Chapitre 14
Élizabeth sut que quelque chose n'allait pas quand elle avait entendu les pas précipités de Nathalie et quand elle lui avait raccroché au nez. Mais elle ne dit rien aux filles, jouant le vice jusqu'à dire « à tout à l'heure » à une Nathalie qui avait depuis longtemps raccroché.
Quand elles pénétrèrent dans l'hôpital, Juliette eut un haut-le-coeur. La nausée de voir ce bâtiment rempli de gens malades, parfois mourants. L'odeur forte de désinfectant, le sol brillant qui couinait sous ses pas. Ce n'était décidément pas une bonne idée d'être venue.
Émilie serrait fort la lanière de son sac en bandoulière. Les jointures de ses mains étaient blanches, mais au fond, elle le sentait. Damien n'était pas mort. Non.
Élizabeth prit son plus bel accent anglais pour s'adresser à l'accueil et demander la chambre de Damien Lacombe, réanimation lui dit-on. Seule la famille y est acceptée. Émilie était bien évidemment « sa soeur » et fut autorisée à entrer. Seule.
Elle prit l'ascenseur, entourée de personnes en fauteuil tenant fermement leur perfusion, d'autres avec des mines déconfites, certaines avec des valises et un grand sourire qui signifiait « je sors aujourd'hui ! ». Elle s'arrêta au quatrième, service réanimation.
La grande porte de l'entrée était verrouillée, il fallait appeler à l'interphone pour qu'on lui ouvre. Il lui fallut donc décliner son identité, la personne qu'elle venait voir ainsi que son lien avec le patient. Heureusement, elle était première de sa classe en anglais. Ça servait l'anglais, des fois.
Elle réitéra le mensonge de sa mère et entra. Elle passa dans une salle où on lui fit se laver les mains précautionneusement, puis enfiler une charlotte, des surchaussures et même un tablier. Tout cela était inutile, puisqu'il était interdit de pénétrer dans la chambre de Damien, mais elle n'en avait aucune idée.
Elle passa un premier long couloir. 415 lui avait dit la femme à l'interphone. Chambre 415. Elle essayait de ne pas regarder à travers les vitres les autres patients. Mais ce fut plus fort qu'elle. Il y avait surtout des enfants, elle était incapable de donner leur genre, fille ou garçon, ils étaient chauves, pâles, endormis et branchés de partout. Elle ne put réprimer un long frisson qui courra sur toute sa colonne vertébrale.
Damien ressemblait à ça ? Pour de vrai ?
Émilie eut l'impression de vivre un cauchemar, cela faisait plus de vingt-quatre heures qu'elle avait reçu le mail de Nathalie, elle n'avait pas dormi une seule heure mais elle voulait croire qu'elle ne s'était jamais réveillée.
Elle fut bien obligée de se dire que c'était la réalité quand elle vit Victor, effondré, livide assis sur le lino brillant et Nathalie qui fixait la vitre en face d'elle.
Quand elle l'aperçut, Nathalie se jeta sur elle, l'enlaça à l'étouffer.
— On a eu tellement peur ! Tellement peur que tu n'arrives pas à temps...
Émilie la regarda incrédule. À temps ? Pourquoi à temps ?
— Il a fait un arrêt cardiaque, il y a quelques minutes. C'était tellement, tellement effrayant Émilie, mon Dieu, je...
Elle éclata en sanglots. Émilie se retourna alors et vit Damien. Comme les autres enfants... Il avait seulement un peu plus de cheveux qu'eux. Si elle avait bien tout compris, c'était parce qu'il n'avait pas eu à subir de la chimiothérapie. Il dormait. Apparemment paisiblement. Bien loin du tumulte qui semblait s'être produit quelques minutes auparavant.
Elle eut deux envies contradictoires. Elle avait envie de se jeter dans la chambre, de l'embrasser, d'arrêter de perdre du temps comme ils en avaient tellement perdu... Mais elle avait envie de partir en courant, sans regarder en arrière. Comment ont-ils pu en arriver là ? Il y a trois semaines, ils étaient en cours, il était toujours là, il se moquait de M. Cairn, il était souriant... Vivant.
Lentement, des larmes lui montèrent. Elle ne les retint pas. Collée à la vitre qui la séparait de son amour, elle resta des minutes entières, immobile.
De le voir l'avait rassurée, lui avait réchauffé le coeur. Il était toujours vivant, il était toujours là. Elle sentait sa présence si douce.
— Petit con, pourquoi tu ne l'as pas dit avant... murmura-t-elle.
Le corps de Damien semblait sans vie, bien que son torse se soulevait pour respirer. Il était maigre, mon Dieu, ce qu'il était maigre... Émilie eut l'impression que si elle serrait aussi fort qu'elle l'aurait voulu, elle l'aurait cassé en deux. Littéralement. Elle aurait pu sentir ses os se craqueler les uns après les autres, dans un bruit atroce. Mais elle l'aurait soutenu, elle l'aurait aimé comme elle le souhaitait.
Ils restèrent tous les trois figés pendant plusieurs dizaines de minutes qui semblaient être des heures. Des heures entières à le regarder lutter pour vivre.
Victor se redressa, enlaça sa femme. Ils détaillaient leur fils, leur unique fils. Nathalie posa une main sur l'épaule d'Émilie.
— Les visites sont terminées je pense, on ne va pas tarder à se faire expulser du service, il est déjà vingt heures... Rentrons.
Ils rejoignirent Juliette et Élizabeth qui patientaient à la cafétéria, puis rentrèrent à la maison de location meublée, mais sans vie.
Le repas se passait en silence, personne n'osait réellement parler d'un sujet à part celui de la météo. Cela parlait du froid hivernal en ce mois de novembre, qu'il faisait moins froid à Paris, qu'ici c'était impressionnant. Émilie ne décocha pas un mot, Juliette non plus. Les adultes étaient doués pour faire semblant...
À vingt-deux heures, tout le monde partit dans sa chambre, les filles en partageaient une, leur mère était juste à côté, seule.
Juliette observa sa grande soeur, étalée sur le lit fixant le plafond.
— Tu sais, Émilie, parfois j'aimerais être aussi forte que toi...
L'aînée bougea la tête, détaillant sa petite soeur.
— C'est juste l'impression que tu as, ça.
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