Chapitre 11 - Damien

Damien partit à huit heures et quinze minutes de sa chambre en Pédiatrie. Sa mère avait noté son heure de départ. Le médecin avait dit qu'ils pourraient le voir en fin de journée, si tout allait bien. À travers la vitre de la chambre stérilisée. Le champ n'étant pas encore tout à fait mis en place... Ils préféraient garder cela pour les plus jeunes, ceux de moins de douze ans dont la présence des parents s'avérait parfois vitale.

Elle patientait, attendait... Se triturait les mains sans arrêt. Victor lui apporta un café brûlant de la cafétéria et s'installa à côté d'elle. Ils priaient silencieusement pour que le traitement marche. Cela leur avait coûté plus de quatre cent mille euros. La valeur de leur maison vendue pour l'occasion, ils n'avaient plus rien si leur fils ne survivait pas, ils n'étaient même plus sûrs d'avoir encore l'amour entre eux qui les cimenterait. C'était la dernière chance... Leur dernière et unique chance.

Les heures s'égrenaient seconde par seconde, leur laissant tout le loisir d'imaginer le futur.

Nathalie avait bénéficié des congés offerts gracieusement par ses collègues, pour ne pas avoir à déposer un congé sans solde. Travailler comme professeure des écoles pouvait quand même avoir des avantages.

Victor, lui, avait décidé de démissionner. Son patron n'avait pas d'enfant et pas de coeur apparemment. Il lui avait refusé le congé sabbatique, refusé les congés pris sur d'autres années et refusé une rupture conventionnelle.

— C'est bon, votre fils a sa mère auprès de lui, vous ne ferez rien de plus si vous partez là-bas.

Victor ne s'était jamais rebellé, n'avait jamais eu un mot plus haut que les autres. Surtout pas au travail. Pourtant, ce jour-là il s'était levé, avait remis en place son blazer et avait lancé :

— Si. Je les aiderai, les supporterai et montrerai à mon fils ce que c'est d'être un homme. Je ne vous le souhaite pas, monsieur Loewb, mais un jour, vous comprendrez ce qu'est l'amour et la résilience quand vous serez sur le point de mourir.

Le patron n'avait rien répliqué, faisant un geste de la main signifiant « ouais ouais cassez-vous ». En repartant, le père de Damien avait murmuré « pauvre con ». Il espérait qu'il l'avait entendu.

Ils étaient partis une semaine après avoir eu l'accord des médecins, avaient payé d'avance le traitement et des billets au prix exorbitants. Nathalie ne savait même pas pourquoi ils avaient pris une maison en location, au final. Ils passaient leurs temps à l'hôpital. Victor lui, mettait tout en place, dans l'espoir que son fils y mette un jour un pied. Le temps de sa rémission, avant de rentrer en France profiter de leur nouvelle vie sans leucémie.

Depuis l'annonce de la maladie, leur vie était rythmée par les hôpitaux, les oncologues, les services d'onco-pédiatrie... Les espoirs, l'attente et surtout... Les larmes. Qu'est-ce qu'ils avaient pu en verser, surtout à l'annonce de la leucémie, surtout à l'annonce des mois restants à Damien... Puis la petite lueur, le Kymriah, traitement expérimental. Bien sûr qu'ils avaient foncé.

— On ne lui a même pas demandé quelle tenue il voulait au cas où il décèderait, lança Victor.

— Parce qu'il ne va pas mourir. Je le sens, répondit laconiquement Nathalie.

Oui, elle le sentait, son fils allait vivre.

Il leur devait bien ça, quand même.

Assis dans le fauteuil, tous les deux. Une heure était passée, personne n'était venu. C'était bon signe, quelque part. Ça voulait dire qu'il vivait toujours.

Puis Nathalie eut une idée. Elle se leva, prit l'ordinateur portable de la tablette et l'ouvrit. Son fils n'avait pas mis de mot de passe pour qu'ils puissent envoyer un mail à Émilie au cas où. Ces deux-là étaient exaspérants. Elle décida donc de donner un coup de pouce à la romance de son fils.

Elle n'envoya le mail que quand elle fut sûre que son fils s'en sortirait, soit le lendemain de son départ de pédiatrie.

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De : [email protected]

À : [email protected]

Objet : Message de la maman de Damien

Bonjour Émilie,

J'espère que tu vas bien et que ta famille également.

Je me permets de t'envoyer ce mail pour te raconter ce qu'il s'est passé. Je me doute que Damien ne t'a pas dit la vérité.

Il est atteint d'une leucémie lymphoblastique aigüe depuis huit mois. Les vacances soit-disant chez ses grands-parents n'étaient que des rendez-vous médicaux avec les meilleurs hôpitaux pour essayer de trouver la bonne méthode. En France, il n'y en avait pas. Nous sommes partis ici pour le traitement expérimental, pour qu'il vive ! Il est en ce moment même en train de subir la première partie, il ne m'aurait pas laissé t'envoyer ce mail sinon...

Cela me semble bizarre de m'incruster dans votre relation, pourtant j'aimerais que tu saches que Damien ne parle que de toi, ne se levait les matins pour aller en cours que pour toi. Il avait un mot du médecin signifiant l'arrêt longue durée, tu t'en doutes. Mais il supportait tout ça pour te voir, tous les jours, malgré la fatigue, malgré les douleurs.

Tu es très importante pour lui, vitale même. Je suis sûre qu'en ce moment-même, il se bat pour vivre, pour toi.

Ma belle, je sais que cela peut être effrayant, surtout à vos âges... Je compte tout de même sur toi, si tu ne partages pas ses sentiments, ne lui en dis rien et continuez votre relation comme avant... Si tu le peux, jusqu'à la fin de son traitement. Je t'en supplie même. Et si tu partages ses sentiments... Nous t'invitons à nous rejoindre, dès que tu le pourras. Nous t'enverrons le billet d'avion payé, évidemment. Ta présence serait le plus beau cadeau que nous puissions faire à notre fils.

Je te souhaite le meilleur, quoique tu décides.

À bientôt,

Nathalie Lacombe

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