Chapitre 9 - Damien
À sept heures quarante-quatre précises, Julia entra dans la chambre de Damien. Toujours rongé par l'anxiété, il n'avait pas dormi. Étant à jeun depuis la veille au soir, la faim lui tordait le ventre pour ne rien arranger.
La jeune infirmière lui fit un grand sourire. Elle connaissait bien ce traitement, elle l'avait tellement étudié. Une centaine de patients l'avaient utilisé, beaucoup avaient survécu et étaient en rémission. Elle espérait de tout coeur que ce jeune Français en fasse partie. Malheureusement, elle ne pouvait le prédire.
— Bonjour Damien !
Toujours cette prononciation qui l'horripilait de plus en plus. Il n'était pas étanche ce matin, pas aimable, pas agréable. Une boule de nerfs.
— Bien dormi ?
Julia prenait ses constantes d'un air appliqué. Elle jeta un oeil vers l'adolescent, prostré au fond de son lit.
— Tu as peur ?
Quelle question ridicule. Bien sûr qu'il avait peur ! Qui ne serait pas terrifié à sa place ? Au pire vous mourrez dans quelques mois après vous être tellement dégradés que même votre propre mère ne vous reconnaîtrait pas, soit vous mourrez demain. Au mieux, vous vous en sortez et ne remettrez plus les pieds ici. Il y avait soixante-dix pour cent de réussite. C'était énorme, lui qui n'en avait que deux pour cent avec la chimiothérapie. Mais ça laissait un vide de trente pour cent. Sur dix personnes, sept vivaient. Trois mourraient. Il pourrait faire partie des trois. Comme un con.
Damien ne répondit même pas, il tourna la tête. Vite qu'elle injecte ce produit, qu'il sache ! S'il meurt, qu'il le fasse immédiatement. Ou non... Il ne savait plus ce qu'il voulait en fait.
— Le docteur Locke va passer d'ici une demie heure, nous t'emmènerons dans la salle de réanimation en aplasie prévue pour les injections du Kymriah. Tu as d'autres questions ?
— C'est quoi en aplasie ?
Damien était persuadé que c'était encore une traduction littérale sans sens que les Américains pensaient correct.
— Cela veut dire en chambre stérile.
L'adolescent venait de réaliser qu'il ne resterait pas dans cette chambre-là. C'est bête, mais il n'y avait même pas pensé. Il jeta un regard à la pièce entière, comme pour l'imprimer au fond de sa rétine, au fond de sa mémoire. Chaque détail, chaque trou dans le mur blanc qui ne devrait pas s'y trouver vu que c'était interdit.
Sa mère sortit s'occuper de certains papiers d'acharnement médical ou pas. Elle ne voulait sûrement pas qu'il la voit pleurer. Comme d'habitude.
— Ne t'inquiète pas, dit Julia. Je m'occuperai de toi en réanimation aussi.
Réanimation. Le mot-même est source de tellement de questions ! Combien de fois son coeur va-t-il être relancé à la vie ? Combien de fois son cerveau va-t-il s'arrêter de fonctionner ? Sera-t-il toujours lui-même après tout ça ? Sera-t-il toujours vivant demain ?
Se poser toutes ces questions lui fit prendre conscience d'une chose. Si toutes ses peurs étaient normales parce que vitales, il en demeurait une qui ne l'était pas. Il se tourna vers Julia, seule présence dans la chambre.
— Vous pouvez m'aider à écrire un e-mail ?
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De : [email protected]
Objet : Quelque chose que je ne t'ai jamais dit
Bonjour Émilie,
Quand tu liras ces lignes, je serai en train de me battre.
Je t'ai menti, je ne suis pas parti aux États-Unis pour une opportunité de mon père. Je suis parti pour survivre. Cela fait huit mois que je me bats contre une leucémie lymphlobastique aigüe. Un traitement expérimental vient d'être lancé, ici, à Philadelphie. Je suis donc un cobaye. Je sais que ça doit te faire un choc, je n'ai pas perdu mes cheveux, je n'ai pas un teint de mort-vivant... Parce que la chimiothérapie ne peut rien pour moi, je suis déjà condamné en France. J'ai donc tenté ma seule chance ici.
Je suis terrifié, Émilie. Terrifié de devoir mourir ici, qu'on rapatrie mon corps et que la dernière chose que l'on se soit dite c'était au-revoir alors qu'il y a tellement d'autres choses que j'aurais voulu te dire. S'il te plaît, crois en moi. Je fais tout pour revenir sur mes deux pieds, et pas les deux pieds en avant dans une boîte.
Le traitement commence dans dix minutes, j'ai peur de mourir. Terriblement peur. Tu pourras appeler sur mon portable, ma mère te répondra. Mais j'ai envie de me battre, vraiment. Pour te retrouver, pour vivre, pour être un avocat digne d'Atticus Finch, pour devenir quelqu'un et pas qu'un pauvre gamin mort d'une leucémie, un nom de plus sur une liste qui n'en finit plus. Je veux être un nom qu'on retiendra, pas une statistique.
Si ceci est mon dernier mail, j'aimerais te dire quelque chose que je n'ai jamais été capable de t'avouer : je suis tombé amoureux de toi, le premier jour où l'on s'est vus. Je suis fou d'amour, je m'étais promis de te le dire si je guérissais, mais comme je n'en suis plus sûr...
JE T'AIME ÉMILIE VERNOUX !
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À peine eut-il le temps de cliquer sur « Envoyer » que le professeur Locke fit son entrée. L'air grave dans sa blouse blanche, il salua Damien et fit signe à Julia. C'était l'heure. Ils croisèrent Nathalie, toujours dans le couloir. Elle eut à peine le temps de faire signe à son enfant.
Les couloirs défilaient devant Damien, tout ce blanc l'étourdissait, toute cette odeur d'hôpital, de traitement, ... Julia vit son regard perdu et se pencha vers lui tandis qu'ils attendaient l'ascenseur.
— Si avec ce mail, elle ne tombe pas en amour pour toi je ne comprendrai plus rien aux filles !
Tomber en amour, c'était une traduction canadienne ça aussi. Il en était sûr.
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