Chapitre 10 - Émilie

Émilie n'entendit pas son téléphone lui annoncer un nouveau mail. Non, la journée de la veille était tellement éreintante qu'elle en oublia même son téléphone sur sa table de nuit.

C'était une des premières journées où elle ne pensa quasiment pas à Damien. Hier soir, elle avait vu sa mère éclater en sanglots, se réfugier dans sa chambre, son père gêné, qui n'avait rien osé faire et une Tiffany qui voulait disparaître, elle et son foetus.

Émilie et Juliette n'avaient rien dit, n'avaient rien fait. Elles étaient restées interdites, fixant le sol, leurs pieds... Espérant que ce moment ne soit qu'un rêve. Leur père avait dû leur faire une mauvaise blague, ce n'était pas possible. Ça ne faisait même pas un an qu'ils étaient ensemble et voilà qu'il reconstruisait sa famille ailleurs, sans elles.

Le coeur de Juliette se pourrissait d'une haine sans égale. Elle en voulait à son père, cet infidèle, qui n'était même pas encore divorcé qu'il engrossait déjà sa greluche. Elle en voulait à Tiffany, cette poufiasse, qui était tombée enceinte après avoir volé l'homme d'une autre. Elle en voulait à sa mère, cette faible, qui était partie pleurer au lieu d'affronter dignement la situation et de les faire sortir de la maison. Elle en voulait même à Émilie de n'avoir rien dit et de se contenter d'exister.

Putain, quelle famille.

Paul et son trophée enceinte sont partis quelques minutes plus tard, désolés de la tournure qu'avaient pris les évènements. Ils ne s'attendaient pas à ces réactions-là, avait déclaré le père. Mais à quoi s'attendaient-ils, en fait ?

La journée de cours passa très rapidement, pour une fois qu'Émilie ne voulait pas rentrer chez elle. Sa mère, sa soeur et elle ne s'étaient pas adressées un mot depuis la veille, personne ne trouvait les mots justes, personne ne voulait blesser l'autre.

Elles mangèrent toutes les trois en silence ce soir-là. Elles regardèrent un reportage sur le crime en banlieue, mais personne ne le voyait vraiment. Juliette partit se coucher en premier, Émile voulut parler à sa mère... Mais ne trouva rien à dire d'intelligent, de philosophique, qui aurait pu un tant soit peu lui redonner le sourire. Le moral d'Élizabeth n'était pas dans ses chaussettes, non, elle marchait carrément dessus.

Elle ne vit pas le mail non plus le surlendemain, préoccupée par l'état de sa mère. Cela faisait deux jours qu'elle n'était pas repartie au travail. Elle se morfondait, vidée, dans la maisonnette, laissant tout à l'abandon... Y compris elle-même.

Il avait déjà refait sa vie alors qu'elle espérait toujours.

Elle était enceinte. De lui.

Élizabeth repensait à sa joie, quand elle était tombée enceinte de ses filles. Émilie d'abord, le petit rayon de soleil inattendu et surprise qui les avait comblé de bonheur. Une grossesse merveilleuse ! Paul l'aimait tendrement, la massait pour éviter les vergetures et regardait son ventre grossir au fil des jours avec amour.

Puis, Juliette. Cela avait été plus difficile de tomber enceinte, mais quelle joie ! Paul avait été encore plus emballé, expliquant à Émilie qu'elle allait être grande soeur.

Elle revoyait encore la scène, il caressait le ventre d'Élizabeth, puis fit mine de l'écouter. Puis il déclara à Émilie :

— Je crois qu'il y a quelqu'un qui veut te parler à l'intérieur !

La petite fille de deux ans et demi ne comprit pas, s'approchant à son tour et posa son oreille à côté de celle de son père. Élizabeth caressa les cheveux de sa fille, doucement.

— Tu as mangé quelqu'un maman ?

La naïveté de leur fille firent éclater de rire les parents.

Ces souvenirs la faisaient éclater en sanglot à présent.

C'était ainsi qu'Émilie avait retrouvé sa mère, assise par terre, le dos collé au canapé. Pleurant toutes les larmes de son corps pour expier un amour qui n'était plus. L'adolescente ne savait pas quoi faire pour aider sa mère, elle lui apporta donc un verre d'eau et s'assit à côté d'elle.

— Tu vaux tellement mieux que lui, maman.

Élizabeth fit un sourire à sa fille à travers ses larmes, la prit dans ses bras et se redressa. La mère prit conscience que son état ne pouvait plus durer, pas devant ses filles. Elles avaient besoin d'elle.

Quand Émilie monta dans sa chambre, elle se laissa tomber sur son lit, pleurant silencieusement à son tour. Pourquoi la vie s'acharnait-elle sur elle ? D'abord son père, ensuite Damien et maintenant... L'autre était enceinte ! Alors que ses parents n'étaient même pas divorcés ! Adieu les rêves de réconciliation, cela ne se ferait jamais...

Son téléphona vibra à plusieurs reprises, elle le prit d'une main, essuya ses larmes avec l'autre.

Papa : Chérie, je suis désolé...

Papa : J'espère que vous allez bien.

Papa : Je pensais que vous seriez heureuses pour moi !

L'adolescente jeta son téléphone de toutes ses forces contre le mur.

Heureuses pour lui ? D'avoir ruiné leur vie ? Et celle de sa mère ? Non, cela n'arriverait pas !

Avant de s'éteindre définitivement, son téléphona tinta l'arrivée d'un nouveau mail. Émilie était déjà partie dans la salle de bain pour se débarbouiller. Cela faisait deux jours qu'elle n'avait pas lu un mail de Damien, mais elle avait l'esprit bien trop occupé.

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