Nathalie n'avait pas voulu accompagner Victor et Émilie, prétextant un mal de crâne. En vérité, elle était tout simplement déçue — vexée, aussi — que la jeune femme n'ait pas changé d'avis.

La mère de Damien n'avait pas lu la lettre de son fils, elle n'en connaissait pas la teneur. Si elle avait su, peut-être aurait-elle été plus clémente avec Émilie. Mais, inexorablement, elle en voulait à l'adolescente. Elle avait refusé de se battre pour rattraper les choses avec Damien. Elle avait lâché les armes.

Le paradoxe dans toute cette histoire, c'est qu'elle reprochait à Émilie ce qu'elle-même avait fait avec son propre couple. S'était-elle réellement battue pour Victor ? Non, certainement pas. En avait-elle seulement l'envie ? Pour être honnête, non.

L'échec de la relation de son fils lui renvoyait son propre échec marital. C'était sûrement ça, le plus dur à accepter.

Mais les deux adolescents avaient percé l'abcès, s'étaient exprimés. Celui de Nathalie et Victor commençait à s'infecter... Ce n'était pas le bon moment, mais elle se fit la promesse de planter l'aiguille dès leur retour en France.

* * *

Dans le trajet jusque l'aéroport, Émilie et Victor ne décrochèrent pas un mot. L'adolescente lisait, relisait la lettre de Damien. Il restait encore une heure de route. Le père de Damien chantonnait une musique qui passait à la radio. Le silence l'avait toujours gêné, il occupait donc la partie sonore.

Elle réfléchissait, elle fixa son regard sur les lignes blanches qui défilaient à vive allure.

Une ligne. Devait-elle répondre à Damien ?

Deux lignes. Oui.

Trois lignes. Mais quoi lui dire ?

Quatre lignes. Rien.

Cinq lignes. Elle soupira.

Elle détourna les yeux. Victor semblait serein, sifflotant I was made for loving you de KISS. Elle enviait son esprit tranquille, bien loin de se douter de la tempête intérieure qui l'agitait également...

Elle fouilla dans son sac à main.

Si je trouve du premier coup mon bloc-note, c'est un signe.

Elle le trouva.

Quand enfin, Victor et Émilie approchèrent de l'aéroport, elle avait terminé de noircir les pages. Plusieurs fois, elle avait dû s'interrompre. Les larmes coulaient sur ses joues, la rage avait envahi son âme. Elle avait plié la feuille déchirée proprement du bloc, et avait réutilisé l'enveloppe de Damien. Elle avait simplement barré « À mon Amour » pour y ajouter en dessous « À Damien ».

Avant de sortir du véhicule, elle hésita quelques instants, le papier dans la main.

— Je lui donnerai, si tu veux.

Reconnaissante, elle tendit son trésor à Victor, qui le rangea soigneusement dans la boîte à gants de la voiture.

Quelques dizaines de minutes plus tard, installée dans les sièges inconfortables de la salle d'embarquement, elle repensait à sa lettre. Les mots se déformaient, virevoltaient, tourbillonnaient. Elle regrettait déjà. Pourquoi avait-elle été si pressée de lui répondre ? Pourquoi avait-elle été si enragée ?

« Cher Damien,

Je n'attends rien de toi. À vrai dire, toute cette histoire est folle. Si on m'avait dit que l'on vivrait ça il y a trois mois, j'aurais ri. Mais je ne ris plus du tout.

Aimer ce n'est pas seulement accepter les bons côtés d'une personne. Mais ça, tu ne sembles pas l'avoir assimilé.

Oui, je rentre. Mais j'espérais autre chose. J'espérais que mes sentiments soient partagés, vu ton dernier mail, vu celui de ta mère. À vrai dire, j'ai plus l'impression d'avoir reçu le message d'un mourant qui illusionne son amour, et quand il se réveille se rend compte qu'il n'aime pas vraiment. Ça t'a peut-être aidé à te battre, qui sait.

Tu te caches derrière ta convalescence pour gentiment me pousser vers la sortie, je le sais.

Je t'en veux, je t'en veux tellement. J'ai traversé la moitié du globe pour toi et tu me jettes comme une conne. Je te déteste.

J'avais imaginé tous les scénarios dans ma tête, tu sais, comme d'habitude. Je crois que le pire, c'était celui-là, et non pas ta mort.

Remercie bien tes parents pour moi, ils ont été adorables en tout point, eux.

Je te souhaite de guérir, et de revenir en France. Mais moi, je ne serai plus là pour toi.

Émilie »

Quand l'avion Air France 3245 quitta le sol américain, Émilie pria pour que la lettre se perde. Malheureusement, pensant bien faire, Victor la donna dès le lendemain à son fils. 

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MAIS COMMENT VA RÉAGIR DAMIEN ? (moi je saaaaais)

Prochain chapitre centré sur Damien et Émilie, promis, celui d'après c'est uniquement du Juliette :)