Chapitre 5 - Damien

Damien avait vu le médecin deux fois depuis son arrivée. La première fois, il était venu voir si tout allait bien, avait pris ses constantes et avait demandé à une infirmière de réaliser une prise de sang et de l'amener passer une IRM pour vérifier que tout était comme avant, au cas où le cancer aurait évolué dans l'avion, sait-on jamais.

La deuxième fois, il était venu lui rappeler les risques de ce traitement expérimental, avec bien sûr la chance qu'il y reste. De toutes façons, Damien savait qu'il était condamné avec la chimiothérapie proposée en France. Leucémie trop agressive, trop avancée et pas de donneurs compatibles à 100%... Quand son oncologue de l'hôpital Necker lui avait parlé d'un traitement censé stopper le développement des cellules cancéreuses, et surtout de guérir celles qui l'étaient, il avait accepté. Sans en connaître les risques, il avait dit oui. Tout valait mieux que de savoir que sa leucémie fulgurante aurait raison de son corps en quelques mois.

Ses parents, eux, avaient été plus réticents. Sa mère avait commencé par parler de « qualité de vie » et d'autres conneries que Damien avait balayé. Parce que dans qualité de vie, il y a vie. Et c'est ça qu'il voulait. Il voulait vivre. Qu'importe les effets secondaires. Il avait depuis revu sa copie. La qualité de vie lui importait, ce traitement ne lui laissait que deux choix : soit une dégradation de son état plus rapide, soit une rémission. Il prenait le risque, quitte ou double.

Le traitement commencerait dans quelques jours, cela lui laissait temps de s'acclimater à ce nouvel environnement. L'adolescent n'en montrait rien, mais finalement il se demandait si cela valait la peine... Prêt à vivre, mais pas encore prêt à mourir.

Ses parents étaient venus plusieurs fois dans la journée, ne le laissant jamais réellement seul. Ils devaient s'installer dans leur maison de location et pourtant, sa mère passait le plus clair de son temps assise dans le fauteuil en face de son fils.

Les journées étaient longues. Demain il commencerait le traitement. Bien sûr, il appréhendait. Bien sûr, il craignait de mourir demain. Mais il avait déjà écrit un e-mail que ses parents devraient envoyer à Émilie, au cas où. Au cas où il ne pourrait pas l'envoyer lui-même, qu'il ne soit plus en état de lui avouer ses sentiments. Il ne s'en sentait pas le courage, mais se promit à lui-même que s'il guérissait, il lui dirait. Oui, il lui dirait qu'il l'aimait comme un fou, qu'il voulait passer sa vie avec elle. C'était bête, c'était immature, c'était sûrement parce que c'était son premier amour. Mais Émilie représentait l'idéal qu'il s'était fixé enfant. C'est elle qu'il voulait. Un point c'est tout.

Il releva la tête quand il entendit quelqu'un toquer à la porte.

— Bonjour Damien, salua le médecin en faisant son entrée.

Les Américains avaient un accent, ils ne prononçaient pas Damien, mais Damian. Ça ne le dérangeait pas tant que ça, mais il ne pouvait s'empêcher de le remarquer à chaque fois.

— Bien, la prise de sang d'hier est revenue. Ton taux de globule blanc a encore augmenté, c'est normal en l'absence de traitement. Ton taux de plaquette a bien chuté, par contre.

Damien savait que ses plaquettes étaient au plus bas, il avait beau faire attention, à chaque fois que son corps heurtait un meuble, une valise, un mur, même doucement, il pouvait être sûr d'avoir un hématome d'un autre monde sur la peau. C'était un des symptômes qui avaient alerté sa mère.

Ça et les saignements de son nez, intempestifs, tous les jours.

Ça et la fatigue, il pouvait dormir jusqu'à seize heures par jour.

Ça et ses douleurs osseuses, l'empêchant certains jours de tenir sur ses pieds.

Ça et sa pâleur cadavérique. Heureusement qu'il n'avait pas les cheveux noirs, on aurait pu le prendre pour un sataniste allergique au soleil et à la vitamine D.

— Rien de bien alarmant, cependant. Nous pouvons toujours démarrer le traitement, ne t'inquiète pas.

L'adolescent ne s'inquiétait pas, son état n'avait pas considérablement empiré depuis son départ de France il l'avait senti. Sa mère lâcha un long soupir de soulagement.

— Vous démarrez quand alors ? demanda Nathalie, impatiente.

Le médecin, un homme d'une soixante d'années, prit une chaise pour s'installer au plus proche de Damien et de sa mère.

— Nous allons d'abord commencer par prélever certaines cellules chez Damien, pour s'assurer de la compatibilité du programme avec son corps. On va essayer d'éviter au maximum le choc cytokinique qui peut être fatal.

Le choc cytokinique. Le mot avait fait rire Damien au début « cytos qui niquent ». Ça ne le faisait plus autant rire à présent. C'était le risque principal. Le Kymriah, le nom du traitement, consistait à injecter ces cytokines prélevées dans son corps et génétiquement modifiées. La tempête allait faire rage dans son sang, cytokines contre leucémie. Mais il se pouvait que ces cellules cytokines, trop contentes d'être libérées se multiplient un peu trop. Le tuant. Beaucoup moins drôle, donc.

— On ne peut pas le prévoir à cent pour cent. Mais ça, vous le savez déjà. On va limiter les risques donc. Une fois cette étape faite, on va commencer les prélèvements et commencer la modification des cellules de Damien. D'ici deux jours on devrait pouvoir commencer. 

L'adolescent était habitué à ce qu'on parle de lui à la troisième personne, comme s'il n'était pas dans la pièce, comme s'il était trop jeune pour comprendre. Il s'évadait souvent dans ses pensées. Il oscillait, soit il ne voulait rien entendre et avoir la surprise : ça lui évitait de se provoquer tout seul les effets secondaires par effet nocebo.

Soit il fouillait frénétiquement sur internet et finissait inlassablement encore plus terrifié, regrettant ses recherches.

— Je reviendrai demain, on en saura plus. Julia va venir te faire d'autres prélèvements. Bonne fin de journée. Si vous avez des questions, n'hésitez pas à me contacter sur mon cellulaire personnel.

Cellulaire. Damien était sûr que c'était une traduction canadienne ça. Personne ne disait ça chez lui. Enfin, son ancien chez lui. Il n'y remettrait peut-être jamais les pieds, à cause des cytos qui niquent. 

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Un de mes chapitres préférés pour l'instant, j'en suis assez fière je l'avoue. Cette histoire s'écrit toute seule, j'en suis déjà au chapitre 15...! Malgré tout, elle demande beaucoup de recherches, notamment pour le traitement de Damien (il existe bel et bien, il peut être effectué en France à présent, mais il a commencé à Philadelphie). Si quelqu'un est plus connaisseur que moi (la biologie et moi faisons à peu près quatre) n'hésitez pas à corriger des approximations ou des erreurs. 

À très vite pour le chapitre six :) 

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