Chapitre 16

Juliette et Élizabeth avaient fait le tour de Philadelphie, elles s'étaient bien promenées, avaient fait les boutiques... Bien sûr, elles n'étaient pas là pour ça. Mais qu'auraient-elles pu faire d'autre ? Attendre à l'accueil ? Cela n'aurait pas été d'une grande utilité.

Et puis, malgré sa maturité, Juliette était quand même très sensible. La situation ne la laissait pas indifférente, même si elle tentait de prouver le contraire. Sa mère la trouvait bien pâle depuis qu'elles étaient arrivées. Tout cela faisait beaucoup pour une adolescente : la séparation de ses parents, l'annonce de la tromperie, puis d'un demi-frère ou d'une demi-soeur, la maladie de Damien, le départ aux États-Unis... De quoi vous tourner la tête en un rien de temps. Alors Élizabeth avait décidé de changer les idées à sa fille. Ça avait marché, pour l'instant.

Au repas du soir, Émilie jubila pour la millième fois au moins du spasme de Damien. Nathalie et Victor avaient les yeux aussi brillants qu'elle. Élizabeth souriait bêtement et Juliette ne comprenait pas. Il n'était pas encore sorti d'affaire et ils s'extasiait sur un bout de doigt qui bouge. Elle aussi, elle y arrivait. Sur commande, même !

Cet endroit lui filait la gerbe, l'hôpital lui donnait envie de vomir. Ses odeurs, sa bienveillance et surtout la mort qui rôde à tous les étages... Comment pouvait-on avoir envie d'y passer plusieurs heures dans la journée ? Sa soeur devait l'aimer ce con qui n'arrivait qu'à remuer l'index. C'était certain même.

Juliette n'avait vu que très peu de fois Damien, il venait rarement chez elles. Le plus souvent, Damien et Émilie se voyaient chez lui, ou dans le café proche du lycée.

Le lendemain matin, Élizabeth réveilla Juliette sur les coups de huit heures. Le décalage horaire aidant, l'adolescente ne ronchonna pas plus que ça. Elles laissèrent Émilie dormir, de toutes façons, les visites ne commençaient qu'à midi. Nathalie et Victor étaient sortis prévoir avec la pharmacie l'hospitalisation à domicile pour la convalescence de leur fils. La jeune fille pensa qu'ils étaient bien optimistes, alors que Damien n'avait toujours pas ouvert les yeux. Juliette et sa mère étaient donc seules dans la cuisine ouverte, elles déjeunaient silencieusement sur l'îlot central, perchées sur des tabourets.

— Tu sais, Ju, j'ai regardé hier sur internet. Il y a un truc qu'on pourrait faire, qui pourrait être sympa.

La jeune rouquine releva la tête, intéressée. Son chocolat chaud et ses céréales chimiquement colorées attendraient bien.

— Bon, il faut compter deux heures pour y aller, deux heures pour rentrer. Mais si on part d'ici vingt minutes c'est jouable.

— Tu veux aller où maman ? s'enquit la jeune fille, captivée par la proposition de bouger de Philadelphie.

Élizabeth joua l'indifférente, remuant sa petite cuillère très lentement dans son mug de café amer. Qui buvait du café dans un mug ? Les Américains... C'était ridicule.

— Je ne sais pas trop... Que dirais-tu de New York ?

Les yeux de Juliette s'éclaircirent. Elle se leva d'un bond et enlaça sa mère.

— J'adorerai ça maman !

Élizabeth et Juliette avaient eu du mal à tisser un lien mère-fille, au contraire d'Émilie et de sa mère. La cadette avait toujours été plus proche de son père, respectant à la lettre le schéma fille à papa. C'était sûrement pour cela qu'elle avait été la plus virulente lors de son départ, le reprochant d'abord à sa mère, puis quand elle comprit... Sa haine décupla et se déporta sur une seule et même personne : son géniteur, comme elle l'appelait à présent. Sa nouvelle copine subissait ses foudres également, mais ne la connaissant pas elle déversait sa haine sur son père.

Élizabeth avait déjà prévu son coup depuis la veille, et avait donc pu demander à Victor et Nathalie d'emprunter leur deuxième voiture. La mère ne se sentait pas tellement bien à l'idée de conduire dans les rues bondées des États-Unis, encore moins au volant d'un imposant 4x4 noir. On était bien loin de sa petite voiture en pot de yaourt.

La mère et la fille roulèrent direction New York ! Juliette aurait au moins des photos et des souvenirs pour faire rager ses copines sur Instagram. Il est clair que des photos de l'hôpital de Philadelphie n'allaient pas récolter beaucoup de likes, alors que Times Square...

Au bout d'une heure et demie, l'adolescente demanda à sa mère de s'arrêter sur le côté de la route, elle ne se sentait pas bien. Élizabeth s'arrêta quasiment immédiatement sur le côté de l'autoroute à cinq voies. Juliette sortit à toute vitesse. Après avoir rendu son petit-déjeuner, la jeune adolescente s'assit quelques instants sur la barrière de sécurité pour reprendre ses esprits.

— Ça va chérie ?

Élizabeth s'approcha doucement de sa fille, lui caressant le dos comme quand elle était malade petite.

Les voiture ne circulaient pas très vite sur cette portion d'autoroute... Les bouchons incroyables qui se dessinaient sur des kilomètres avaient de quoi refroidir plus d'une personne. Mais pas elles. Pas quand c'était New York.

De l'autre côté de l'Hudson, elles voyaient déjà se dessiner la skyline de New York, l'Empire State Building étant le bâtiment qui se démarquait le plus depuis le 11 septembre 2001.

Un instant, elles se prirent à rêvasser toutes les deux.

— Bon, go, Times Square ne va pas nous attendre indéfiniment maman.

Élizabeth sourit.

Les yeux brillants et la tête dans les nuages, elles découvrirent la Grande Pomme. Certains quartiers tels que SoHo assez sommairement, en voiture. D'autres quartiers bien plus touristiques tels que Times Square, Wall Street, de long en large à en avoir mal aux pieds.

Élizabeth était heureuse de faire naître le sourire sur le visage de sa cadette, elle qui souffrait plus qu'elle ne voulait l'avouer. Émilie avait toujours été plus rationnelle, moins dans les sentiments. Elle savait les exprimer, elle ne les refoulait pas. Juliette était tout son contraire. Telle un vase, elle se remplissait... Jusqu'à atteindre la goutte de trop, et le vase explosait. Littéralement.

Quand elles rentrèrent enfin sous les coups de vingt-trois heures à la maison des Lacombe, Émilie ne dormait pas. Elle était sur la table du salon, seule, en train d'écrire.

— T'écris à qui ?

Élizabeth lança un regard noir à sa fille cadette, même si elle mourrait d'envie de savoir elle aussi.

— Si ta soeur ne veut pas te répondre, Juliette, elle a tout à fait le droit. Ça ne te regarde pas.

— À Damien.

— Mais tu le vois demain... répliqua la rouquine.

— Je sais, soupira longuement Émilie, les larmes aux yeux. Je le vois, mais lui ne me voit pas encore.

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