Chapitre 10 - (1-2) Sombrer dans l'oubli

Le lendemain, Emily avait prévu une journée pique-nique au bord du lac, mais surtout une activité, pêche. Les plus jeunes étaient ravis, Juan et Isaac aussi, Valentina accepta sûrement pour demeurer auprès de Juan et Naomi choisit de rester se reposer, prétextant des douleurs au ventre. Nous étions tous réunis autour de la table du petit-déjeuner.

— Et toi, que fais-tu ? me demanda Emily.

J'hésitai un moment, Ash me regardait tout en buvant son café fumant. Il était parti tôt ce matin, il avait laissé un petit message sur mon lit.

« Sofia, les nuits que nous partageons ensemble restent magiques, mais je souhaiterais tant passer une journée près de toi... Ash ». J'avais serré son mot contre mon cœur et je l'avais rangé dans mon carnet, notre carnet... À moi de lui offrir une belle surprise.

— Ce n'est pas trop mon truc la pêche et j'aurais bien aimé profiter du marché de Seeley Lake pour rapporter des souvenirs à ma famille, osai-je dire en buvant une gorgée de mon café au lait.

J'étais super gênée, je sentis l'étonnement dans le regard d'Ash et de l'ensemble du groupe d'ailleurs.

Loréne arriva à ce moment-là, les bras chargés des sacs du pique-nique.

— Heu, je ne vois pas qui peut t'amener, je vais avoir besoin d'Ash pour gérer tout ce beau petit monde, me répondit Emily.

Nous continuons à nous fixer sans nous en rendre compte, je crois qu'il avait autant envie que moi de se retrouver seul à seul, mais pas en pleine nuit comme il avait pu me l'écrire. Il avait l'air abasourdi que j'ose passer à l'acte dès le lendemain.

— Mario aime pêcher, annonça Loréne, elle qui apparaissait si discrète, et moi, je n'ai rien à faire de particulier, j'ai déjà préparé le déjeuner. Par contre, je veux bien qu'Ash aille me prendre quelques courses pour le repas de ce soir, ajouta-t-elle.

Ash lui sourit, comme pour la remercier. Est-ce que Loréne demeurait au courant pour nous ? Loréne et Mario adoraient Ash, on sentait qu'ils n'étaient plus de simples employés depuis longtemps, ils faisaient partie de la famille Bradley. Elle n'attendit même pas de réponse d'Emily et sortit une feuille de papier pour y inscrire sa liste des denrées qu'elle donna à Ash.

— Voilà, c'est réglé, je vais prévenir Mario, il va être ravi !

Elle posa un regard bienveillant, limite maternel vers Ash puis me sourit. Je pouvais l'entendre presque penser : « ce n'est pas au vieux singe que l'on apprend à faire des grimaces ». Je me retenais de rire.

Je lui fis mon plus beau sourire à mon tour, ne sachant que dire pour la remercier. Le groupe se dispersa petit à petit.

Lorsque je montai dans la voiture d'Ash, je ne pus m'empêcher de prendre une grande inspiration avant d'esquisser un petit rictus de victoire. Il me regardait également le sourire aux lèvres. Une journée ensemble, seulement nos deux.

— Tu es sûr de vouloir aller au marché ? me demanda-t-il.

— Pourquoi ? C'est trop conventionnel à ton goût, plaisantai-je.

Il me tendit le papier de Loréne. Avec inscrit : « Amusez-vous bien ».

— Tu crois qu'elle est au courant ?

Mon ton apparaissait plus inquiet, même si j'avais confiance en Loréne et en Mario.

— Je pense qu'elle a compris qu'il se passait quelque chose, Loréne ma vue naitre, tu sais, elle me connaît par cœur et d'après ce que je lis, elle a l'air de nous donner son accord.

— On passera juste au marché avant de revenir, histoire de ramener quelque chose, sinon on va où tu veux ! répondis-je plus détendue.

Obtenir l'aval de Loréne semblait important pour lui et cela me rassura.

— Ok tu as mis des baskets, on peut donc partir. Sofia ?

— Oui ?

— Merci Migina...

Il faisait référence à son petit mot.

— Mais de rien, j'avais très envie d'être avec toi aussi, sans une ribambelle de gamins et Emily. Tu peux me remercier en me disant où l'on va !

— Rêve ! Tu ne connais toujours pas la définition d'une surprise !

S'il se doutait que j'étais à la limiter de me pincer chaque jour, ou plutôt nuit qu'il voulait bien passer avec moi. Mon été demeurait une surprise, chaque instant dans ses bras était un cadeau tombé du ciel !

Il sourit et commença à prendre la route, je savais que je n'arriverais à rien lui soutirer comme information et me laisser accompagner où bon lui semble. Ce que je regrettai quelques heures plus tard, cela faisait un sacré moment que nous grimpions sur un petit sentier. Certes, la vue sur les grandes plaines, le lac et les montagnes au loin demeuraient grandioses, mais je commençai à ne plus sentir mes doigts de pied.

— Tu ne veux pas me dire où l'on va ? le suppliai-je pour la dixième fois. Tu sais qu'on ne possède pas de panier de pique-nique et que j'ai faim, je ne te parle même plus de mon mal aux pieds.

— Ah ces citadines ! Sans vos automobiles ou bus, vous êtes perdues, me taquina-t-il. Et ne t'inquiète pas pour ton estomac, je gère la situation.

Avant d'arriver vers un chemin un peu plus plat, j'entendis le bruit d'un moteur de voiture. Je  stoppai net. Il tenait toujours sa main dans la mienne et resta étonné.

— Ne me dis pas qu'on pouvait y aller en voiture ?

Un mini sourire apparu sur ses lèvres.

— Oui, mais tu aurais raté ce joli paysage. Il s'arrêta un moment et poursuivit. On suivait ce sentier avec Matt et ses cousins, pendant que nos parents nous rejoignaient en voiture.

Il me racontait de plus en plus de souvenirs de son passé, ce qui ne semblait pas évident pour lui, il n'était pas du genre à partager des confidences. Je prenais ce qu'il voulait bien me donner. Je comprenais sa pudeur.

On arriva rapidement sur un immense domaine, un hôtel-restaurant perché dans la nature. C'était magnifique. « La table de l'ours » était écrite en noire, avec un ours grandeur nature devant le bistrot. D'après Ash, il a été réalisé par un sculpteur local. Ash connaissait le propriétaire, un homme d'une soixantaine d'années, un peu bedonnant, les cheveux poivre et sel, avec une barbe assez dense et fournie. Il ne dépareillait pas du lieu, bien au contraire. Il nous conduit à une table isolée à l'extérieur du restaurant, où se trouvaient cinq grands tipis.

— On va manger ici ? dis-je les yeux écarquillés comme un enfant devant un plateau de cookies chauds.

Il y en avait de plusieurs tailles, certains faisaient office de studio et les autres plus modestes, mais tout aussi beaux étaient réservés pour les repas. Leur toile était noire en haut et sur le bas avec une importante partie blanche, décorée d'ours à l'image de celui de l'entrée.

L'intérieur demeurait tout autant somptueux. Une table où l'on pouvait faire cuire directement notre nourriture au centre, avec autour des petites banquettes aux coussins orangés. Un coin salon avec deux immenses fauteuils en bois et des peaux d'animaux noirs et blancs posées dessus. Quelques lampes et décorations amérindiennes, un peu partout dans la pièce, donnaient une ambiance chaleureuse. Les grands bois qui maintenaient le tipi étaient recouverts de guirlandes lumineuses avec des boules blanches, jaunes, orange, rouges...

— C'est magnifique Ash, merci beaucoup, réussis-je enfin à prononcer.

— Tu ne regrettes pas d'avoir autant marché ? plaisanta-t-il.

— Pas du tout et au retour tu me porteras sur tes épaules !

Il éclata de rire et glissa sa main dans mon dos pour que nous nous installions dans le petit coin salon. Après avoir commandé un apéritif, le propriétaire nous laissa le temps de choisir nos plats.

— À notre été, ajouta-t-il, plus sérieusement.

Je trinquai ma bière locale à la sienne, quand je pense que j'allais bientôt étudier à Missoula, surnommée la Mecque des amateurs de bière, il fallait que je commence à déguster les vraies mousses locales. Je n'osai rien rajouter, c'était déjà tellement de bonheur d'éprouver ses moments avec lui, peu important combien de temps ils dureront. Et ça faisait tellement bien de se retrouver tous les deux. La fin de l'été arriverait bien assez tôt, j'apprenais à vivre l'instant présent.

Nous nous installons ensuite côte à côte, sur l'immense banquette.

— Je vais prendre l'hamburger du grand ours, mais sans la viande s'il vous plaît, seulement avec la galette de pommes de terre et les légumes frais.

— Bien sûr, mademoiselle.

Ash demeura surpris.

— La même chose, commanda-t-il enfin, avec une bouteille d'eau et une autre bière, merci, Douglas.

Je restai étonné aussi.

— Il ne fallait pas, je... je veux dire.. , bégayai-je, c'est difficile d'être végétarienne dans ma famille, avec mes amis. Alors qu'ici, je peux ne pas manger de viande sans répondre à mille et une questions, mais tu n'étais pas obligé de faire de même.

— Je ne savais pas que tu étais végétarienne et réduire ma consommation de viande ne me fera pas de mal, ne t'inquiète pas.

— Il y a beaucoup de choses que tu ne sais pas de moi.

— J'imagine et, pourtant, j'ai l'impression de te connaître depuis toujours.

Il sirota une gorgée de sa deuxième boissons et je ne sus que répondre. C'est exactement ce que je ressentais. Il me posa des questions sur mon régime végétarien, sur mon choix, mes goûts, mon besoin de protéger les animaux, mais aussi le moyen de changer les choses sur le plan écologique. Il ne rigolait pas, il était à l'écoute de chacune de mes paroles. C'était agréable d'être prise au sérieux, de ne pas entendre que c'était un passage, une lubie qui finirait à l'âge adulte.

Il me parla également de son amour pour les animaux sauvages et son désir d'en faire son métier. Il m'expliqua qu'il regardait énormément de reportages sur les animaux avec sa mère et chaque fois, il était outré de voir autant d'espèces disparaître par la faute de l'Homme. C'est ce qui lui avait donné l'envie de choisir son cursus, il imaginait que l'enseigner, aurait aussi plus d'impact.

C'est ce que je pensais également pour ma passion. Les jeunes lisaient de moins en moins c'était une évidence. Nous passions une magnifique journée et finalement, plus le temps s'ecoulait et plus j'aurais aimé que cela dure plus qu'un été...

Après ce moment privilégié, nous jouissions de chaque instant en essayant de rester les plus discrets possible le jour, pour nous retrouver le soir, le plus souvent sur le ponton et souvent chez Ash.

Le départ était prévu pour dans une semaine. Ash n'en parlait pas et moi non plus, j'avais, je pense, bien trop peur de sa réaction. Nous avions envie de profiter, cette escapade dans le tipi nous avait tellement rapprochés. Sur le chemin du retour, je me surpris à dire que si j'avais des enfants, je les amènerais ici et que j'effectuerai le trajet à pied avec eux. Il ne sembla pas étonné qu'à mon âge, j'avais déjà une vision de ce que serait ma vie, de femme, d'épouse, de mère. Il m'avoua que lui aussi, il avait toujours eu cette envie d'avoir une vie professionnelle à son image et surtout de pouvoir concilier une vie de famille bien remplie.

Ce soir-là, Ash m'envoya un message vers vingt heures. Il s'excusait de partir, il devait aller à Missoula. C'était selon lui important, il promit de me contacter très vite pour me tenir informé. C'était étrange, il ne précisa rien de plus. Je m'inquiétai pour lui et surtout pour sa mère, j'espérais qu'il n'y ait rien de grave, mais mon intuition me disait le contraire. Une nuit bien vide sans lui...

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