Chapitre 25

Juliette se triturait sans arrêt le bout de sa queue de cheval. Son père lui avait souvent répété que c'était agaçant. Elle espérait qu'il le pensait toujours.

Cela faisait dix minutes qu'ils s'étaient installés dans le café à l'angle du collège de l'adolescente. Après avoir passé commande, Paul avait répondu à deux ou trois messages et n'avait toujours pas expliqué la raison de son kidnapping. Bon, ce n'en était pas vraiment un, mais Juliette le pensait très fortement.

Le serveur déposa le café devant Paul, et le thé au jasmin pour Juliette sans un mot et repartit aussi vite qu'il était venu.

Paul tourna lentement la cuillère au fond de sa boisson, faisant tinter la tasse de porcelaine. L'adolescente allait craquer, clairement, si son but était de l'énerver, il y arrivait avec brio.

— Comment c'était, vos vacances aux États-Unis ?

Juliette releva les yeux vers son géniteur.

— C'était pas des vacances. Le mec d'Émilie a un cancer, il est soigné là-bas, on y est allées pour le soutenir. Mais bon, tu le saurais si tu t'intéressais à nous.

Paul se figea net.

— Pardon ? Émilie a un copain ? Qui est malade ? Mais il va bien ? Et elle ?

— Je la refais : tu le saurais si tu t'intéressais à nous. Au fait, comment va Fanny ? Elle va bien j'espère, ironisa la rouquine.

Paul bouillonnait. Cela se voyait à des kilomètres. Il tapotait nerveusement la table du bout des doigts. 

Juliette avait toujours eu le don, même petite, de savoir exactement où frapper. Elle était cassante, blessante. Elle enrageait tout son monde quand elle l'avait décidé.

— Tiffany, déjà.

La jeune souleva un sourcil, l'air peu concerné.

— Ah oui, désolée. Vu que je ne l'appelle jamais avec son prénom, j'avais oublié.

Le père prit sur lui, respira un bon coup. Le café était plein de jeunes venus discuter avant de rentrer chez eux, ce n'était pas l'endroit pour faire un scandale. Il n'était pas non plus en position pour en faire un, à vrai dire. Il en avait conscience.

— Comment va le copain d'Émilie ? Et elle ? Tout va bien ? Ta mère est rentrée également ?

— Non, non, je suis rentrée toute seule. Mais oui, maman est rentrée. Émilie ça va, elle rentre bientôt, et Damien — son mec — va bien aussi, aux dernières nouvelles. C'est tout bon, tu peux me ramener maintenant ?

Il soupira. La partie était perdue d'avance avec Juliette, il aurait dû le savoir. L'adolescente rebelle ne se laisserait pas amadouer par une simple boisson et une discussion.

— Écoute, Juliette. Je suis désolé. Vraiment. Je n'ai pas agi raisonnablement, je vous ai toutes fait souffrir et j'en suis profondément désolé.

La jeune fille fixa son thé, les minuscules feuilles qui tourbillonnaient au fond de sa tasse, semblables à ses pensées. Elle ne voulait pas être là, elle ne voulait pas entendre ça, elle ne voulait pas le voir.

— Je te souhaite de connaître un amour aussi fort que celui que j'ai partagé avec ta mère, vraiment. Mais parfois, cet amour se fane. Il n'est peut-être pas éternel, il n'est peut-être pas aussi facile qu'il y paraît. Mais je ne regrette pas un seul instant passé avec elle.

Elle regarda les adolescents autour, faisant semblant de se désintéresser totalement du discours de son père.

— Mais un deuxième amour, plus passionnel, m'est tombé dessus. Et je me suis laissé emporter, j'aimais ta mère — je l'aime toujours —, mais ce n'est pas la même chose qu'avec Tiffany.

Elle le regarda enfin, haussa les épaules.

— Si tu le dis.

Jamais elle n'aurait fait ça à Bastien. Il ne savait pas ce qu'était l'amour, le vrai.

— J'espère qu'un jour, tu l'apprécieras. C'est une femme admirable.

Au moins, ouais. Admirable. Que le terme était mal choisi. C'était une femme — à vérifier tout de même, mais vu qu'elle était enceinte, le doute n'était pas trop permis —, mais admirable, certainement pas. Il y avait tellement d'autres adjectifs pour la décrire... Une centaine d'autres vint remplacer celui-ci. Une femme banale, merdique, ennuyante, débile, stupide même... Mais pas admirable.

— Qui vole le mari des autres.

— Elle ne m'a pas volé, je suis parti. C'est à moi que tu dois en vouloir, pas à elle.

L'adolescente leva les bras, en signe d'abandon.

— Oh, mais ne t'inquiète pas pour ça, je t'en veux. Tu peux me ramener, maintenant ?

Paul regarda sa tasse, il n'avait pas bu une seule goutte. Elle non plus. Juliette, pour appuyer son envie de partir, finit d'un seul coup sa tasse, se brûlant la langue au passage. Elle se retint de grimacer.

Le père s'avoua vaincu, alla payer la note au bar. Quand il revint, Juliette avait disparu. 

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