Chapitre 4- (1-2) Je n'ai jamais...
Le lendemain, la fine lumière du jour me réveilla. Je m'étirai longuement, aie ! Mon corps était une simple et unique courbature à lui tout seul. J'allais marcher comme un canard toute la journée. Merci, Darkness, trop adorable. J'avais quand même dormi d'une traite, bon une douche bien chaude s'imposait. Je vis le carnet sur ma table de chevet et ne pus résister à l'envie de l'ouvrir instinctivement, sachant qu'il n'avait sûrement rien écrit de plus entre hier soir et ce matin. Mais la curiosité l'emporta. Les autographes se trouvaient bien là, vestiges prouvant que je ne rêvais pas. Puis en tournant la page, je lisais ces mots :
« When I fall in love » lorsque je tombe amoureux.
« It will be forever » Ce sera pour toujours
« Cause i'll never ever fall in love again » parce que je ne tomberai plus jamais amoureux...
« There will be no other » Il n'y aura pas d'autre...
C'était son écriture, je l'avais immédiatement reconnue. Si j'étais en train de passer un électrocardiogramme, le choc de ma découverte apparaîtrait sur le papier blanc. C'est grâce aux notes de partition rédigées au brouillon à côté des paroles que je devinai que c'était un texte de chanson. J'attrapai mon smartphone et je tapai spontanément ses écrits sur Google. Bingo ! La chanson appartenait bien à un groupe de reggae : The Skatalites. OK, je comprenais mieux pourquoi il avait couché sur le papier ces paroles, c'était bien un refrain... Bref, il avait écrit ! Peu importait, il aurait pu mettre noir sur blanc la liste de ses courses ! Il se servait à présent de mon stylo et par je ne sais quel mystère de la vie, ce même stylo avait la possibilité d'écrire à distance sur mon cahier. Comme s'ils étaient connectés. Il y avait des choses qui nous échappaient, des choses qui ne possédaient pas nécessairement d'explications... Et, j'étais si contente qu'il ait écrit, que je ne me posai pas plus de questions que ça pour ce matin.
Je pris rapidement une douche, chaude, et me préparai pour ma deuxième initiation à l'équitation, combattre le mal par le mal. Je me retrouvais forcément en retard. Isaac avait tellement parlé de la fameuse falaise, que tout le monde souhaitait aller se baigner là-bas. Seuls les plus âgés et Ash partirent très tôt. C'était un plaisir de retrouver Darkness. Pendant notre balade, Emily avait prévu du canoë sur le lac avec les plus jeunes. Ash me salua rapidement, comme à son habitude quand il y avait d'autres personnes. Ses changements d'humeur semblaient pires que les miens. Je revoyais ces mots : « When i fall in love, it will be forever ».
Il avait peut-être une copine ? C'est vrai finalement, j'avais complètement occulté cette éventualité. Il avait vingt-trois ans, il était beau... Je souris en repensant à ce surnom qu'il me donnait : la lune descendante ! La fille aux mille et un scénarios oui ! Si je ne faisais pas plus attention, je pouvais passer mon temps à faire défiler le film de mon imagination. Pour couronner le tout, la journée commençait bien : Valentina ne lâchait pas Juan et je ne saurais pas dire qui de Naomi ou Isaac se cramponnaient à l'autre. Et le peu de fois où mon traître de meilleur ami que j'adorais s'adressait à nous c'était pour imiter le canard... Je n'étais pas la seule à avoir mal partout, vivement demain que nous nous vengions des moqueries de Juan. Il aurait lu aussi une démarche de cow-boy et Valentina également, pour mon plus grand plaisir ! Quoi, nous n'étions pas obligés d'aimer tout le monde, hein ! Ni nous de plaire à tous.
Bien, je me retrouvais seule entre moi et moi ! Je fis exprès de me tenir en fin de file afin d'esquiver les humeurs d'Ash. Ainsi que les pensées sur sa potentielle copine et surtout éviter la vue plongeante sur sa musculature. Même de dos, c'était mieux pour mon petit cerveau en ébullition. Au pire, j'éprouverais l'expérience d'avoir vécu les multiples changements hormonaux de l'adolescence ! Merci Ash.
Arrivé sur place, on donna à boire aux chevaux avant de s'installer sur les rochers. Un sentier menait à la falaise, mais il fallait marcher un peu pour y accéder. Valentina ne voulait pas participer et il était hors de question pour moi de rester avec elle. Tant pis, j'allais devoir les suivre.
— Ça va aller ? m'interrogea Ash.
Je n'étais pas en sucre non plus !
— Oui, oui, je souhaite simplement découvrir la vue d'en haut.
J'étais pétrifiée, mes mains commençaient à devenir moites.
— Tu ne désires pas sauter ?
— Non, j'ai encore des choses à vivre, je n'ai que dix-sept ans, tu sais.
L'ironie toujours là pour vous sortir d'affaire. C'était un petit coup bas, vraiment petit. Il me balançait bien son amour en pleine figure, je pouvais faire de même avec ma jeunesse !
Les garçons l'interpellèrent tout excités et lui posaient des milliers de questions sur la hauteur de la falaise et s'il en existait d'autres de plus hautes dans le coin. Une vraie obsession.
Finalement, je ne regrettai pas d'être montée, vêtue d'un simple maillot deux pièces avec des imprimés colorés, turquoises, roses et blancs, le soleil me réchauffait la peau et je m'assis sur un rocher à l'écart. Le paysage demeurait renversant, un pur bonheur. Juan se lança le premier en poussant un long cri en direction de Valentina, elle était bien trop loin pour l'entendre. On la voyait au loin, étendue sur sa serviette en train de bronzer. Naomi et Isaac décidèrent de sauter ensemble. Ash suivit de près, en prenant la peine de me jeter un regard discret. Je ne me rendis pas compte du nombre de fois où ils remontaient le chemin aux anges, essoufflés, mais heureux comme des gosses, ni le nombre de fois où ils réitéraient leurs plongeons. Jusqu'au moment où Ash rejoignit seul l'allée.
Une fois seule, je m'étais rapprochée du bord, pour imaginer l'effet que cela pouvait faire. Je sentis une poussée d'adrénaline, est-ce que j'en étais capable ? Je revoyais le visage d'Alejandro et les maintes occasions où il avait pu réaliser des trucs aussi fous et dans certains cas bien pires. Ma raison reprenait les rênes.
Ash se racla la gorge pour me signaler sa présence.
— Ils étaient crevés de remonter à chaque fois et Valentina commençait à s'ennuyer seule. Je suis revenu te chercher, m'expliqua-t-il.
J'apercevais au loin mes amis chahuter dans l'eau, profitant de chaque instant. Comme l'aurait fait mon frère.
— Sofia ? m'interpella-t-il.
— Il ne sautera plus jamais d'une falaise, m'entendis-je prononcer à haute voix.
Je le sentis s'approcher davantage.
— Qui ça ? Qui ne sautera plus jamais ?
Je percevais son inquiétude, je n'aurais pas dû dire cela, je le connaissais à peine.
— Mon frère, susurrai-je.
Sa main effleura la mienne, un afflux de sensations me submergea et ce geste rajoutait une multitude d'émotions et un nouveau pique sur l'électrocardiogramme ! Je ne me sentais pas encore prête à parler d'Alejandro, il le comprit, enfin, je pense. Il ne me questionna plus.
— Mais toi, tu peux, suggéra-t-il.
Je l'observai puis posai mon regard sur nos doigts entrelacés, c'était la sensation la plus douce qu'il soit.
— Je ne crois pas non.
— Alors saute avec moi Migina.
Est-ce que j'en étais capable ? Peut-être avec lui, oui, même si quelques instants plus tôt, je n'aurai jamais eu le courage d'agir.
— Tu réfléchis trop.
— J'ai peur Ash, murmurai-je en le scrutant gênée.
Je ne voulais pas qu'il remarque que j'étais déstabilisée. Je sentais mes défenses tombaient et cela m'effrayait d'autant plus. Son regard bleu acier posé sur moi, il se trouvait si près que je pouvais voir des paillettes dorées parsemer ses yeux. Il n'avait toujours pas lâché ma main et je ne lui en aurais pas donné le droit. Il demeurait patient, je me sentais en sécurité.
— Je sais, on a tous peur. Souffle plusieurs fois, fais-toi confiance, fais-nous confiance.
Il prit mon autre main, on se retrouvait face à face. Je pense sincèrement qu'à ce moment-là, j'aurais pu accepter n'importe quoi. J'inspirai et expirai. Il avait raison, la peur demeurait encore là, mais moins intense.
— Avec toi...
Il sourit, c'était suffisant pour moi, lui aussi avait confiance en moi, enfin, je crois. Il m'approcha de lui délicatement, je posai naturellement ma tête sur son torse nu, ses poils cuivrés par le soleil chatouillaient ma joue. Son torse... est-ce que j'avais besoin de préciser qu'il était musclé, juste ce qu'il fallait ? J'avais l'impression de me retrouver à ma place, là où je devais être. Je le sentis se crisper un instant, est-ce qu'il n'aimait pas ça ? Puis, il poussa un léger soupir, ses muscles se détendirent aussitôt.
— On y va à trois... Un, deux, trois, chuchota-t-il, comme pour ne pas briser ce moment.
Je fermai les yeux très fort et m'accrochai à lui tout autant. Est-ce que je profitais de la situation ? Bien sûr que oui ! Je sentis mon corps entier entrer en contact avec l'eau tiède de ce mois d'août. Il avait réussi à ne pas lâcher ma main, on remonta à la surface le sourire aux lèvres. Comme si plus rien ne comptait. Il me serra plus fermement contre lui chassant la distance que le saut avait créé entre nos deux corps.
— C'était inimaginable, avouai-je enfin, les yeux écarquillés.
La chute, lui, nous, tout...
Il me contempla un long moment sans rien dire, tourmenté par un dilemme insurmontable. Il laissa tomber son attention sur mes lèvres, m'étreignit plus fort. Il se trouvait si près. Je pouvais voir de petites taches de rousseur sous son regard charmeur que je n'avais jamais remarquées. Le poème de Lamartine me vint en mémoire : « Ô temps ! Suspens ton vol, et vous, heures propices ! Suspendez votre cours : laissez-nous savourer les rapides délices. Des plus beaux jours... ».
— Hé merde, murmura-t-il.
Il pressa sa bouche humide contre la mienne, je fermai instinctivement les yeux, comme si le fait de le repousser demeurait inenvisageable. Ses lèvres étaient douces et plus charnues que je ne pouvais l'imaginer. Nous étions, seuls, lui et moi. Si le saut restait génial, ce baiser était intense et passionné. Il passa sa langue entre mes lèvres et là, s'il ne me tenait pas fermement, j'aurais pu littéralement flotter de bonheur. Après ce qu'il me parut quelques secondes inoubliables, il se recula brusquement, je restais étonnée !
— Je suis désolé, Sofia, je n'aurai jamais dû...
Il était désolé... Comment pouvait-il s'excuser aussi vite ? N'avait-il rien ressenti ? J'avais pourtant l'impression que ses yeux brillaient davantage. Je ne regrettais rien, je l'aurais fait bien avant lui si j'en avais eu le courage.
— Putain, c'est moi l'adulte des deux ! Bon sang !
— Ash...
— J'en avais envie, depuis quelque temps, mais... mince, j'aurais dû attendre que cela vienne de toi, continua-t-il tourmenté par un tas de questions.
La seule chose que je compris, c'est qu'il y avait pensé avant aussi, je lui plaisais, je ne pus m'empêcher de prendre son visage dans mes mains.
— Embrasse-moi Ash, fredonnai-je.
J'étais sûr de moi, mais un silence commença à s'installer et je perdis cette confiance. Il resta un moment à me regarder. Les silences interminables d'Ash ! Tu réfléchis trop ! Puis il secoua rapidement la tête comme si cela allait l'aider à retrouver la raison.
— Tu ne sais pas ce que tu dis. Et je ne peux pas, enfin...
Les mots inscrits sur le carnet me revinrent en mémoire... Une copine, cela ne pouvait être que cela évidemment. Il ne regrettait pas pour notre écart d'âge, notre différence de statut, mais parce qu'il était amoureux et il ne pourrait plus jamais l'être avec personne d'autre...
Je plongeai rapidement pour m'éloigner le plus vite possible même si mon esprit se trouvait toujours près de lui. Mes larmes coulaient et heureusement elles se mélangèrent à l'eau claire du lac. Je n'avais plus pleuré depuis le décès de mon frère, voilà ce que ça faisait quand on baissait les armes. Je nageai un long moment, m'enfonçai légèrement dans les profondeurs de l'étang. Plus je descendais, plus l'eau demeurait fraîche, juste assez pour glacer mon cœur et ainsi éviter qu'il ne se brise.
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