Chapitre 22
Les trois derniers jours étaient passés à une vitesse folle. Damien avait commencé à remarcher, doucement, très doucement, soutenu par des barres. Il fallait re-muscler un peu ses jambes qui avaient fondu avec l'alitement. Il avait même eu l'autorisation du médecin de passer une demie-heure dehors par jour. Le grand luxe, avait-il pensé ironiquement. Pourtant, cela lui faisait beaucoup de bien, malgré le fauteuil roulant. Il se sentait diminué quand Émilie le poussait. Elle voulait bien faire, oui. Mais il préférait user de la force de ses bras pour avoir l'impression d'être autre chose qu'un grabataire.
Malgré tout cela, le moral de Damien baissait en flèche. Il détestait la kiné, il détestait les prises de sang, il détestait qu'Émilie le voit ainsi, il détestait l'hôpital. Il détestait ce qu'il était devenu, en fait. Il soupira en regardant le ciel. L'air était frais, la jeune femme lui avait installé un plaid rugueux sur les genoux. Elle fixait un point au fond de la forêt.
— À quoi tu penses ? demanda-t-il.
Ils n'avaient pas encore parlé de leurs sentiments. Peut-être à cause de leur timidité, peut-être aussi parce que ce n'était pas encore le bon moment. Damien attendait toujours d'être en totale capacité avant... Mais il désespérait que ce moment n'arrive. Il était impatient de vivre. Cela ne faisait que peu de temps que le traitement était terminé, la rémission n'était pas encore annoncée et son état n'était pas encore assez stable pour envisager une hospitalisation à domicile. C'était normal. Mais c'était long.
Émilie tourna la tête vers lui.
— Je me demandais ce que faisaient ma mère et ma soeur.
— Elles te manquent ?
— Bien sûr.
— Pourquoi tu ne vas pas les retrouver, alors ?
Damien avait dit cela sur un ton plus sec qu'il ne l'aurait souhaité. Émilie le regarda, l'air surprise. C'était évident, pourquoi elle n'allait pas les retrouver, non ?
— Je suis là pour toi.
— C'est vrai que c'est mieux de regarder un abruti qui ne sait même plus marcher ou se laver seul.
L'adolescent détourna les yeux. Il s'en voulait qu'Émilie soit ici, pour lui. Elle ratait des cours, sa famille lui manquait, et lui, il n'était même pas capable de l'en remercier convenablement en étant là pour elle à son tour. Tout ce qu'il faisait c'était se plaindre et attendre.
— Ne dis pas ça Damien. Si je suis là, c'est que je l'ai voulu.
— Ou que tu t'es sentie obligée.
— Mais arrête !
Émilie se redressa du banc où elle était installée. Elle mit ses mains dans les poches de son gros blouson rouge.
— Je ne me suis pas sentie obligée de venir, mais si tu ne me l'avais pas caché, j'aurais eu le temps de me préparer un peu mieux, de m'organiser, de prévoir avec ma famille.
— Il ne fallait pas venir si j'ai dérangé tes plans.
L'adolescente se rassit et fixa Damien.
— Damien, arrête. Si je suis là, c'est pour toi, pour t'aider, et pour t'aimer.
Et puis, elle repensa aux mails. À aucun moment il ne lui avait demandé de venir. Gênée, elle sortit les mains du blouson, se les tordit et dans un souffle, demanda :
— Tu ne voulais pas que je sois là ?
— Non.
Damien regretta aussitôt. Aussitôt qu'il vit les larmes perler aux yeux d'Émilie. Aussitôt qu'il la vit se lever en s'essuyant les joues.
— Je suis désolée.
Elle prononça ses mots dans un sanglot, puis partit précipitamment, le laissant là, comme un con. Il resta figé quelques minutes, peut-être plus. Puis voyant qu'elle ne revenait pas, il défit les freins de son fauteuil et le guida à la force de ses bras.
Il pensait retrouver Émilie dans sa chambre, même si elle n'en avait pas pris la direction. Il voulait lui dire qu'il regrettait. Mais d'un côté... N'avait-il pas dit la vérité ? La convalescence n'était pas facile. Lui s'était fixé sur l'objectif d'éradiquer sa leucémie. L'après... C'était abstrait, mais pour lui, ça devait être joyeux, vivant, le bonheur quoi... On en était loin.
En passant dans le couloir, il jeta un oeil aux autres enfants, leur peau grise, leur chevelure arrachée par la chimiothérapie, leur envie de vivre malgré le cancer qui les rongeait... Il voyait la douleur masquée que les enfants ne voulaient pas montrer, il voyait la détresse masquée que les parents ne voulaient pas avouer. Il l'avait vécu.
La plupart étaient plus jeunes que lui, et ils donneraient cher pour être à sa place. Plus une cellule cancéreuse, avait annoncé le médecin. Ils attendaient de voir si elles allaient revenir, mais avec ce traitement, c'était peu probable. Ces enfants-là, n'auraient peut-être pas cette chance. Ils voulaient vivre, tout comme lui quelques mois auparavant. Et maintenant, il se plaignait de choses ridicules. Lui qui avait toujours été si fort, si brave, selon les dires des médecins, il se laissait complètement aller.
Il accéléra le rythme pour retrouver sa chambre. Il s'y reprit à trois fois avant de réussir à passer le pas de la porte, à coup de manoeuvres hasardeuses.
Personne. Il n'y avait personne dans sa chambre.
Les larmes jaillirent.
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