Rien n'allait plus : il faisait froid, le vent soufflait, l'orage menaçait d'éclater, tout cela alors quel'été venait de commencer. Cessionmal grommela, rabaissa la capuche de sa longue cape noire sur ses cheveux bouclés, et accéléra l'allure. Il pleuvait ! Plic, ploc, plic, ploc, oui, aucun doute, il pleuvait. Les gouttes coulaient sur les vitres sales des fenêtres cabossées, martelaient les pavés de la ruelle usés par le temps,et éclaboussaient les bottes en cuir souple de la magicienne. Cess,d'humeur massacrante, lâcha un juron ; elle haïssait la pluie !Mais, après tout, c'était bien connu des magiciens : allez savoir pourquoi, ils étaient tous de mauvais poil les jours d'averse, à tel point que personne n'osait sortir de chez soi, par crainte d'en croiser un et de l'énerver. Cess n'échappait pas à la règle, bien sûr, et le mauvais temps lui tapait sur les nerfs.

Cependant, une chose l'agaçait plus que la pluie : Azca. Azca, comme elle, était une magicienne, une magicienne puissante en plus de cela. Loin de se ressembler, les deux femmes se détestaient : elles étaient des opposés, comme le Bien et le Mal. Et devinez qui représentait le Bien ? Azca, bien entendu. Cess avait trop détruit la ville des magiciens, Grimdonnara, pour revendiquer ce titre. Quel dommage !

Azca, comme tous les magiciens,détestait ce qui sortait de l'ordinaire, et il fallait bien avouer que son ennemie était une fouteuse de trouble professionnelle. Sans doute était-ce pour mettre un terme à ses agissements une fois pour toute, et reprendre une vie normale, qu'elle souhaitait l'affronter lors d'un dernier combat. Cess s'en mordait les doigts d'impatience.Les événements s'annonçaient fatals et destructeurs.

Et dire que cet affrontement avait lieu ce soir, un jour de pluie ! C'était mauvais signe.

Cess arriva au lieu de rendez-vous, en état d'alerte. L'endroit, piteux et déjà en morceaux - il se situait au cœur des quartiers Détruits - avait été choisi de manière à limiter les dégâts, précaution inutile, car la magicienne noire ne comptait pas retenir ses coups et ses sortilèges.

Elle détailla le décor autour d'elle,et baissa sa capuche, laissant la pluie fouetter sa peau blafarde, etle vent malmener sa chevelure épaisse. Hormis quelques lézards dans les crevasses des bâtiments à l'abandon, il n'y avait pas âme qui vivait.

Une ombre s'approcha. Azca.

Lorsque l'éclairage fut suffisant pour que l'on puisse distinguer les traits de la nouvelle venue, Cess fronça les sourcils : où qu'elle passait, Azca obnubilait tous les regards - sans doute un phénomène magique inexplicable. Elle était vraisemblablement, et objectivement, très belle : silhouette fine, chevelure soyeuse et brune, regard étincelant, teint pêche...Elle portait une longue robe bleu marine à moitié cachée par une grande cape qui l'emmitouflait. Et que dire de sa magie ! On la prétendait inéluctable, l'une des plus puissantes magies de notre siècle ! Azca, grâce au bâton magique qu'elle tenait dans sa main gauche, pouvait lancer des faisceaux de lumières destructeurs. Un terrible pouvoir.

La magicienne aux cheveux bouclés ferma un instant ses yeux pour se ressaisir. Je suis un mage noir, et je te jure, Azca, que tu vas en voir de toutes les couleurs. Elle sera les poings. Ne contrôles-tu pas l'air et le vent, Cess ?Affronte-la, qu'on en finisse. Elle prit une profonde inspiration, et se mit en position de combat.

— Ce mauvais temps ne joue pas en notre faveur, n'est-ce pas ? commença la brune, un sourire carnassier dessiné sur ses lèvres rouges.

— Parle pour toi.

Cess leva la paume, et un vent fort et bruyant s'engouffra dans la combe. Tu as vu comme je maîtrise bien mon élément, Azca ? Tu es jalouse, n'est-ce pas ? Ce combats'annonce plus compliqué qu'il n'y parait. Le regard de son ennemie s'obscurcit, et chassa toute trace de sarcasme :

— On va voir comment tu te débrouilles face à mon pouvoir, magicienne infernale !

Elle frappa le sol de son bâton magique, et une décharge électrique explosa près de Cess, qui l'esquiva in extremis en roulant sur le côté. Son bâton ! se dit-elle en se relevant habilement. Si j'arrive à le briser,elle sera à moi. Son adversaire réitéra son attaque, mais la magicienne aux cheveux bouclés la dévia grâce à une rafale de vent. Aussitôt, cette dernière se jeta en avant, dans l'espoir de se battre au corps à corps.

— Toujours aussi habile ! la provoqua l'autre en invoquant sa magie de plus belle.

L'explosion qui suivit ses paroles toucha un ancien restaurant. Il s'écroula dans un bruit sourd ; un nuage de débris et de poussière s'éleva dans les airs ; Azca éternua, et baissa un instant son arme magique, déconcentrée. Cess ne se fit pas prier : elle bondit, tendit ses mains, déstabilisa son ennemie d'une puissante rafale d'air, et lui donna un coup dans le ventre. La brune retrouva rapidement ses appuis, et pointa le bout -qui se révéla être aussi aiguisé qu'une lame - de son bâton.Elle fendit amplement l'air de coups de sabre pour tenir Cess à bonne distance.

La pluie redoubla d'intensité,s'abattant avec fracas sur les toits en ferraille des vieux bâtiments. Azca lui dédaigna un regard noir.

 — Qui es-tu, Cess, pour te permettre de perturber l'ordre des choses ?