Chapitre 2 - Émilie

De : [email protected]

À : [email protected]

Objet : Sérieux ton adresse mail ?

Cher Damien,

Cela fait quelques heures que tu as dû arriver sur le sol américain. Je t'envie et je t'en veux.

Je t'envie d'être là-bas, découvrant une nouvelle vie, de nouvelles personnes, bon, même si j'avoue que Philadelphie me fait moins rêver que Los Angeles, tu vois.

Mais je t'en veux de me laisser ici. Mon Dieu, que c'est monotone le lycée sans toi. Même les potins de Lila et Cairn n'ont plus de saveur.

J'espère que tu es bien arrivé.

À très vite,

Émilie.

P.S. : Je ne me remets vraiment pas de ton adresse mail. Avril Lavigne, sérieux ? On est encore dans les années 2000 ?

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À moitié satisfaite, Émilie referma son ordinateur portable après avoir cliqué sur 'Envoyer'. Elle avait réfléchi à ce mail depuis son départ. À vrai dire, elle l'écrivait depuis son départ. Les mots sonnaient faux. Le lycée n'était pas monotone, il était inutile, désert.

Le monde ne tournait plus sans Damien près d'elle.

Elle soupira lourdement, essuya une larme qui menaçait de dévaster son mascara et allongea sa tête sur l'ordinateur. Sa chaleur contre la froideur de son corps.

Elle aurait pu dire mille fois à Damien ce qu'elle ressentait. Mais aucune fois le moment n'était propice, aucune fois elle ne s'en était sentie capable. Pourtant, tous les soirs, allongée dans son lit elle y pensait. Elle se faisait les scénarios probables de sa réponse.

Si ça se trouve, il l'aimait aussi. Il l'aurait embrassée, poussant délicatement une mèche de ses cheveux blonds derrière son oreille avant de poser ses lèvres douces sur les siennes. C'aurait été le plus beau baiser du monde. C'était sûr. Leur amitié aurait évolué en quelque chose d'encore plus fort, plus durable, plus intense.

Si ça se trouve, il ne l'aimait pas. Il aurait ricané, se serait levé, et serait parti en la regardant toujours se moquant d'elle. Leur amitié aurait été brisée et Émilie aurait été seule au monde, comme avant.

- Émiliiiiiie, à table.

La voix de sa mère résonna dans toute la petite maison. Elle se releva d'un seul mouvement, à moitié endormie à cause de ses somnolences.

La nouvelle du déménagement de Damien avait été une tornade, dévastatrice pour son coeur et son univers. Elle n'avait pas demandé à son ami pourquoi il partait, n'avait demandé aucune explication, elle savait à peine la ville dans laquelle il déménageait. Cela devait sûrement être lié au boulot de son père. Il était commercial dans le médical, ou un truc comme ça... Bien sûr, elle voulait savoir, mais n'avait pas eu la force de demander. Il devait sûrement penser qu'elle s'en fichait. Alors que son esprit entier se baladait entre Philadelphie et Noisy-Le-Sec.

Sa mère et sa petite sœur mangeaient avec appétit, sans bruit. Les discussions étaient très rares dans cette famille monoparentale. Le père d'Émilie et Juliette était parti, il y a quelques années, suivant de très près sa jeune associée. Les deux adolescentes le revoyaient, de temps en temps. Sans réellement le désirer. Par obligation d'un lien père-fille. Paul faisait semblant de ne pas voir la déception de ses enfants.

Émilie passait sa fourchette sur les brocolis présents dans l'assiette, sans en piquer un seul. Elle les regardait, les détaillait... Perdue dans ses pensées.

Bien sûr, sa mère avait remarqué les changements chez sa fille depuis le départ de son ami. Mais c'était une adolescente... On a tous des peines de coeur desquelles on se remettra. C'était la première pour sa fille, mais sûrement pas la dernière.

La petite soeur d'Émilie, Juliette, de trois ans sa cadette, n'y prêtait que peu d'attention. Elle préparait soigneusement ses cours. Enfin, en apparence. Aussitôt dans sa chambre, elle se vêtit d'un sweat à capuche noir qui masquait ses formes naissantes, attacha ses longs cheveux roux en une queue de cheval haute et enleva toute trace de maquillage léger sur ses yeux marrons. Elle attendait le bon moment, sous la couette, toute habillée.

Dès qu'elle fut remontée à l'étage dans sa chambre, Émilie se jeta sur son ordinateur. Elle avait beau rafraîchir la page sans arrêt, aucun mail n'était arrivé. Damien n'avait pas été aussi rapide que prévu. Elle attendait, elle attendait... Puis finit par lâcher prise vers minuit et se mit directement dans son lit.

Sa mère, Elizabeth, prenait sa douche. Elle profitait toujours de ce moment-là pour se laisser aller, sangloter toute seule en silence. Ses filles ne devaient pas savoir, elle ne montrait rien. Et pourtant... Une vingtaine d'années passées avec le même homme, avec qui elle avait construit sa vie, son monde, sa famille... Pour que tout vole en éclat quand une petite brune plantureuse avait fait son arrivée. À quarante-cinq ans, cette épreuve lui semblait impossible à surmonter. Refaire sa vie ? L'idée lui semblait tellement saugrenue.

Juliette attendait patiemment que la douche arrête de couler au rez-de-chaussée. Cela annoncerait que sa mère était partie se coucher. Émilie devait déjà dormir, il était une heure du matin. Elle scrutait son téléphone. Il n'allait plus tarder. La mécanique de ce couple était déjà rodée : il attendait au coin de la rue, moteur éteint, elle le rejoignait une fois tout le monde endormi. Elle passait par son balcon, se laissait retomber doucement. Et enfin, elle le retrouvait.

L'eau s'arrêta enfin de ruisseler, la lumière de la chambre du rez-de-chaussée s'éteignit. C'était le moment.

Une fois dans le jardin, Juliette ne regarda pas en arrière. Elle aurait pu voir que la chambre de sa soeur était toujours allumée et qu'elle la regardait par la fenêtre.

Le soleil commençait à se lever lorsque Juliette rentra enfin. Ses pas faisaient craquer le bois de l'escalier. Émilie ne dormait toujours pas, inquiète. La sonnerie d'un nouveau mail qui arrivait fit sursauter les deux jeunes adolescentes.

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Voilà pour le chapitre 2, l'histoire avance doucement. Les réponses sur les raisons du départ de Damien dans le prochain chapitre ;) 

Merci à tous ! 

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