras et ma jambe encore valides tremblants sous l'effort. La sueur perlait sur mon front, coulant sur mes tempes, mais je refusais de m'arrêter. Il fallait que je continue. Je n'avais pas le droit de faiblir devant elle. Je la sentais encore, là, à regarder chaque mouvement de mon corps avec cette attention que je ne voulais pas. Chaque répétition était une torture, et pourtant je continuais. Parce que je n'avais pas le choix. J'aurais du m'arrêter, mais la douleur physique était plus supportable que tout le reste.

— Tu es incroyable, Jayden, murmura-t-elle enfin, sa voix brisée par une émotion que je ne comprenais pas.

Je m'immobilisai, son regard m'atteignant comme un coup de poing dans le ventre. Un instant d'hésitation. Elle ne savait pas. Elle ne comprenait pas à quel point c'était difficile. À quel point je ne voulais pas qu'elle soit là, qu'elle me voie dans cet état. C'était trop intime, trop fragile. Mais en même temps, il y avait cette chaleur dans ses mots, dans son regard, qui me faisait une place dans un monde où je n'étais plus que douleur et solitude. Et cette place, encore plus prés d'elle, j'avais tellement de mal à la laisser.

Je tournai lentement la tête vers elle, mes yeux s'embuant sous l'effort, mais aussi sous l'émotion. Une lueur de gratitude, mais aussi d'angoisse, y brillait. C'était la première fois que je me sentais aussi exposé, aussi vulnérable. Et je n'avais aucune idée de ce qu'elle pouvait voir en moi à ce moment-là.

— Merci, répondis-je.

Un silence lourd s'abattit entre nous, mais ce n'était ni un silence de confort ni de partage. C'était un silence de conflit, un champ de bataille intérieur où je me débattais avec mes propres contradictions : ce besoin viscéral de sa présence, et cette conviction obsessionnelle qui me criait de la tenir à distance.

Elle me regardait, longtemps, sans juger, sans exiger quoi que ce soit. Ses yeux semblaient chercher au-delà de ma façade, là où se cachait une vérité que je refusais de formuler. Peut-être savait-elle déjà. Peut-être avait-elle lu, dans le poids de mon regard, la lutte que je menais contre moi-même. Mais ce qui m'effrayait le plus, bien plus que sa persistance silencieuse, c'était cette lueur de douceur dans ses yeux. Une douceur qui ne demandait rien mais qui promettait tout.

Je sentais mes défenses vaciller, et cette absence de résistance m'effrayait plus que je ne voulais l'admettre. Parce que, malgré tout, je savais que je n'avais pas le droit de la faire souffrir. Pas encore. Pas après tout ce qu'elle avait déjà traversé. Je l'avais vue ce reconstruire une fois, je ne voulais pas être celui qui la détruirai à nouveau.

Être loin de moi, c'était ce qu'il y avait de mieux pour elle. Du moins, c'est ce que je continuais à me répéter, comme un mantra destiné à me convaincre. Mais au fond de moi, une petite voix, fragile et insistante, murmurait une autre vérité : et qui j'étais moi pour décider ce qui était le mieux pour elle ?


Hello, j'écris la suite depuis quelques temps, pourquoi pas la poster... bientôt la fin de ce premier jet! Une belle fin d'année à ceux qui passent encore par ici ;)







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