Chapitre 24
— Tu es sûre de toi, Émilie ?
Nathalie tournait en rond dans la cuisine. Depuis qu'elle avait vu son fils, et retrouvé Émilie dans quasiment le même état dans le jardin de l'hôpital, son stress était remonté en flèche. Victor, lui, soupirait de façon laconique. Il n'avait pas décroché un mot depuis l'arrivée de sa femme et de l'adolescente.
Émilie essuya à nouveau les larmes qui coulaient sur ses joues.
— Je pense que c'est la meilleure chose à faire... Je... Je préfère rentrer.
— Mais, vraiment, il n'y a rien que l'on puisse faire ?
La conversation tournait en rond, Émilie campait sur sa position, Nathalie essayait vainement de lui faire changer d'avis.
— Non, mais merci, Nathalie.
— Vraiment rien ?
Des larmes commençaient à poindre aux bords des yeux de la mère de Damien. Retrouver son fils en sanglots, au sol, avait été un déchirement total. Elle, qui croyait, quelques mois en arrière, qu'elle ne verrait jamais son fils subir une peine d'amour, avait été servie.
Nathalie pensait, égoïstement, au bien-être de son fils. Quels effets auraient le départ d'Émilie ? Et s'il ne voulait plus se battre, et s'il décidait d'abandonner, de se laisser mourir ? Elle qui était si optimiste avait perdu son rayonnement en entendant leucémie pour la première fois... Et son monde pourtant si joyeux avant, était teinté de gris et de noir. Elle s'imaginait toujours le pire. Toujours.
— Chérie, ça suffit. Elle est assez grande pour prendre sa décision. Damien va mieux, il est quasiment sorti d'affaire, ils se reverront dans quelques semaines quand on pourra rentrer. Émilie est seule ici, sans sa famille, elle a des cours à rattraper...
Victor lança un regard compatissant à la jeune fille. Ils n'allaient pas non plus l'obliger à rester... Même si cela faisait du bien à Damien, il en était certain — enfin, jusqu'à aujourd'hui — elle avait le droit de reprendre sa vie et de repartir en France.
Personne n'osa répondre ou ajouter quelque chose. Au bout de quelques secondes, Émilie remonta dans la chambre qu'elle partageait avec sa sœur, quelques jours auparavant.
Elle n'avait pas imaginé refaire sa valise dans cet état d'esprit. Elle s'était pourtant bien imaginée le pire : elle rentrait, Damien était mort. Puis le meilleur, elle rentrait, avec Damien, main dans la main. Mais la possibilité qu'ils se disputent et qu'il lui dise qu'il ne voulait pas d'elle, ça, elle n'y avait véritablement pas songé. C'était peut-être ça, finalement, le pire scénario.
Elle essuya ses joues avec sa manche trempée, s'assit sur valise fermée et laissa le vide envahir son esprit tout entier.
* * *
Élizabeth regrettait d'avoir laissé sa fille là-bas. Elle ne connaissait pas tellement les Lacombe, finalement. C'était totalement inconscient, tout comme l'idée de vider le peu d'économies qu'elle avait pour partir avec Juliette et Émilie. Heureusement que la maison était déjà payée... Elle avait toujours été impulsive, c'était quelque chose qu'elle détestait chez elle, mais elle n'y pouvait rien. Elle agissait, puis elle réfléchissait.
Quand Paul lui avait annoncé qu'il avait une aventure, et qu'il voulait la quitter pour partir avec l'autre femme, elle avait démoli toute ses affaires. Elle avait même été tentée de mettre le feu aux vêtements et aux documents qu'il avait laissé à la maison. Mais elle ne l'avait pas fait. Pas pour lui, non. Mais pour ses filles. Quelle image donnerait-elle à ses deux petites merveilles, si elles voyaient leur mère hystérique prête à brûler leur père et tout ce qu'il représentait ?
Elle soupira, éteignit l'ordinateur et enleva ses lunettes de repos. Ce ne serait pas aujourd'hui qu'elle trouverait l'appartement parfait pour le jeune couple qui l'avait embauchée. Elle défit l'élastique qui retenait ses cheveux bruns, puis déverrouilla son téléphone.
Émilie lui manquait. Avec le décalage horaire, elles ne pouvaient pas se parler beaucoup, quelques messages dans la journée ou dans la nuit, et un appel le soir. Elles n'avaient jamais été aussi loin l'une de l'autre, et surtout aussi longtemps. Les parents d'Élizabeth étant décédés depuis de nombreuses années, et les parents de Paul s'étant expatriés au Portugal, les enfants étaient toujours restés à la maison. Quand Émilie avait eu sa première pyjama party, ça avait été un réel déchirement de la laisser, ne serait-ce qu'une nuit, chez son amie... Et là, on parlait d'une semaine entière, à l'autre bout du monde. Non, vraiment, Élizabeth devait apprendre à réfléchir avant d'agir.
La mère jeta un œil à l'heure affichée par le micro-ondes. Dix-neuf heures cinq. Et aucune nouvelle de Juliette... Totalement inhabituel. Même si la cadette rebelle sortait au-delà de l'heure autorisée, elle envoyait toujours un message avec une excuse inventée de toute pièce pour expliquer son retard. « Il y a une grève des bus. J'aurai du retard. » « Le chien d'Honorine est mort, on l'enterre, je rentrerai après. »
Élizabeth s'était laissée absorbée par ses pensées et son ordinateur et en avait presque oublié sa fille.
Elle tenta de la joindre une fois. Quatre sonneries et répondeur. Deux fois. Quatre sonneries et répondeur. À la troisième fois, le répondeur prit le relais au bout d'une seule sonnerie. Juliette avait ignoré son appel. Elle décida de lui envoyer un message, dernier avertissement.
Maman : Juliette, rappelle-moi. Tout de suite.
Élizabeth enleva ses chaussons et mit des baskets. Prête à aller chercher sa fille, n'importe où dans la ville. Juste avant de passer le pas de la porte, clés en main, elle reçut une réponse.
Juliette : Je suis avec mon géniteur, je t'expliquerai en rentrant. Il me déposera sûrement.
Élizabeth resta figée quelques instants. Que voulait Paul ? Annoncer qu'il attendait des jumeaux, qu'il allait se marier ou qu'il quittait sa greluche pour une encore plus jeune ?
Ils auraient pu la prévenir... Mais, comme pour se rappeler sa faute, elle fixa l'heure sur le micro-onde. Elle aurait pu s'en rendre compte avant.
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