Chapitre 14 - (1-2) Dilemmes


Je dormis mal dans un lit de compétition, c'était bien ma veine. Nous partîmes sur les pistes après avoir pris un copieux petit-déjeuner. Ash ne me quitta pas un instant. Il avait retrouvé son sourire et se montra toujours aussi patient avec moi. Quand nous arrivâmes en haut, je ne la menais pas large, malgré les nombreuses phrases d'encouragement d'Ash et du groupe, j'observais la piste et les skieurs débutants la dévaler avec une certaine appréhension.

— Le cheval, le saut de falaise, les descentes en canoë, le camping sauvage, des randonnées pour manger et maintenant le ski, murmurai-je.

Il me regarda toujours avec son sourire moqueur.

— Pourquoi je me retrouve systématiquement dans des situations extrêmes quand tu es là ?

— La vie ne se vit pas dans les livres Migina.

— Tu es sûr d'avoir vraiment perdu la mémoire ?

Il resta surpris.

— Non, parce que j'ai l'impression de t'avoir déjà entendu me dire ça ! Bref, non franchement, Ash, amuse-toi. Je vais tranquillement aller sur une terrasse et boire un chocolat chaud et garder toutes les parties de mon corps intactes.

Il rit et s'approcha de moi. Je ne pouvais détacher mes yeux des siens.

— C'était comment de monter à cheval ou le saut de la falaise ?

Je répondis instantanément.

— C'était inimaginable...

Je me souvenais de la première fois que j'avais eu cette sensation, après ce moment avec lui en haut de la falaise. La chute et l'arrivée dans ses bras, tout était inimaginable avec lui.

Il sourit.

— Tu as confiance en moi ?

Je fermai les yeux un instant et repensai à la suite...

— J'ai confiance en nous...

Les mots m'étaient sortis dans un murmure, est-ce qu'il l'avait entendu ? Son regard était si intense. Je me lançai encore une fois vers l'inconnu et cette sensation apparaissait à nouveau vraiment inimaginable.

Après un court repas sur les pistes, nous avions passé le début d'après-midi à rire comme des gosses. J'avais chuté plus d'une fois, je l'avais entraîné dans mes dégringolades sans faire exprès et en faisant exprès, cela va de soi !

Vers quatre heures, Chelsea souhaita réaliser une pause, quant à Damon et Tyler, ils étaient d'accord pour dévaler la piste noire. Ash ne voulait pas me quitter, j'étais touché par son attention, il restait prévenant, c'était plaisant, mais combien de temps cela pouvait bien durer ? Avec Ash tout semblait possible.

— Ash, profite avec eux vraiment. Je vais enfin pouvoir boire ce fameux chocolat chaud dont tu me prives depuis des heures.

— Tu es sûr ? En fait, j'aime bien skier avec toi, c'est...

— Marrant ?

— Marrant oui, ironisa-t-il en souriant, et rafraîchissant, donc j'insiste pour rester avec toi.

Tyler et Damon qui assistaient à la scène se lançaient des regards complices.

— Ash, s'il te plaît, je ne veux pas que tu passes ton week-end sur la piste des débutants avec moi. Amenez-le avec vous bon sang ! suppliai-je en scrutant Tyler et Damon.

Ils levaient tous les deux les mains au ciel et me firent bien comprendre qu'ils ne s'en mêleraient pas.

— Les femmes et le chocolat, pesta-t-il tout sourire.

Il partit finalement avec ses amis.

— Tu ne te débarrasseras pas de moi si facilement, Sofia.

S'il savait... Je lui aurais donné bien plus qu'un été.

Chelsea m'avait attendue à l'écart aussi, nous montâmes ensemble dans le petit salon de thé. On réussit enfin à se mettre au chaud devant la cheminée. Mon breuvage me réchauffait les mains.

— Je ne sais pas ce qu'il y a entre vous, mais Ash semble différent quand tu es là, me confia-t-elle.

Plus sérieusement, après avoir passé quelques instants à lui raconter les péripéties de mon apprentissage du jour et surtout nos chamailleries dans la neige. J'avais l'impression que l'on se crée de nouveaux souvenirs, c'était bon aussi.

Je revoyais Damon me dire la même chose cet été. Différent comment ? Mais je n'osai pas la questionner.

— Oh, tu crois, on s'entend bien, c'est tout, minimisai-je.

Je n'avais jamais parlé à personne de ce qu'il s'était passé. Je l'ai toujours protégé, à part à la psychologue bien sûr, mais je ne m'étais jamais confiée à une amie. J'aurai parfois voulu avec Naomi, mais elle était prise par sa propre vie, et Lily, ma Lily, je pense que s'il n'y avait pas eu Liam, j'aurais pu lui en dire plus. Est-ce que je pouvais faire confiance à Chelsea ? Est-ce qu'il n'était pas temps que je grandisse un peu sur ça ?

— On dirait deux chevaux sauvages blessés qui tentent de s'apprivoiser, continua-t-elle.

Coriace la petite juriste.

— Peut-être... on essaye en tout cas. Mais ça reste amical, j'ai Liam, tu te souviens et lui Mila.

— Tu ne fais pas beaucoup confiance aux autres, non ?

La bonne blague, faire confiance ? N'était-ce pas ce que j'avais fait cet été-là ? Je contestai malgré moi.

— Le peu de personnes en qui j'avais confiance se trouvent dans l'ordre : décédées, parties à des kilomètres ou elles m'ont littéralement oublié... donc effectivement, je n'ai confiance en personne.

Elle réfléchit un instant et reprit.

— Si tu devais tout revivre en sachant que ces personnes sont destinées soit à mourir, à partir ou à t'oublier, tu ne les rencontrerais pas ? Tu ne passerais pas le temps qu'il t'est donné auprès d'elles ?

Je répondis sans hésiter, c'était une évidence pour moi.

— Bien sûr que oui... Chaque moment, chaque instant reste unique, je ne les changerais pour rien au monde.

— C'est un risque à prendre, il y aura toujours cette part que l'on ne maîtrise pas, cette part d'inconnu dans une rencontre. Il y a toujours cette possibilité de souffrir ou pas.

— Tu dois me trouver puérile, non ?

— Tu t'intègres à un groupe de futur trentenaire avec une telle aisance ! Tu es tout sauf puérile, Sofia.

On entendit les garçons arriver en chahutant, en apercevant cette scène, on pouvait se demander qui avait dix-huit ans ici ! Je n'avais pas vu le temps passer avec Chelsea, la nuit commençait à tomber.

— Prête les filles ? nous lança Damon.

Ash s'approcha de moi, il me tendit la main. Il se tramait quelque chose.

— Tu ne lui as rien dit Chelsea ? questionna Ash.

— Non, je te laisse le privilège de te faire remballer, rajouta-t-elle en se moquant.

— Ash... qu'est-ce que tu manigances encore ?

Il rit aussi, que c'était bon de l'entendre à nouveau, et il tenta son air innocent.

— Je voulais te faire découvrir la magie d'une nuit en montagne...

Je restai perplexe, le groupe éclata de rire.

— OK, OK, ce n'est pas du tout ce que tu penses, arrête de me regarder avec ses yeux coquins, Migina, me taquina-t-il.

— Je ne vois pas de regard coquin, mais continue Ash, enchaîna Tyler hilare.

— On a loué des scooters des neiges, pour une randonnée nocturne.

Il demeurait incorrigible, d'un autre côté, je commençais à avoir l'habitude avec lui.

— J'ai déjà pratiqué le jet-ski en très bonne compagnie cet été, ça devrait aller, ironisai-je en me levant.

Ash, Tyler et Chelsea ne comprirent pas mon allusion. Damon ne pouvait retenir son fou rire et me serra dans ses bras.

— La bonne compagnie, c'est moi bien entendu ! Je t'ai remplacé cet été deux jours. Tu devais revenir au labo, expliqua-t-il à Ash.

— Parfois cela a du bon d'oublier certaines choses, allez, on y va et cette fois-ci tu montes avec moi, exigea-t-il.

— Cesse de te comporter comme un homme des cavernes Ash, elle choisit qui elle veut.

Je souris à Chelsea, solidarité féminine.

— Heu, désolé, Sofia, mais je passe mon tour, la dernière fois j'ai ressenti la marque de tes ongles sur ma peau pendant des jours.

— On ne se trouvait pas autant couvert ! me justifiai-je.

— OK, OK, on ne veut pas en savoir plus, on y va, conclut Ash.

J'entendis Tyler murmurer à Chelsea.

— Il y a de la jalousie dans l'air ma puce.

Il l'embrassa sur le coin de la bouche. Elle le regarda d'un air complice. Si seulement...

Nous nous retrouvions à une dizaine de scooters. La nuit demeurait aussi belle et claire que la veille.

— Je monte avec toi à une condition, négociai-je, une fois devant le scooter que l'on allait partager.

— Propose toujours...

— Je conduis. Il pouffa. Fais-moi confiance aussi non ?

Il céda plus rapidement que je ne l'aurais cru.

— Je nous fais confiance et j'aime plutôt l'idée de me tenir tout contre toi.

Il recommençait notre petit jeu sans le savoir, c'était à la fois douleur et plaisant.

Je lui tapai dans l'épaule, il ne sentit rien bien évidemment et ricana de plus belle. Je ne pus m'empêcher de rire. Il m'avait tellement manqué. Il m'expliqua les règles de base, et s'assit derrière moi. Il attrapa fermement mes hanches, le temps s'arrêta et lui aussi. Nous partîmes enfin, doucement, nous roulions en suivant les autres, c'était encore une sensation unique. Je ne pus m'empêcher de lui crier.

— J'adore les rendez-vous avec toi !

Il s'approcha de mon oreille, je sentis son souffle chaud sur ma peau fraîche.

— Des rendez-vous ? Vraiment ?

Je me rendis compte de la bêtise de mes propos, vivement que ce week-end se termine, enfin non ! Mais si !

Le guide nous suggéra de changer de pilote à mi-chemin. J'acceptai pour pouvoir profiter du paysage.

— Si c'est un rendez-vous, il faut que je sois à la hauteur, après vous mademoiselle, déclara-t-il en désignant le derrière de l'appareil.

Je jouai le jeu, après tout, cela se passerait mieux ainsi.

— Merci, monsieur, un dîner au restaurant aurait suffi, vous savez ?

— Bien trop conventionnel, ajouta-t-il en ajustant mes mains autour de sa taille.

Je posai instinctivement ma tête sur ses larges épaules.

Après avoir tous vécu des moments inoubliables et avoir mangé rapidement une succulente pizza au restaurant le plus sympa de la station, on retourna dans notre suite. On prit un verre tous ensemble. Je passai vraiment un week-end formidable.

— Ash nous a parlé de ta recherche d'emploi, me demanda Damon, tu as trouvé ?

Je restai surprise. Il leur avait dit ?

— Non pas encore, juste deux heures en plus à la bibliothèque grâce à mon collègue Elijah. Je profite de ces douces nuits dans un lit king size avant de finir sous les ponts, tentai-je de plaisanter.

J'eus l'impression d'un consensus entre eux, des regards complices qui me dépassaient complètement. Je cherchais le soutien d'Ash. Il avait été étonné lorsque j'ai évoqué mon ami. J'avais oublié de lui dire que le jour où il est venu me voir, Elijah m'a proposé deux heures en plus le mercredi, prétextant ne pas avoir assez de temps pour réviser. Je restais surprise de la synchronicité de sa proposition, mais tellement heureuse de ces quelques heures.

— Je me suis dit que si tu ne trouvais pas de solution, tu pourrais venir vivre avec nous. Nous possédons une chambre libre, proposa-t-il.

Je restai sidérée quand Chelsea ajouta.

— Ils ont toujours souhaité que je la prenne, mais je préfère garder mon appartement à Missoula.

— Je n'ai pas les moyens de louer une chambre dans votre villa, mais c'est gentil de vous inquiéter pour moi, murmurai-je.

— La chambre n'a jamais en location, Sofia, on n'a jamais eu besoin de cet argent. On stocke des affaires dedans, d'ailleurs je ne supporte plus de voir leurs matériels de musique partout, enchaîna Tyler. Sérieux les mecs vous êtes bordéliques. Puis une touche de féminité dans notre coloc sera la bienvenue.

Je ne savais plus quoi dire, je lui en voulais d'avoir parlé, car oui effectivement ils en avaient déjà discuté et c'était mis d'accord.

— Il est hors de question que j'accepte sans contrepartie, dis-je d'un ton plus dur.

— On gère le ménage, les courses et la cuisine à tour de rôle. Tu aurais ton tour, continua Ash.

J'eus, à cet instant, le sentiment d'être une petite chose fragile à protéger et je détestais ça. Comme le jour où nous nous étions embrassés pour la première fois. Je sentis mes larmes monter sans pouvoir les retenir.

— Je te faisais confiance, je peux très bien m'occuper de moi ! Pourquoi fais-tu cela ? On se connaît à peine après tout, non ? Je peux très bien demander du soutien à Liam plutôt ?

Je pense que le fait que je nomme Liam n'arrangea rien. Il restait assez calme, mais se ferma aussitôt.

— Oui ! Pourquoi ne l'as-tu pas fait d'ailleurs ? Pourquoi n'as-tu pas sollicité ton copain que tu aimes tant ?

Je ne sus que répondre ? Il était hors de question que je demande à Liam. D'abord, il se sentirait sûrement obligé de m'aider. Et d'un autre côté je ne voulais pas qu'il pense que notre histoire devenait plus sérieuse. Ash me renvoyait la réalité en pleine figure, qu'est-ce que j'allais faire ? Je n'avais pas de solution. Et, je ne supportais pas que l'on décide pour moi.

— Je ne veux rien devoir, à personne, dis-je sans pouvoir retenir mes larmes, je me levai, je... je ne peux pas accepter, je suis désolée, je me débrouillerai Ash.

Je sanglotai, mais finis par dire ce que je souhaitais.

Je sortis le plus rapidement possible de la suite, je descendis l'escalier en bois de l'hôtel et me retrouvai dans l'entrée. Je ne savais pas où aller, je vis la salle de sport ouverte et me faufilai à l'intérieur, la lumière était éteinte, je me laissai glisser contre le mur.

Pourquoi agissait-il toujours ainsi avec moi ? Je ne le comprenais pas, il voulait se souvenir avec des personnes qu'il avait connu, OK, nous étions amis, certes, mais quand même. Est-ce que tout cela n'était pas disproportionné ?


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