La vague
NDA : Hello ! Ici Astu qui revient d'entre les morts spécialement pour vous, pour ce magnifique (non) OS écrit dans le sang et les larmes ! Petit disclaimer : ceci n'a rien à voir avec le livre / film « La vague », je trouvais juste que ce titre sonnait bien par rapport à ma fin, et au moins ça changera des titres à rallonge de ma descendance 👀 N'hésitez pas à me dire en commentaire ce que vous avez pensé de cet OS! (Pour ma part même si j'étais pas franchement convaincue au départ je suis plutôt satisfaite au final, donc profitez je ne dis pas ça souvent 👀)
Sinon, en tant que fière membre fondatrice, je suis heureuse de faire partie de la FSA, de me réveiller chaque matin avec 99+ notifications sur insta et de partager avec vous la souffrance des UA et des OS de dernière minutes~ Et j'espère être toujours là pour fêter notre deuxième anniversaire 👀
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Le ciel était bleu en cette belle journée de mai. Une brise fraîche sinuait entre les rues de Yokohama, transportant avec elle les doux effluves de rose et de géranium qui fleurissaient aux balcons des immeubles. Elle soulevait les quelques feuilles orangées qui n'avaient pas survécu aux gelées de mars, emportant leurs couleurs flamboyantes dans un endroit lointain, inconnu, inaccessible. Dazai aimait les regarder voler. Nonchalamment assis sur un banc asymétrique peint en rouge – l'œuvre d'un designer reconnu selon Kunikida – il laissait son regard ambré vagabonder vers l'horizon, tentant de suivre le trajet des folioles orangées par-delà les immeubles. Mais c'était vain. Peu importe combien il essayait, il finissait toujours par les perdre de vue.
Peut-être est-ce une fatalité.
Il y a bien longtemps, il avait connu quelqu'un dont la chevelure était elle aussi vive comme les flammes. Cet homme avait croisé son chemin, avait tourbillonné autour de lui pendant quelques instants avant d'être brusquement emporté par le vent pour terminer sa course dans un endroit qui lui était inaccessible. Dazai en voulait au vent pour lui avoir arraché la seule feuille qui comptait à ses yeux. Il le haïssait pour le contraindre à poursuivre sa vie sans lui, sa vie fade, monotone et dénuée de couleur sans cette note flamboyante à ses côtés. Il le haïssait car il fallait bien trouver un coupable, et que c'était beaucoup plus simple à encaisser si le coupable était quelqu'un d'autre que lui. C'était beaucoup plus simple de ne pas avoir à se dire que si le vent l'avait emporté, c'est qu'il ne l'avait pas tenu assez fort.
Poussant un profond soupir, il bascula sa tête vers l'arrière et laissa ses longues boucles brunes retomber mollement sur sa nuque. Les rayons brûlants du soleil le forcèrent à plisser les yeux si bien qu'il finit par fermer complètement les paupières, laissant libre court à ses pensées vagabondes.
Le ciel était bleu aussi quand je l'ai rencontré.
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Lorsque Dazai poussa la porte de son appartement, le soleil disparaissait déjà derrière les plus hauts gratte-ciels de la ville, teintant le ciel d'un doux camaïeu de rose. Sa vive lueur laissait petit à petit place à celle, plus ténue, de la lune ; marquant le passage dans le monde de la nuit, ce même monde qui l'avait vu grandir. Ce même monde où il avait entraîné Chûya dix ans auparavant.
Dix ans jour pour jour, songea-t-il en prenant place dans son large canapé en cuir.
S'ils avaient étaient toujours en contact, ils auraient sans aucun doute fêté cette date ensemble d'une manière ou d'une autre. Malgré ses plaintes et ses protestations, Dazai aurait traîné le rouquin à un quelconque festival ou fête foraine, l'aurait embarqué de force dans les montagnes russes et l'aurait soudoyé pour se faire offrir une barbe à papa ou n'importe quelle friandise qui aurait attiré son attention. Chûya l'aurait insulté, traité de maquereau aux poches percées avant de s'acheter lui-même la douceur tant convoitée sans aucune intention de la partager. Le brun aurait alors négligemment passé un bras autour de ses épaules, et aurait profité de la confusion pour dérober son précieux butin des mains de son partenaire. Chûya, passablement énervé, l'aurait poursuivi en déblatérant des insultes plus grosses que lui, et ils auraient probablement fini au fond de la rivière à force de se chamailler sur les quais.
Un léger sourire vint étirer ses lèvres ; triste, nostalgique, presque mélancolique. Il avait du mal à l'admettre, mais au fond de lui ces moments lui manquaient un peu.
Juste un peu.
Mais tout de même suffisamment pour qu'il se saisisse de son téléphone, compose le seul numéro qu'il avait jamais connu par cœur, et commence à taper nerveusement sur les touches, le cœur battant.
Il retint sa respiration lorsque l'icône « envoyé » s'afficha sous son message, et cette fois-ci ce fut un sourire franc et sincère qui s'afficha sur ses lèvres.
Un sourire grand comme l'espoir.
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1985 ou 1986 ? C'était la question qui préoccupait Chûya en cette douce soirée de mai. Assis face à la table de sa cuisine tout équipée, il contemplait les deux bouteilles de Pétrus d'un regard circonspect. Des papilles non initiées n'auraient vu aucune différence entre les deux, mais pour lui leurs goûts étaient aussi différents que le jour et la nuit. La saveur acidulée du 1985 contrastait avec celle, délicate et fruitée, du 1986 ; et la légèreté du dernier s'opposait au caractère du premier. Rien à faire, il ne parvenait pas à choisir. Poussant un soupir de résignation, il se leva avec lassitude et attrapa un second verre à pied qu'il posa à côté de celui qui trônait déjà sur la table, entre les deux bouteilles à moitié entamées. Il remplit le premier de 1985 et le second de 1986, puis en saisit un dans chaque main pour prendre place sur son canapé couleur crème.
Alors qu'il pensait avoir résolu le problème, il se retrouva face à un autre dilemme qu'il n'avait pas anticipé : devait-il commencer par le 1985 ou le 1986 ? D'un côté boire le 1985 en premier rendrait honneur à la puissance de son goût, mais cela ne ferait-il pas paraître le 1986 plus fade en comparaison ?
Sa réflexion fut interrompue par la sonnerie de son téléphone, indiquant qu'il avait reçu un texto. Il soupira d'agacement mais se saisit tout de même de l'objet, ne pouvant pas se permettre d'ignorer une potentielle information de son boss. Et, alors qu'il découvrait l'expéditeur du message, le verre de 1986 qu'il tenait dans sa main gauche se brisa au sol, comme une pluie de diamants ensanglantés.
Le maquereau, 20h52
Joyeux anniversaire ma limace ~
Tu veux jouer à un jeu ? (:
Chûya fronça les sourcils et répondit au tac au tac, presque aussi énervé par le précieux breuvage qui se répandait sur son parquet que par le fait que son ancien partenaire reprenne contact avec lui alors qu'il n'avait aucune envie de le revoir après tout ce qu'il lui avait fait.
Vous, 20h53
Tu te fiches de moi ???
T'as vraiment cru que j'allais accepter ta proposition débile ?
Après tout ce que tu as fait ?!!!
7 ans de silence et tu OSES revenir comme ça pour me proposer un JEU !!!
T'es vraiment qu'un pauvre con.
Et au fait, c'est pas mon anniversaire espèce de demeuré
De rage, il envoya son téléphone voler sur son tapis de marque, dont la couleur crème virait lentement à l'écarlate. Foutu Dazai. Même des années après, sans même être présent, il continuait de lui gâcher la vie. C'était inadmissible. Totalement inadmissible.
La sonnerie retentit à nouveau dans le silence de la pièce, indiquant que son interlocuteur avait déjà répondu.
Le maquereau, 20h53
Non, ce n'est pas ton anniversaire ma limace
C'est NOTRE anniversaire (:
Chûya faillit s'étouffer avec sa salive. Mais pour qui se prenait-il ?! Il composa rageusement une réponse tout en grinçant des dents.
Vous, 20h54
T'es sérieux là ?!!
T'as cru qu'on était mariés ou quoi ??!!!
Redescends un peu sur Terre stupide maquereau
La réponse ne se fit pas attendre.
Le maquereau, 20h54
On n'est pas en couple certes, mais c'est presque comme si ~
La preuve : je sais très bien que tu ne peux pas vivre sans moi (:
C'en était trop pour Chûya. Son téléphone vacillait entre ses mains tremblantes, alors que son sang pulsait à toute allure dans le moindre de ses vaisseaux sanguins. Il haïssait Dazai de le mettre dans cet état et, par-dessus tout, il se détestait lui-même de le laisser avoir autant d'impact sur lui. Cela lui avait même coupé l'envie de boire du vin.
Vous, 20h54
Va crever
Je ne rentrerai pas dans ton jeu à la con, suppôt de Satan
Le maquereau, 20h55
J'ai déjà essayé, mais ça n'a pas l'air de fort fonctionner puisque je suis toujours là ~
Tu le feras Chuu
Je sais que ça t'intrigue
Je sais que tes deux neurones solitaires sont déjà en train de se demander quelle folie j'ai encore pu inventer.
Chûya bouillonnait de rage. Cet imbécile le connaissait trop bien, à son plus grand dam. Evidemment qu'il mourrait d'envie de savoir quelle idiotie son esprit tordu avait encore inventée. Mais jamais, au grand jamais, il ne lui ferait le plaisir de lui demander. Il préférait encore se jeter sous un train. Il ignora donc le message et feignit de se concentrer sur autre chose, comme la tâche écarlate sur son tapis qui s'étendait de plus en plus. Mais au final, même ce fait qui en temps normal l'aurait rendu hystérique le laissait ce soir-là indifférent.
Il ne pensait qu'à Dazai.
C'était toujours pareil avec lui. Il débarquait dans sa vie tel un ouragan et détruisait tout sur son passage ; son égo, sa vitalité, sa stabilité, tout ce qu'il avait construit. Son bonheur, aussi. Il n'osait pas se l'avouer mais il se sentait seul depuis qu'il était parti. Terriblement seul.
C'est pourquoi son cœur se réchauffa légèrement lorsque la sonnerie de son téléphone retentit une nouvelle fois :
Le maquereau, 20h55
Rendez-vous demain, 10 heures tapantes, là où tout a commencé.
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La montre de Chûya indiquait 9h45 lorsqu'il pénétra le quartier sinistré dans lequel il avait grandi. Les murs de taule ondulée recouverts de bâches rafistolées côtoyaient quelques rares édifices de pierre insalubres, les uns et les autres étant surmontés d'une épaisse couche de saleté qui semblait impossible à déloger. La crasse semblait appartenir à cet endroit comme le luxe à la Mori Corporation. Elle était partout : dans les détritus qui jonchaient le sol, s'envolaient au vent et se déversaient dans les caniveaux ; dans les poubelles débordantes qui poussaient à chaque coin de rue, jusque dans les jointures terreuses des briques qui pavaient encore les routes les plus fréquentées. Les ruelles étaient silencieuses en cette heure matinale, seul le bruit du vent sifflant entre les plaques métalliques brisait de temps à autres la monotonie de la scène.
Chûya avait l'impression de pénétrer dans un cimetière.
Le cimetière de son passé, où était enterré celui qu'il avait été.
Il laissa son esprit dériver jusqu'à ce que le tintement discret de sa montre indique dix heures pile. Le cœur battant, il attendit la venue de son ancien partenaire avec le ventre noué et le souffle saccadé. Il avait beau tenter d'anticiper leur rencontre en imaginant les différents scénarios possibles, c'était inutile : Dazai était bien trop imprévisible. Il ne pouvait qu'attendre. Toujours attendre. Et c'était bien ça le problème.
10h35. Aucune trace de Dazai. Le ciel bleu s'était petit à petit couvert de nuages, rendant le décor encore plus triste qu'il ne l'était déjà. Toujours aucun bruit. Même le téléphone de Chûya restait désespérément muet. Il passait le temps en jonglant du pied avec une canette vide, mais il ne mit pas longtemps avant de se lasser de cette occupation.
11h02. Toujours rien. Chûya sortit pour la énième fois son téléphone de sa poche pour vérifier ses messages, mais l'écran d'accueil restait désespérément vide. Il donna un violent coup de pied dans la canette, l'envoyant valser sur une cahute en pierre dans un bruit métallique. La colère commençait à se figer sur les traits fins de son visage, crispant ses lèvres dans un rictus désagréable. Dazai l'avait abandonné. Une fois de plus. Il lui en voulait pour ça et par-dessus tout il s'en voulait d'y avoir cru. Il ne lui ferait même pas le plaisir de lui envoyer un texto dégoulinant de rancœur, cela ne servirait à rien de toute façon. Il préférait rentrer chez lui, et oublier tout ça autour d'un bon verre de vin. Si seulement c'était possible.
Il allait se remettre en route lorsqu'il aperçut un objet au reflet brillant à l'angle d'une ruelle. Intrigué, il se dirigea vers son emplacement d'un pas précautionneux, comme s'il craignait un traquenard ou autre piège des gamins désespérés du bidonville. Non pas qu'il ait peur d'eux, évidemment. Il n'avait simplement pas envie de devoir leur prendre la vie.
Lorsqu'il fut suffisamment proche, il discerna un petit porte-clé en verre – probablement l'objet qui avait attiré son attention – fixé au mur par un clou. Il était de couleur bleue, un bleu à mi-chemin entre le turquoise des lagons et le cyan de l'océan, portant en son centre le chiffre 1. Et, plus important encore, une enveloppe immaculée lui était accrochée, une limace approximativement dessinée sur les lignes du destinataire. Tout en marmonnant des insultes dans sa barbe, Chûya arracha l'enveloppe de son support et l'ouvrit avec empressement, le cœur battant.
La lettre qu'elle contenait était brève, et son contenu écrit à la main se résumait en quelques lignes :
« Tu pensais m'avoir trouvé ? Mauvaise pioche. Prochaine étape : le lieu de notre première mission ensemble. »
De rage, Chûya broya la note entre ses mains gantées, et l'envoya valser au loin entre les toits métalliques. Tout en grommelant, il tourna les talons et quitta le bidonville, les poings serrés dans les poches de sa veste noire. Il ne rentrait pas chez lui. Ses pas le menaient vers le hangar abandonné où il avait pour la première fois combattu aux côtés de Dazai. Leur premier affrontement ensemble. Leur premier partenariat. La naissance du Double Noir.
Il savait qu'il aurait dû laisser tomber et retourner à son appartement se saouler comme à son habitude. Mais il n'y parvenait pas. Dix ans après, il était toujours en quête de réponses.
Dix ans après, il ne parvenait toujours pas à tourner la page.
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Les enveloppes laissées par Dazai le guidèrent à différents lieux emblématiques de leur relation. Après le hangar, il fut conduit à la falaise où son entrée à la mafia avait été officialisée, au premier restaurant auquel ils avaient diné – celui qui servait les meilleurs œufs à la coque et les toasts au fromage les plus succulents ; au parc sillonné d'une rivière dans laquelle le brun avait tenté de se jeter pour la première fois depuis un canoë-kayak, en passant par la forêt sur le bord de la nationale où ils s'étaient arrêtés camper pour poursuivre un opposant ; pour finir à la nuit tombée dans une ruelle sombre de la métropole, en face de l'enseigne clignotante d'un bar peu fréquenté.
Le Lupin, pouvait-on y lire.
Chûya fronça les sourcils et parcourut les alentours d'un regard méfiant, s'attendant presque à voir surgir son ancien partenaire d'un amas de sacs poubelle. Mais il n'en fut rien. La rue restait désespérément silencieuse, toutes lumières éteintes et tous volets fermés. Seules les loupiotes grésillantes du Lupin apportaient un peu de vie dans cette nature morte, un peu de chaleur dans ce paysage glacial. Alors que de fines gouttes de pluies commençaient à rebondir sur les bords de son chapeau, il se décida à pénétrer à l'intérieur.
A peine eut-il refermé la lourde porte en chêne qu'il eut l'impression d'être propulsé dans une autre dimension. L'atmosphère chaleureuse qui se dégageait du lieu contrastait fortement avec la froideur de l'extérieur. Le sol et les murs étaient recouverts de lattes de bois, semblant faites de la même matière que le bar qui se dressait au fond de la pièce. Quelques petites tables étaient placées à distance raisonnable les unes des autres, permettant aux couples qui discutaient à voix basse de conserver leur intimité. Une guirlande lumineuse suspendue au plafond apportait une lumière tamisée, suffisante pour disposer d'une bonne vision sans toutefois s'agresser la rétine. Cela avait beau être la première fois que Chûya pénétrait en ces lieux, ils lui semblaient étonnamment familiers. Presque comme sa maison.
Un seul homme était installé au bar en lui tournant le dos, et, lorsqu'il l'aperçut, le cœur de Chûya manqua un battement. Un long imperméable beige posé sur ses épaules, il agitait distraitement le verre de whisky surmonté d'un glaçon qu'il tenait dans sa main droite. Une main recouverte de bandages. Une main qu'il aurait reconnue entre mille, même des années plus tard.
Chûya l'observait depuis l'entrée du bar, incapable du moindre mouvement. Il avait espéré ces retrouvailles pendant de nombreux mois, s'était rejoué le scénario dans sa tête des centaines de fois jusqu'à la moindre question, le moindre geste, la moindre ponctuation. Pourtant, maintenant que l'heure était venue, maintenant que la balle était entre ses mains, il n'avait soudainement plus envie de la lancer. Il se demandait si finalement, ce n'était peut-être pas mieux que certaines questions restent sans réponse. Si les faux espoirs n'étaient pas mieux que la désillusion.
Tout en réfléchissant, il laissa son regard s'attarder sur le profil de son ancien partenaire, cherchant à évaluer combien il avait pu changer depuis la dernière fois qu'il l'avait aperçu, deux ans auparavant. Sa carrure semblait s'être élargie – où peut-être était-ce son imagination, et ses cheveux avaient l'air plus courts que dans son souvenir. Avait-il laissé pousser sa barbe ? Ses traits s'étaient-ils durcis à nouveau ? Et plus important encore, ses yeux brillaient-ils toujours de la même lueur, celle qu'il empruntait aux étoiles et qui embrasait son cœur chaque fois qu'il les voyait ?
Il voulait savoir. Il avait besoin de savoir. Savoir si malgré tout il était toujours le même. Savoir s'il était toujours l'homme qu'il avait aimé.
Alors il prit son courage à deux mains, inspira profondément et s'avança vers lui d'un pas hésitant. Lorsqu'il arriva à sa hauteur, Dazai n'avait pas bougé d'un pouce. Son regard mordoré fixait distraitement le liquide ambré qui se balançait doucement dans son verre au gré des mouvements de sa main. Chûya l'observa quelques instants sans rien dire, comme hypnotisé, avant de briser le silence. Ce n'était qu'une formalité de toute façon. Dazai avait sans aucun doute déjà remarqué sa présence. Il remarquait toujours tout, tout sauf le plus évident.
– Hey, lâcha-t-il d'un ton qu'il voulait nonchalant.
Dazai resta silencieux. Il n'esquissa même pas un geste vers lui, pas le moindre souffle, pas le moindre regard. Chûya en vint à se demander s'il avait vraiment parlé à voix haute ou si c'était juste son imagination. A défaut de pouvoir quitter la pièce, il s'assit à ses côtés sur un siège vacant, et commanda rapidement un verre de vin avant de retourner à son observation furtive. Le visage de son ancien partenaire lui était encore incroyablement familier sans pour autant être resté complètement le même. Il y avait quelque chose en lui, dans les traits de son visage et dans l'éclat de ses yeux, qui avait changé sans qu'il ne puisse mettre le doigt dessus. Peut-être qu'il était plus apaisé, tout simplement.
Sa réflexion fut interrompue par la voix de Dazai, un simple murmure qui pourtant résonna de nombreuses secondes dans son esprit.
– Hey, Chûya.
Son cœur s'accéléra brutalement, bercé par l'espoir d'avoir enfin une conversation à cœur ouvert avec cet homme qui avait hanté ses nuits et ses jours pendant si longtemps. Espoir qui fut malheureusement envolé lorsque Dazai reprit la parole, un sourire espiègle au coin des lèvres.
– Excuse-moi, chantonna-t-il, tu es si petit que je ne t'avais pas vu arriver.
Mensonge. Un ancien mafieux ne laisserait jamais quelqu'un s'approcher si près de lui sans le remarquer. Mais étrangement cela ne le faisait pas se sentir mieux, au contraire. Cela lui prouvait juste qu'il n'avait pas changé d'un pouce et qu'il était toujours prêt à mentir rien que pour lui faire du mal. Toutefois, il n'avait pas le courage de se mettre en colère ce soir. Il avait passé sa journée entière à suivre ses stupides lettres, ignorant les appels répétitifs de Kôyô et Mori, uniquement pour obtenir des réponses, pour pouvoir enfin tourner la page. Pas pour s'embourber une énième fois dans une dispute houleuse agrémentée d'insultes en tout genre, qui avait autant de chances de finir dans la fraîcheur du fleuve que dans la chaleur de l'alcool. Il y avait un temps pour tout. Et ce soir-là, après avoir ruminé sa colère toute la journée pour finalement la voir disparaître, il se sentait juste vide. Un vide teinté de désillusion.
– Va te faire voir, marmonna-t-il d'un ton las en tournant les talons. Je pensais que tu aurais grandi depuis toutes ces années mais il semblerait que j'ai placé trop d'espoirs en toi.
Il marqua une courte pause, rassemblant son courage, avant de poursuivre avec amertume :
– Si c'est tout ce que je t'inspire, je pense que nous n'avons plus rien à nous dire. Peut-être que ça a toujours été le cas, après tout. Peut-être que nous n'avons jamais rien eu à faire ensemble.
Il baissa les yeux en s'éloignant, ne pouvant pas tolérer le rictus narquois qui s'affichait probablement sur les lèvres du brun. Il eut une légère pensée pour le verre de vin qu'il avait commandé et dans lequel il n'avait même pas pu tremper ses lèvres, mais celle-ci disparut rapidement, recouverte par le vide glacial.
Vide qui se réchauffa légèrement lorsque la main de Dazai se referma sur son poignet, à sa plus grande surprise.
– Attends, Chûya...
– Lâche-moi ! coupa-t-il d'une voix forte, sans même se soucier des autres clients qui le dévisageaient en silence. Je suis las de tes moqueries à répétitions, de tes plaisanteries et de tes traquenards foireux qui ne font rire que toi ; je ne veux plus être le dindon de ta farce.
Il se retourna face à lui et planta son regard céruléen droit dans le sien avant de poursuivre dans un flot de paroles libératrices :
– Tu sais quoi ? J'avais espoir que dix ans après notre première rencontre je pourrais enfin avoir une conversation sérieuse avec toi, et pouvoir te poser toutes les questions restées en suspens. Mais il faut croire que j'ai eu tort. Il faut croire que j'ai eu tort d'espérer de toi que tu grandisses un peu et que tu cesses de te reposer sur ces plaisanteries stupides pour te sentir exister. Je ne suis plus celui que tu as connu, Osamu Dazai. Je suis prêt à faire des efforts, la preuve j'ai suivi tes lettres débiles toute la journée et je me retiens actuellement de te sauter au cou pour t'égorger.
Il s'arrêta quelques instants pour reprendre son souffle sous le regard ébahi de Dazai, avant de terminer d'une vois plus posée :
– Quand j'ai lu ton dernier message, j'ai cru que toi aussi, tu étais prêt à faire un pas vers moi. Maintenant à toi de me le prouver.
Seul le silence répondit à son discours enflammé, Dazai l'observant depuis son siège de bar de son habituel regard énigmatique. C'était déjà un bon début. Ça voulait dire qu'il réfléchissait. Ils s'observèrent quelques instants sans rien dire avant que Dazai ne reprenne la parole dans un rire gêné.
– Eh bien, je dois dire que je ne m'attendais pas à ça... avoua-t-il en se grattant nerveusement la nuque.
Chûya fronça les sourcils. Les fois où il avait vu son ancien partenaire montrer des signes de nervosité se comptaient sur les doigts d'une main.
– Mais je suppose que tu as raison, remarqua-t-il finalement d'une voix inhabituellement douce. Oda m'a toujours dit que je ne savais pas prendre soin des gens, que je me réfugiais dans la moquerie pour ne pas avoir à affronter mes sentiments. Il disait que j'avais peur d'eux. Qu'ils me rendaient vulnérables.
– Dazai, Oda est mort il y a plus de cinq ans maintenant...
– Je sais, coupa le concerné, une lueur mélancolique dans le regard. Je sais. Mais il faut croire que rien n'a vraiment changé depuis.
Chûya baissa les yeux, soudainement mal à l'aise. Il avait parlé sans réfléchir, plus pour vider son sac que pour réellement engager le dialogue, et était gêné de la tournure personnelle que prenait leur conversation. Pourtant, il était hors de question de fuir. Il avait passé toute sa vie à garder ses sentiments pour lui, à tenter de les enfouir au plus profond de son être pour que personne ne puisse les atteindre sans vraiment y parvenir ; et tout ça pour quoi ? Pour finir dévoré par le vide. Il fallait que ça cesse. Il fallait qu'il ose être vulnérable, lui aussi.
– Peut-être qu'ensemble on pourrait changer quelque chose, murmura-t-il du bout des lèvres. Changer pour le mieux.
Il crut un instant que ses mots s'étaient perdus dans la mélodie diffusée par les haut-parleurs, avant que Dazai ne se lève doucement de son siège et repose son verre vide sur le bar pour s'approcher de lui. Chûya observa sans rien dire sa longue silhouette se déplier et s'approcher de lui, lentement, très lentement, comme la vague qui s'approche du phare en pleine tempête. Prête à tout dévaster sur son passage.
La main de Dazai se glissa dans la sienne, emprisonnant ses doigts entre les siens avec un mélange de force et de douceur, alors qu'il lui redressait le menton de l'autre main pour planter son regard dans le sien.
– Ça vaut le coup d'essayer, tu ne penses pas ?
Chûya resta muet, complètement abasourdi. Il senti le rouge lui monter aux joues, et tenta de se convaincre mentalement que c'était la faute de l'alcool avant de se souvenir qu'il n'avait même pas touché à son verre. Foutu Dazai. Il rendait ses membres mous comme des marshmallows passés au four, et son cœur affolé comme un oiseau en cage.
Alors pour toute réponse, il s'éleva sur la pointe des pieds et déposa tendrement ses lèvres contre les siennes, leurs doigts toujours entrelacés.
Pendant longtemps il avait rêvé de ce baiser. Il avait rêvé d'embrassades fougueuses, emplies d'ardeur et de passion ; s'était imaginé leurs corps gravitant l'un autour de l'autre comme le soleil et la lune lors d'une éclipse ; s'était vu se perdre dans la contemplation de ses courbes jusqu'à ce que la folie le gagne.
Pourtant, ce qu'il vivait actuellement n'avait rien à voir avec tout ce qu'il avait pu imaginer. Il ne s'agissait pas de passion, ni même de désir. C'était de la rédemption. Des mots sur des années de non-dits, de sentiments inavoués et d'excuses informulées.
Un baiser qui voulait dire « essayons à nouveau ».
Une vague qui venait tout détruire, pour tout recommencer.
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