« S'oublier »

Noir. Un noir d'encre. Je suis perdue. Seule, recroquevillée au milieu de cette barque ballotée par les flots, sans savoir de quel côté enfler ma voile, ni de quel côté orienter la barre. Tremblante, je scrute l'horizon obstinément plat, cette mince ligne bleu nuit bien trop régulière. J'ai froid. J'ai peur. Soudain, le vent se lève, et l'embarcation fait un bond en avant. Non ! Je me raccroche au mat, et des larmes tracent leurs sillons indélébiles sur mes joues tandis que le tonnerre gronde. Des trombes d'eau  se déversent alors sur mes cheveux glacés, la mer rugit, le ciel se marbre de cicatrices argentées, violacées, qui s'entrouvrent, déchirant la peau du firmament brumeux. Je n'y survivrai pas. Bientôt, les vagues s'abattent avec fracas au milieu du bateau, s'engouffrant dans ma bouche, se mêlant aux traînées d'eau salée sur mes joues. Au désespoir, je fouille des yeux l'océan dans toutes les directions, dans l'espoir d'un signe, une marque, de n'importe quoi. Et là, je te vois. Le phare. Mon phare. La seule lumière dans cet océan d'obscurité. Je t'aurais reconnu entre milles. Ce sourire chaud, au loin, ce faisceau blanc éclatant sur la rive, mon seul repère, mon seul ancrage au milieu de cette mer d'indécision déchaînée, cette mer de peur, de souffrance et d'hésitations. Alors je mets le cap sur toi. Je soulève les rames aussi vite que mes forces me le permettent, les larmes roulent, l'eau coule, mais je rame toujours. Encore. Et encore. Si bien que bientôt, j'aperçois la berge, tout près. Et je te vois. Ton sourire éblouissant. Le soleil qui joue dans tes mèches brunes ébouriffées. Je saute de ma barque et coure sur le sable fin, me propulsant de toutes la force de mon corps, de toutes l'énergie dont mes jambes disposent encore. Je t'ai retrouvé. Je hurle ton prénom. Tu ne réponds pas. Je m'arrête à quelques centimètres de tes yeux rieurs. Ils ne rient pas : ils me regardent, ils s'interrogent.
- John...!, je crie, alarmée.
Pas de réponse.
Cette question dans tes yeux perdus... Ce mouvement de recul quand j'avance une main vers toi...
Et soudain, je comprends. La mer retombe avec un bruit mat. Calme plat. Aussi brusque, aussi tranchant que cette réalité qui vient me frapper de plein fouet.
Cette évidence, que je ne peux déjà plus nier, et qui se résume en une phrase, qui martèle impitoyablement mon cœur en lambeaux :
Tu ne me reconnais pas.

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