Chapitre 34

Lorsqu'elle se réveilla, Lyssandra crut pendant un instant qu'elle était morte. L'obscurité régnait autour d'elle, et elle sentait un bois dur s'enfoncer dans son dos. Il lui vint à l'idée qu'elle se trouvait peut-être dans un cercueil, après que Dame Miranda l'ait enterrée vivante. Mais les hautes poutres du plafond qui s'élevaient au-dessus d'elle contrarièrent cette possibilité.

Remuant légèrement la tête, elle se rendit compte qu'elle était allongée sur le sol d'une pièce inconnue. Le parquet foncé était sale, jonché de cadavres de petits insectes. La jeune fille tenta de se redresser sur ses coudes, mais ressentit une douleur dans tous ses membres. On aurait dit qu'elle venait de faire l'aller-retour jusqu'à la Terre des Vampires sans s'arrêter. De plus, sa tête se mit à lui tourner et une vague de nausée l'assaillit. Elle prit quelques inspirations pour chasser ces troubles, puis fit le tri parmi ses idées.

Quelle était la dernière chose dont elle se souvenait ? Julian. La Nuit des Bagues. Sa transformation. Sa non-transformation. La princesse des vampires. Dame Miranda. Des images lui revenaient en mémoire de manière aléatoire, sans qu'elle ne parvienne vraiment à les remettre dans l'ordre. Elle trouva suffisamment de jugeote pour remarquer qu'elle ne portait plus sa magnifique robe bleue, mais une des simples tenues qu'elle revêtait tous les jours. Et si tu avais tout rêvé ? Cependant, elle ne parvenait pas à bouger son poignet droit, des bleus jonchaient encore ses bras, et elle ne pouvait prendre appui que sur l'un de ses pieds. C'est en essayant de tendre une main vers ce dernier qu'elle constata que ses doigts étaient agités de tremblements.

Comprenant que se lever n'était pas envisageable dans l'immédiat, elle jeta un regard circulaire sur la pièce dans laquelle elle se trouvait. L'endroit était sombre, et uniquement éclairé par quelques chandelles installées dans des bougeoirs en cuivre. Face à la forme triangulaire du plafond, Lyssandra en déduisit qu'elle était sous un toit. Les innombrables caisses entreposées de tous les côtés lui confirmèrent qu'il s'agissait d'un grenier. Le grenier du palais ? se demanda-t-elle. Or, elle savait très bien que ce n'était pas le cas.

Elle devait se trouver dans le grenier du manoir de Dame Miranda.

Le petit détail qui l'embêtait, c'était que depuis les dix-huit ans qu'elle avait passés en ces lieux, jamais elle n'avait entendu parler d'un grenier. Sa chambre se trouvait sous les toits, et même si elle était minuscule, la Neutre n'avait jamais songé qu'il puisse y avoir une autre surface habitable à ce dernier étage. Maintenant qu'elle y réfléchissait et qu'elle parvenait à concentrer ses pensées sur un même sujet, elle se souvenait aussi qu'il n'y avait que sa porte sur le palier. Peut-être qu'en fin de compte, tu n'es pas chez Dame Miranda. Mais cela lui paraissait impossible.

De là où elle était étendue, elle ne pouvait voir aucune issue, ni aucune source de lumière extérieure. Il y avait juste un minuscule hublot en verre, mais qui donnait sur les tuiles du toit. C'est alors que la jeune fille eut un déclic. Ce n'est pas possible, ce n'est pas possible, se répétait-elle en sentant une vague de panique la submerger.

Difficilement, elle s'obligea à se traîner vers ce hublot, en prenant appui sur ses pieds le moins possible. Elle trouva la force de se hisser sur une chaise à moitié dépaillée, puis observa à travers la minuscule ouverture. Le verre était si épais qu'il aurait été impossible de le fissurer, et encore moins de le briser. Lyssandra distinguait simplement les tuiles noires qui le recouvrait, sans qu'elle puisse apercevoir la moindre vue au-delà. Aucun rayon du soleil ne transperçait les interstices entre les petites plaques, mais peut-être faisait-il toujours nuit. Combien de temps était-elle restée inconsciente, au juste ?

Toujours sonnée, elle laissa tomber sa tête contre la vitre froide. Elle n'arrivait plus à suivre tout ce qui lui arrivait. Elle ne comprenait pas pourquoi sa mutation n'avait pas fonctionné, comment elle avait pu se retrouver à poignarder la princesse des vampires, pourquoi avait-il fallu que Dame Miranda lui mette la main dessus, pourquoi elle se trouvait dans ce fichu grenier... Une seule envie demeurait : retomber dans l'inconscience. Au moins n'avait-elle pas à affronter tous ces problèmes lorsqu'elle était endormie.

Sauf que non. Elle ne pouvait pas se laisser aller et tout abandonner. Il lui restait Julian. Il lui avait promis qu'il serait toujours avec elle, quoi qu'il puisse arriver. Même s'il lui avait menti et qu'il n'avait pas été aussi honnête qu'elle ne l'avait cru, il tenait à elle. Il le lui avait dit, et elle le croyait.

C'est le fils du Grand Alpha. S'il le veut, il doit bien avoir les moyens de retrouver le manoir de Dame Miranda. Il va venir te chercher. Même si elle détestait l'idée de devoir attendre que quelqu'un vienne la sauver, c'était pour le moment tout ce qu'elle pouvait faire. Elle était bien trop faible pour tenter quoi que ce soit, et elle ferait mieux de davantage se reposer. La jeune fille aurait volontiers accueilli le sommeil, sauf qu'une petite voix ne cessait de lui murmurer un fait qu'elle ne pouvait ignorer. Et si ce hublot n'avait pas toujours été masqué par des tuiles ? Et si Hilda avait vraiment vu Rosaley ? Elle ne savait absolument pas quoi penser de tout cela, et n'était pas certaine de vouloir vraiment réfléchir à ce que ces potentielles révélations impliquaient.

Ôtant son front de la vitre, elle examina ce grenier plus attentivement. Il était assez grand, malgré toutes ces caisses en bois qui l'encombraient. Les murs devaient autrefois être de couleur crème, mais le temps les avait jaunis et les araignées se s'étaient pas gênées pour tisser leurs toiles dans tous les angles. Au-delà des caisses, Lyssandra remarqua une vieille paillasse devant dater du siècle dernier. Un tuyau sortait également du toit et débouchait dans un bac en cuivre qui s'apparentait à une baignoire. Cet endroit semblait avoir été aménagé pour abriter quelqu'un dans les conditions les plus sommaires possibles. Comme si un véritable espace de vie avait originellement été prévu, mais que le constructeur s'était rétracté.

Si elle se trouvait réellement au manoir, comment Lyssandra avait-elle pu ignorer l'existence de cette pièce ? Alisée et Kristal la connaissaient-elles ? Comment cela se faisait-il qu'il n'y avait pas de porte ? La Neutre n'était tout de même pas apparue ici par la volonté de la Lune... Et puis pourquoi te mets-tu à penser comme une louve ? Depuis quand invoques-tu la Lune ?

Un bruit provenant du plancher sortit Lyssandra du tumulte étrange de ses pensées. Trois lames de bois du parquet venaient de se soulever. Une tête émergea rapidement de cette trappe, et la jeune fille s'insulta mentalement de toutes les insultes possibles. Pourquoi n'avait-elle pas eu la présence d'esprit de trouver un quelconque objet pour lui servir d'arme de défense ? Parce que tu es loin d'être en état de te battre.

— Ah, fit Dame Miranda après avoir fini d'escalader les fines marches en bois menant à la pièce. Déçue de voir que tu n'es pas morte.

Elle fit claquer les talons de ses bottines en se mettant debout, ce qui provoqua un léger sursaut chez Lyssandra. Ce bruit résonna quelques secondes dans sa tête, si bien qu'elle plaqua les mains sur ses oreilles. Cette faiblesse ne passa pas inaperçue auprès de la vampire, qui claqua violemment la trappe.

— Oreilles sensibles, n'est-ce pas ? s'amusa-t-elle en remontant ses gants noirs le long de ses bras. Cela te dissuadera peut-être d'avaler une nouvelle boîte entière de Fortifiants.

Elle portait une robe noire assez simple, n'ayant rien à voir avec celle qu'elle avait revêtue pour le bal. Ses longs cheveux roux foncé étaient relâchés sur ses épaules, ce qui relevait du rarissime.

— Il faut dire que se faire assommer n'aide pas non plus à garder une forme absolue, rétorqua Lyssandra après que ses acouphènes se soient dissipés.

Dame Miranda partit d'un petit rire narquois, puis se posa sur une des caisses en bois. La Neutre espéra que celle-ci se brise sous son poids, mais elle n'émit même pas un craquement.

— Que venez-vous faire ici ? demanda la jeune fille avec mépris. Finir le travail ?

Sa posture nonchalante n'avait rien de menaçant, mais Lyssandra savait qu'il fallait s'en méfier comme d'un serpent dissimulé par les hautes herbes.

— Tu ne poses pas les bonnes questions. Ne devrais-tu pas plutôt me demander où tu te trouves ?

Bien loin de vouloir rentrer dans son jeu, la Neutre ne répondit rien, se contentant de toiser la femme avec tout le mépris dont elle était capable.

— Très bien, soupira Dame Miranda d'un air théâtral. Puisque tu ne veux pas poser les questions, je vais te fournir directement les réponses. Que de gentillesse, ne crois-tu pas ?

Les chandelles projetaient d'étranges ombres sur son visage, anéantissant un côté dans les ténèbres, et faisant resplendir un autre dans la lumière. Mais cet effet ne trompait personne. Il n'y avait pas la moindre once de clarté dans cette âme sombre.

— Nous sommes au manoir, déclara-t-elle comme si c'était une merveilleuse nouvelle. Dans les combles, pour être plus exacte, même si j'imagine que ta piètre perspicacité avait déjà réussi à le deviner. De ce côté-ci, indiqua-t-elle en désignant vaguement un pan de mur, se trouve ton ancienne chambre adorée.

Lyssandra nota cette information dans son esprit, avant d'aussitôt déchanter. Pourquoi la vampire lui disait-elle cela ? Elle n'était pas assez stupide pour ne pas se douter que la jeune fille pourrait essayer de créer une ouverture. C'était comme si un stratège militaire révélait à l'ennemi toutes les failles de son plan.

— Je te préviens tout de suite, il n'y a aucun autre moyen de sortir d'ici que cette trappe. Si cela t'amuse d'essayer de la soulever, vas-y, je t'en prie.

Elle attendit un instant, mais la jeune fille ne bougea pas de sa chaise. Pas question de s'humilier en rampant par terre devant Dame Miranda. De plus, il devait certainement y avoir un piège.

— Décidément, se désola la buveuse de sang avec un petit sourire, tu n'es pas très coopérative. Au moins, ta mère s'agitait dans tous les sens comme une hystérique lorsque je l'ai enfermée ici.

Lyssandra sentit son sang bouillir dans ses veines. Alors tout était vrai. Hilda avait réellement vu Rosaley derrière ce hublot, même si ces tuiles qui le recouvraient rendaient cette possibilité étrange.

— Ma mère n'est pas morte quelques heures après ma naissance, n'est-ce pas ? gronda la Neutre en trouvant la force de légèrement se redresser. Vous avez fait croire à tout le monde que c'était la fièvre qui l'avait emportée, alors que c'est vous qui l'avez tuée.

Ce n'était pas une interrogation, mais une certitude. Dame Miranda n'eut pas la plus petite réaction.

— Si tu crois que c'est aussi simple ! ricana-t-elle. Rosaley était réellement malade, je n'ai pas menti à ce sujet. Prononcer et entendre son prénom ne m'avait pas manqué, ajouta-t-elle en grimaçant.

— L'unique chose que je me demande, cracha Lyssandra avec le peu des forces qu'il lui restait, c'est pourquoi vous me gardez en vie. Pourquoi m'enfermer ici, alors que vous savez très bien que Julian va faire tout ce qui est en son pouvoir pour me retrouver ?

La vampire éclata d'un rire tonitruant, ce qui fit une nouvelle fois sursauter la jeune fille. 

— Je suis obligée de reconnaître que tu as tapé fort, avec ton cher petit Julian, admit Dame Miranda en examinant ses gants. Ta mère avait déjà placé la barre assez haute avec le frère d'une alpha, mais toi, tu as carrément eu le fils du Grand Alpha ! Toutes mes félicitations. Même Alisée n'avait pas atteint ce niveau.

Elle frappa dans ses mains, avant de s'esclaffer de nouveau.

— En plus, ce pauvre diable doit s'être sacrément entiché de toi, reprit-elle d'un ton détaché. Lui et des soldats ont débarqué au manoir dès ce matin. Ils ont fouillé toute la demeure, et ce petit louveteau m'a même menacée. Sans parler de sa sauvage de mère qui s'est crue obligée de sortir un de ses jolis poignards...

Lyssandra n'en croyait pas ses oreilles. Julian était donc déjà venu ? Et il avait envoyé toute une armée pour fouiller le manoir ? Dans ce cas-là, comment cela se faisait-il qu'il ne l'avait pas trouvée ? Et puis, elle ne pouvait pas avoir passé la journée à dormir sans entendre le moindre bruit.

— C'est impossible, balbutia-t-elle. Je... Je l'aurais forcément entendu... Il m'aurait forcément trouvée !

— Si cela peut te rassurer, je crois qu'il a prévu de revenir demain. Avec encore plus de soldats. Tu auras tout le loisir de tapper contre les murs et de l'appeler désespérément si cela te chante.

La jeune fille n'y comprenait rien. Où se cachait le piège ?

— Vraiment, reprit la vampire avec désinvolture, je ne sais pas ce que tu lui as fait pour qu'il soit autant entêté à te retrouver. J'ai eu beau lui répéter que je ne t'avais pas revue lors de la soirée, il n'en a pas cru un mot. Il faut dire que cette petite garce d'Alisée a jugé bon d'ajouter son grain de sel. Elle croyait que je ne les entendais pas, et a dit à ton prince-garou qu'elle t'avait vue après minuit, dans la salle réservée aux vampires. Mais ne t'en fais pas pour elle. Ses petites-nièces y perdront peut-être un poignet... ou alors un oeil, j'avoue hésiter.

Le sang de Lyssandra se glaça. La cruauté de Dame Miranda dépassait tout ce qu'elle avait imaginé.

— Alors c'est tout ce que vous êtes bonne à faire ? Du chantage ? Vous menacez les petites-nièces d'Alisée et pour Kristal, que faites-vous ? Vous la priveriez de nouvelles robes ?

— Pour Kristal, c'est encore plus facile. Elle sait parfaitement qu'en ayant été transformée à un si jeune âge, elle ne peut rien espérer de la vie. Aucun homme, de quelque espèce qu'il soit, ne voudra jamais d'elle. Pourtant, c'était son plus grand rêve. Devenir une vraie femme du monde et se balader au bras de son riche mari. Comme elle est bien trop fainéante pour travailler et salir ses douces mains, elle sait que rester à mes côtés sans faire de vagues est la meilleure chose qui puisse lui arriver.

La Neutre persistait à croire qu'il devait bien exister d'autres vampires transformés à l'âge de Kristal, mais la petite rousse n'était pas sa principale préoccupation du moment.

— Et pour moi, que comptez-vous faire ? Si vous aviez réellement voulu me tuer, vous l'auriez déjà fait.

La vampire ricana, mais cette fois, Lyssandra ne sursauta pas.

— Ne te fais pas trop d'illusions. J'ai bien l'intention d'en finir avec toi, sauf que pour le moment, disons que je rencontre le même problème qu'avec ta mère...

Elle ne poursuivit pas, attendant certainement que la jeune fille la supplie d'être plus claire sans ses propos. Or, elle n'en fit rien.

— Si je dois vraiment mourir bientôt, déclara-t-elle avec toute la fermeté dont elle était capable, alors il y a une chose que j'aimerais savoir.

Dame Miranda la fixa, une expression indéchiffrable gravée sur son visage.

— Pourquoi me détestez-vous autant ?

C'était la question que Lyssandra s'était posée un nombre incalculable de fois. Qu'avait-elle fait pour que la buveuse de sang la haïsse à ce point ? Elle voulait bien croire que Dame Miranda ne devait pas être d'une nature bien charitable, mais elle avait toujours senti que derrière sa haine et son mépris, se cachaient des raisons bien plus personnelles.

— Peut-être parce que tu as réduit à néant l'unique source de bonheur que j'aie connu en mes deux cents quarante-cinq années d'existence.

La vampire avait prononcé cette phrase avec un sérieux qui détonnait avec son attitude jusque-là désinvolte. Lyssandra tenta de comprendre le sens de ces paroles, sans succès.

— Et qu'ai-je donc fait pour anéantir votre bonheur ? s'emporta-t-elle en réajustant sa posture sur sa chaise. J'ai toujours tout fait pour vous satisfaire ! Je vous ai offert mon sang pendant des années, j'ai effectué toutes les corvées que vous m'avez imposées, et cela même si j'étais parfois au bord de l'épuisement. J'ai supporté tous vos actes ayant pour but de me rabaisser, de m'humilier, de me faire comprendre que je n'étais rien et que je ne serai jamais rien de plus qu'une misérable Neutre insignifiante.

Dame Miranda l'écoutait sans afficher la moindre réaction. Les mots sortaient tous seuls de la bouche de la jeune fille, implacables, restés tus depuis bien trop, trop, longtemps.

— Vous avez passé dix-huit ans à me mettre dans la tête que mon existence n'avait aucun sens, que j'étais si inintéressante que jamais personne ne pourrait m'accorder le moindre intérêt. Et le pire, c'est que j'avais fini par vous croire ! Sauf que vous vous trompiez. Le problème, ce n'est pas moi, mais vous. Vous êtes si cruelle, si insensible à la souffrance que vous répandez autour de vous, que vous n'afficheriez pas une once de sympathie envers votre prochain, même si cette personne ne souhaitait que votre bien. Alors ne prétendez pas que j'ai anéanti votre bonheur, parce que c'est tout le contraire. C'est vous qui avez ruiné le mien.

Lyssandra ne savait pas si c'était le coup qu'elle avait reçu sur la tête qui lui avait fait perdre toute notion de danger, mais elle ne regrettait pas un seul mot. Elle avait parfaitement conscience d'avoir dépassé les bornes, et le pire, c'était qu'elle les aurait franchies une nouvelle fois sans hésiter. Il lui était impossible d'entendre qu'elle était la cause du malheur de Dame Miranda, alors que la vampire lui en avait tant infligé.

La buveuse de sang resta silencieuse quelques instants, sans trahir la plus petite émotion. Lorsqu'elle reprit la parole, sa voix était d'un calme déconcertant :

— Ton problème, pauvre sotte, c'est que tu parles sans avoir la moindre idée de ce que tu racontes. Tu me fais passer pour la méchante, alors que tout le monde sait que ce rôle varie selon les différents points de vue. Dans mon histoire, je ne suis pas celle qui tourmente la douce héroïne innocente. Ta mère, en revanche, excellait à ce poste.

Elle ne pouvait s'empêcher de grimacer à l'évocation de Rosaley. Si Lyssandra l'avait pu, elle se serait levée pour lui arracher cet affreux rictus des lèvres.

— Très bien, fit-elle cependant en essayant de contenir sa rage. Je veux bien croire que les choses ne soient pas toutes blanches ou toutes noires. Puisque vous semblez si persuadée d'y occuper le beau rôle, racontez-moi votre histoire. Vous me devez bien ça, après tout.

Elle s'attendait à tout moment à ce que la vampire se jette sur elle et lui plante ses canines dans le cou. Après tout ce qu'elle avait dit, cela n'aurait pas été étonnant que Dame Miranda la remette à sa place. Elle ne s'était pas gênée de le faire pour moins que ça. Néanmoins, elle restait parfaitement calme, ce qui en était tout aussi glaçant.

— Je vais te raconter cette histoire. Non pas car je te le dois, mais parce que je veux que tu prennes conscience de tout le mal que ton existence a causé autour de toi. Mais je dois te prévenir d'une chose.

Elle afficha un petit sourire terrifiant, et la Neutre sentit un irrépressible frisson la parcourir. Elle attendit sa sentence, sans dire un mot.

— Toutes les personnes qui sont au courant de ce que je vais te raconter sont mortes.

Même si la douleur était toujours accrochée à son corps, même si elle avait envie de s'enfuir de ce maudit grenier, même si elle était beaucoup plus terrifiée par sa situation qu'elle ne le laissait paraître, Lyssandra éclata de rire.

— Vous allez me faire croire que ma mort ne fait de toute façon pas partie de vos plans ?

Le sourire de la vampire s'élargit, puis elle se releva doucement. Elle s'avança vers la jeune fille, qui ne put s'empêcher de trembler face aux souvenirs de tous les coups qu'elle lui avait assénés.

— Si tu trembles déjà, alors qu'est-ce que ce sera lorsque tu auras vu tout ce que j'ai à te montrer ?

Lyssandra resta silencieuse et tâcha de se calmer. Te montrer ?

— Allons, susurra Dame Miranda en ôtant l'un de ses gants, pourquoi se contenter du son, lorsque l'on peut avoir les images ? Tu sais bien que les vampires âgés de plus de deux cents ans possèdent un certain pouvoir assez intéressant...

Ne voulant pas admettre qu'elle ignorait complètement de quoi elle parlait, la Neutre ne répondit rien. Elle commençait sérieusement à regretter sa curiosité, d'autant plus lorsque la vampire appliqua deux de ses doigts glacés sur sa tempe. Elle esquissa un mouvement de recul, mais sa tête heurta le hublot derrière elle. 

— Tu veux savoir pourquoi je te déteste autant ? Parfait. Je vais commencer par te montrer un temps où Dame Miranda n'existait pas. Où il n'y avait que la petite Mandy, et ses stupides rêves de gloire et d'amour. Sauf que si elle a trouvé l'un, l'autre lui a complètement échappé.

Sur ce, la buveuse de sang ferma les yeux, maintenant son contact avec la tempe de Lyssandra. Peu à peu, les pensées de cette dernière s'éparpillèrent, laissant place à de drôles d'ombres floues, qui devinrent lentement plus nettes. Son esprit se retrouva ensuite envahi d'images qui ne lui appartenaient pas.

Des images qui allaient certainement la hanter jusqu'à la fin de ses jours.

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