Chapitre 29
L'hôpital n'est jamais une partie de plaisir. Surtout en pédiatrie. Surtout en oncologie. C'est assez facile de le comprendre, mais tellement plus à le vivre. La luminosité induite par la couleur blanche omniprésente, l'odeur désagréable, mais rassurante du désinfectant, le ronronnement régulier des machines, les baskets et sabots des infirmiers qui couinent sur le sol, la sensation rêche des draps... Tout cela était familier pour Damien. Il connaissait l'hôpital, il le connaissait par cœur. Il avait cependant eu une bonne nouvelle en venant ici, le Kymriah avait éliminé sa leucémie. Il allait vivre, survivre à son cancer pourtant réputé incurable.
Oui, mais... Dans ses réflexions, il n'était jamais allé plus loin que le traitement pour ne pas se faire de faux espoirs. S'il y avait bien une chose qu'il n'avait pas imaginé, c'étaient ces pensées dépressives. Il était déprimé. Incompréhensible. Il en avait honte. Après tout, c'était un survivant, quelqu'un qui n'était pas censé continuer à vivre, et voilà quoi s'il se plaignait d'être là ?
Les rendez-vous chez le psychiatre lui laissaient un arrière-goût amer. Il mentait. Selon ce qu'il disait, il était ravi, il avait hâte de reprendre l'école, de rentrer en France... Mais quand on a vécu les deux années passées en pensant que c'étaient les dernières, comment continuer à faire comme si de rien n'était ? Est-ce qu'il avait les capacités pour obtenir son baccalauréat ? Il n'en était pas sûr. Oui, il s'était déjà imaginé ce qu'il aurait pu faire. Pas ce qu'il allait faire. La différence, si minime soit-elle, lui paraissait être une montagne insurmontable.
Ces pensées lui embrumaient l'esprit.
Il ruminait.
Il fulminait.
Il s'insurgeait de tout.
Il s'inquiétait.
Son père vint le voir le lendemain du départ d'Émilie. Il était là tous les matins, mais cela devait rester un secret, car ils préparaient une surprise pour Nathalie. Mais cette fois-ci, il ne lui apportait pas une pause bénéfique. Non. Cette fois-ci, il lui apportait la lettre d'Émilie.
Damien avait hésité. Il était impatient de la lire, mais il préféra attendre de la découvrir une fois son père parti. Son intimité était déjà peu élevée ici, alors il désirait en conserver quelques bribes.
Il avait bien fait.
Damien s'était senti vidé de toute larme la veille. Mais il avait apparemment une réserve bien cachée. La lettre, qu'il avait relue une centaine de fois avant de la chiffonner, le dévastait. Devait-il se battre ? Devait-il rendre les armes à son tour ?
Le kinésithérapeute arriva à onze heures, comme tous les deux jours. Il toqua, ouvrit. Damien lui couina qu'il ne se sentait pas très en forme, aujourd'hui. Les yeux rougis, le nez coulant, la voix rocailleuse... Pas de doute, il venait à peine d'arrêter de pleurer.
Avec surprise, l'adolescent vit le soignant abdiquer et repartir en lui souhaitant une bonne journée et à demain. Ce n'était pas dans ses habitudes. Vraiment pas.
Quand le psychiatre arriva quelques minutes plus tard, il comprit. Le kiné l'avait prévenu.
— Je me demandais quand vous alliez craquer.
Damien tourna la tête vers la fenêtre, peu enclin à discuter. Il lui avait menti pendant toute la semaine. Le psychiatre le savait, ça se lisait sur son visage.
— Se sentir déprimé après un traitement aussi lourd est tout à fait normal, Damien.
— Je suis guéri, pourquoi vous continuez de vouloir me soigner ? Je n'ai plus rien à faire ici ! Je veux rentrer, je veux partir !
Denis Gence, onco-psychiatre, fit glisser le tabouret pour se rapprocher de l'adolescent.
— Votre leucémie est partie, mais il y a les à-côtés. Votre corps et votre esprit ont subi un choc très traumatisant. On veut vous aider à gérer au mieux la vie qui vous attend.
Damien regarda ses pieds sous le drap blanc, évitant toute confrontation directe avec le médecin.
— J'en ai pas besoin.
Il marmonnait, il boudait, tel un enfant.
— Très bien, si ce n'est pas ça, expliquez-moi. Qu'est-ce qui vous met dans cet état ? C'est à cause de la jolie jeune fille qui venait tous les jours ?
Damien sentit son menton trembler, annonciateur de quelques sanglots. Il prit une grande inspiration, comme pour les éviter. Ses mains serrèrent un peu plus les draps.
— Elle est partie ? Vous vous êtes disputés ?
L'adolescent soupira. Il risquait quoi à tout raconter au psychiatre, après tout ?
Rien.
Absolument rien.
Alors il se lança.
* * *
Émilie venait à peine d'atterrir sur le sol français que déjà, elle voulait envoyer un mail à Damien pour lui expliquer, pour dire qu'elle était désolée et qu'elle n'en pensait pas un mot.
Mais après avoir mis à jour une quinzaine de fois sa boîte de réception, elle se rendit compte qu'il n'avait rien envoyé... Elle avait espéré une réaction, au moins.
Pourquoi s'obstinait-elle à vouloir se battre pour lui ? La seule chose qu'il avait faite pour elle, c'était de lui faire parvenir un message, au cas où il ne survivrait pas. Alors oui, il l'avait préservée de sa maladie, il l'avait protégée... Mais finalement, c'était à lui de se battre pour elle.
Le comportement d'Émilie était égoïste. Il venait de combattre la chose la plus dure qu'il puisse exister. Ses propres cellules s'étaient liguées contre lui. Émilie voulait qu'il lui prouve son amour. Alors, elle attendrait. Tant pis pour elle, tant pis pour eux.
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