Chapitre 28

Heureusement que tu n'es pas chargée de balayer cet escalier. Telle fut la première pensée de Lyssandra en découvrant les innombrables marches en pierre qui se dressaient devant elle. Elle était si époustouflée qu'elle ne fit pas tout de suite attention au valet qui lui demandait de se décaler.

— Mademoiselle ? Mademoiselle, répétait-il poliment, pouvez-vous avancer de quelques pas, je vous prie ? Vous risquez de vous faire piétiner par le carrosse suivant.

Aveuglé par la sublime robe de la jeune fille, il devait certainement la prendre pour une louve de haut rang. Il fallait dire que dès que Lyssandra s'était extirpée de son véhicule, sa tenue s'était déployée autour d'elle avec légèreté, dans un tourbillon de tulle et de mousseline bleus. Les brillants du bustier scintillaient pareils à des étoiles dans une nuit obscure, et de jolies bretelles retombaient sur les frêles épaules de la Neutre. Cela aurait été un outrage que de jeter un coup d'oeil au bracelet d'une si élégante personne.

— Excusez-moi, bredouilla-t-elle tout en continuant à contempler les escaliers.

La largeur de ceux-ci permettait de les diviser en quatre passages, formant quatre files d'attente bien distinctes. Elles étaient séparées par des chaînes faisant office de rampes, où s'appuyaient certains convives. Un valet était posté au bas de chaque file, tenant en main une pancarte qui indiquait à quelle espèce elle était réservée. Tout à fait à gauche se trouvait celle des vampires. Ces derniers n'étaient pas très nombreux, si bien qu'ils avaient simplement à monter les escaliers et à présenter leur carton d'invitation. Il n'y avait donc aucun risque pour que Dame Miranda soit sur les marches, mais Lyssandra prit tout de même la peine de s'en assurer.

Juste à côté de la file des buveurs de sang, un valet tenait un écriteau où il était inscrit "Loups-garous". Des dizaines de lycanthropes en tenue de soirée étaient plantés sur les marches, attendant que ceux qui se trouvaient devant eux aient fait valider leur invitation.

— Beaucoup essayent de créer de faux cartons, expliqua Hilda tandis qu'elle dirigeait Lyssandra vers la troisième file, celle réservée aux "Invités spéciaux". C'est pour cela que ça prend pas mal de temps. Les gardes doivent s'assurer que chaque loup est bien sur la liste prévue.

Mais c'est l'interminable queue amassée à la droite des escaliers qui stupéfia Lyssandra. Des dizaines, non des centaines de Neutres se pressaient sur les marches, se bousculant sans vergogne et se vociférant toutes sortes d'insultes. Chacun voulait passer devant l'autre, quitte à y mettre les dents et les griffes. Certaines femmes s'entredéchiraient les jupons, les hommes se donnaient des coups de coude, quitte à faire dégringoler quelqu'un jusqu'en bas des marches.

— Je... Je ne suis pas une invitée spéciale, murmura Lyssandra alors qu'Hilda l'encourageait à la suivre sur la file déserte. Ma place est avec eux, je...

— Oh je t'en prie ! l'interrompit la louve. Ne fais pas de manières, mon enfant. Tu crois vraiment que tu arriverais ne serait-ce qu'à la moitié des escaliers en te jetant parmi eux ?

La jeune fille avait beau savoir qu'elle avait raison, cela n'empêcha pas son estomac de se serrer tandis qu'elle entamait sa montée, dépassant à chaque marche de pauvres Neutres désespérés. Quel droit avait-elle d'être favorisée ? Pourquoi avançait-elle ainsi en tant qu'invitée spéciale alors qu'elle aurait dû se battre pour grimper chaque marche ? Parce que tu t'es déjà assez battue. Sa résolution revint en repensant à Dame Miranda et à ses coups. À ceux qu'elle lui avait envoyés peut-être une heure plus tôt et tous ceux qu'elle lui avait fait encaisser pendant dix-huit années.

Mais tous ces mots qu'elle se répétait pour se donner bonne conscience se fissurèrent lorsqu'elle arriva au sommet des marches. Hilda et elle se retrouvèrent sur un petit parvis pavé des mêmes pierres que celles des escaliers. Lyssandra avait les mollets en feu après avoir monté toutes les marches, d'autant plus qu'elle était obligée de soutenir la vieille femme par le bras. Malgré sa canne, la pauvre louve peinait à tenir debout.

— Quand j'étais petite, fit-elle en reprenant son souffle, le père de Clark et moi nous amusions à faire le plus d'allers-retours en cinq minutes. Nous nous chronométrions avec cette pendule.

Elle désigna une immense horloge qui trônait au-dessus des imposantes portes d'entrée du palais. Les vieilles aiguilles métalliques indiquaient vingt-deux heures. Il restait donc deux heures avant minuit. C'était plus que ce que Lyssandra avait espéré. Tes deux dernières heures avec Julian. Après quoi il ne voudra plus jamais entendre parler de toi.

Hilda et elle s'approchèrent de l'entrée où des valets étaient affairés à vérifier chaque invitation. Tandis que la louve sortait la sienne, Lyssandra entendit les plaintes d'une jeune Neutre en guenilles qui était parvenue à se hisser jusqu'ici. Mais apparemment, elle n'était pas au bout de ses peines...

— Je vous en supplie, je vous en supplie, répétait-elle alors que des larmes dévalaient ses joues rouges, j'ai fait tout le trajet depuis la Terre du Topaze. Je vous jure que ma mère est une louve, j'ai des gênes du Topaze...

— Je suis désolé, déclara le valet en parcourant un épais carnet d'un air las, j'ai ici par ordre alphabétique les noms de tous les Neutres potentiellement éligibles à recevoir la bague. Le vôtre n'y est pas et sans vouloir briser vos espoirs, je ne distingue aucun halo bleu clair autour de vous.

— C'est impossible ! s'exclama-t-elle avec hystérie en pleurant de plus belle. Vérifiez encore une fois ! Le nom de mon propriétaire est Ashton McLawrence, il vit d'habitude sur la Terre des Vampires, sur le territoire du clan McLawrence, mais il était en...

Elle ne put continuer son discours car deux gardes vinrent l'évacuer plus ou moins doucement. Ils furent obligés de la traîner tant elle se débattait en poussant des cris déchirants. Un autre Neutre se présenta au valet, mais Lyssandra se détourna, reportant son attention sur la vieille louve. Tu devrais être à la place de cette pauvre Neutre, lui susurrait une voix dans son esprit. Cette pensée ébranla sa détermination, et si les paroles de l'échange animé entre Hilda et le valet qui vérifiait son invitation n'étaient pas parvenues à ses oreilles, elle serait restée figée dans son effroi.

— Sans vouloir vous offenser, Votre Excellence, faisait le valet d'un air contrit, les invités spéciaux doivent posséder une invitation, or cette Neutre n'en détient visiblement pas.

— Cela ne sert à rien de m'appeler "Votre Excellence" si vous ne laissez pas rentrer cette jeune fille ! s'écria Hilda en agitant sa canne dans tous les sens, si bien que le pauvre diable faillit recevoir un coup. Elle est mon invitée ainsi que celle du petit Julian, qui au passage est le fils de l'actuel et le frère du futur Grand Alpha ! Quant à moi, je vous rappelle que je suis la soeur de l'ancien Grand Alpha et que...

— Nul besoin de réciter tous vos titres, ma tante, intervint une voix dure derrière le valet. Il ne fait que respecter les ordres, vous n'allez pas le blâmer pour cela.

Avant même de tourner la tête dans sa direction, Lyssandra sut qui était cette personne ayant parlé avec autant de froideur. Marcus se tenait dans le hall du palais, assez près pour entendre ce qui se passait à l'entrée, mais suffisamment loin pour ne pas se faire remarquer. Hélas, quelques Neutres et loups-garous l'avaient entendu et tous se tournèrent vers lui.

Il était fidèle au souvenir que Lyssandra avait gardé de lui. Ses cheveux bruns impeccablement coiffés tranchaient avec sa peau blanche d'une pâleur inquiétante. Il portait des vêtements de soirée de la même couleur que ses yeux d'un bleu extrêmement clair et des médailles militaires ornaient sa veste, scintillant d'un éclat doré. Il adressa un hochement de tête solennel à Hilda, sans que l'ombre d'un sourire ne vienne se dessiner sur son visage.

— Laissez entrer cette demoiselle, fit-il en désignant la Neutre du menton. C'est une invitée de mon frère.

Le valet s'inclina et s'effaça pour laisser passer la louve et la jeune fille. Lorsque cette dernière pénétra dans le hall d'entrée du palais, elle resta bouche bée face à la splendeur qui s'étalait autour d'elle. L'immense salle était de forme circulaire et un dôme en vitraux dorés faisait office de plafond. Lyssandra imaginait à peine ce que ces morceaux de verre coloré donnaient à la lumière du jour. Ils devaient certainement se refléter sur les murs blanc cassé de la pièce. Un immense lustre illuminé par mille chandelles était suspendu au sommet du dôme, ce qui fit s'interroger la Neutre sur la manière dont pouvaient bien tenir les vitraux face à un tel poids.

Elle ne se perdit pas plus longtemps dans la contemplation de ces merveilles, sentant le regard de Marcus peser sur elle.

— Mademoiselle Lyssandra, la salua-t-il respectueusement sans détailler sa tenue. Je suis heureux que nos chemins se croisent de nouveau.

Aucune chaleur ne se dégageait de ces propos, prononcés avec sérieux à la manière de politesses diplomatiques. Lyssandra n'eut même pas le temps de lui répondre qu'il l'avait déjà oubliée, reportant son attention sur Hilda.

— J'espère que votre séjour sur la Terre des Loups du Diamant se déroule du mieux possible, ma tante.

Il aurait sans doute parlé avec la même froideur à un conseiller politique.

— Allons mon petit, fit Hilda en le prenant dans ses bras. Pas de manières avec moi, tu le sais bien.

Marcus se raidit et grimaça à ce contact, mais lui rendit son étreinte en lui effleurant les bras. À peine la louve eut-elle relâché son emprise qu'il se recula en hâte de quelques pas et lissa des plis imaginaires sur sa veste.

— Nous ferions mieux de rejoindre la salle de bal, déclara-t-il en s'engageant vers le fond du hall sans attendre de réponse.

Il marchait d'un pas vif, mais fut bien obligé de ralentir lorsque Hilda le gronda gentiment en lui demandant de lui tenir le bras. Le jeune homme s'exécuta sans dire un mot, gardant une expression résolument fermée.

Tandis qu'ils suivaient d'autres invités à travers de longs couloirs richement décorés d'incalculables portraits, Lyssandra ne pouvait s'empêcher de fixer Marcus avec attention. Plus elle l'observait, plus cela lui semblait improbable qu'il soit de la même famille que Julian. Encore moins qu'il soit son frère. L'un était l'incarnation de la bonne humeur tandis que l'autre semblait être celle de la morosité. Sans parler de leur caractère, il était difficile de leur trouver un seul trait commun. La peau de Julian était cuivrée presque autant que celle de Marcus était blanche. Peut-être que l'on pouvait retrouver une infime ressemblance dans la forme de leur nez, mais la Neutre trouvait cela exagéré.

Pourtant, Marcus avait bien dit qu'elle était l'invitée de son frère. Et Hilda avait clamé au valet que Julian était le fils de l'actuel et le frère du futur Grand Alpha, aussi ardue que soit cette idée à se fixer dans l'esprit de Lyssandra.

— Comment s'en sort Julian ? demanda la louve à l'adresse de Marcus.

La jeune fille marchait à leurs côtés, mais peinait à rester attentive à la conversation. Plus elle avançait dans ce couloir qui au premier abord lui avait semblé interminable, plus elle se rapprochait de celui qu'elle croyait être son ami. Ton ami, vraiment ? lui murmura une voix sournoise. Il voulait simplement trouver une pauvre Neutre à qui donner la bague. Après les douze coups de minuit, il t'oubliera et ne t'accordera plus jamais une pensée.

— Plutôt bien, répondit le fils du Grand Alpha en affichant un début de sourire en coin. Il danse et discute avec les Neutres, écoute leurs plaintes avec attention... Je serais bien incapable d'afficher un quart de sa solicitude face à toutes ces âmes désespérées. Sans vouloir vous manquer de respect, mademoiselle Lyssandra.

L'intéressée était bien trop accaparée par les battements affolés de son coeur pour se formaliser du manque de compassion dont Marcus faisait preuve à l'égard de son espèce. Chaque pas la rapprochait de Julian, et c'était tout ce dont elle avait conscience. Elle appréhendait autant qu'elle espérait cette confrontation. Elle avait tant d'explications à lui demander, tant de choses qu'elle avait besoin de savoir... Il ne te doit aucune explication, c'est le fils du Grand Alpha. Oserais-tu te montrer aussi impertinente s'il avait été un membre de la famille royale des vampires ? Mais malgré tout, il lui semblait impossible que tous les moments qu'ils avaient partagé ensemble pendant presque un mois n'aient pas été réels.

Elle refusait de croire que tout n'était basé que sur des mensonges.

Bientôt, Marcus et Hilda s'arrêtèrent devant une large porte grande ouverte. Des gardes en uniformes rouges et des valets en livrées sombres se tenaient de chaque côté. Les premiers étaient aussi immobiles que des statues, mais leur regard suivait chaque invité avec attention. Les seconds arrêtaient chaque Neutre qui passait le seuil de la porte, répétant à chacun un même discours auquel Lyssandra n'échappa pas :

— Vous allez vous retrouver en présence de monsieur le Grand Alpha, de madame la co-capitaine de la garde, ainsi que de messieurs Marcus et Julian, fils du Grand Alpha. De ce fait, vous vous devez d'adopter un comportement respectueux envers vos honorables hôtes. Dans le cadre de la Nuit des Bagues, vous êtes autorisée à converser avec monsieur Julian, mais uniquement si celui-ci vous adresse la parole en premier...

— Je pense que cela suffira, l'interrompit Marcus avec un sourire sans joie. Voyez-vous, cette demoiselle et mon frère viennent de passer un mois à se donner des rendez-vous secrets dans la forêt... Je doute qu'ils en soient encore au stade de tenir compte de vos bons conseils avisés, mon cher Charles.

Lyssandra sentit son visage s'empourprer et elle se tourna vivement vers Marcus, outrée. Un vague amusement traversa le visage du jeune homme, aussi furtif qu'un éclair dans un ciel orageux. Même Hilda ne put retenir un petit rire.

— Ce n'étaient pas des "rendez-vous secrets", se défendit la jeune fille, oubliant un instant à qui elle s'adressait. Vous ne...

Comme les loups-garous qui les entouraient épiaient leur conversation avec plus ou moins de discrétion, elle se reprit avant de se ridiculiser. Le futur Grand Alpha en avait déjà trop dit et Lyssandra attirait désormais des regards curieux. Sans se faire prier, elle suivit Hilda et Marcus à l'intérieur de la salle de bal.

Il lui sembla que la simple appellation "salle de bal" était une insulte pour la pièce qui se dévoilait face à elle ou plutôt... en dessous d'elle. Deux escaliers dorés, l'un à sa droite et l'autre à sa gauche, descendaient jusqu'à une piste de danse bondée. Les tenues colorées des danseurs ne cessaient de tournoyer, si bien que Lyssandra avait l'impression d'observer un champ de fleurs sauvages balayé par le vent. Une douce musique s'élevait depuis un orchestre, placé à côté de grandes portes-fenêtres à l'extrémité de la salle. D'imposants lustres en cristal projetaient une lumière étincelante au-dessus de la foule, faisant scintiller les bijoux des plus riches convives.

La robe de la Neutre n'échappa pas à cet éclat, semblant même capturer plus de lumière que les tenues de tous les invités. Ou peut-être était-ce simplement l'effet qu'eut Lyssandra en découvrant que même sa jupe était constellée de petites pierres qui brillaient cette fois d'un bleu... d'un bleu clair similaire au topaze.

Figée sur ce balcon qui surplombait la salle, elle se sentait incapable de bouger. Marcus et Hilda se dirigeaient vers l'un des escaliers pour rejoindre les festivités, mais il lui était impossible de les suivre. Elle était focalisée sur les quelques Neutres aux bracelets blancs qui passaient à côté d'elle, souvent vêtus de haillons. La plupart lui jetaient des regards mauvais, et elle redouta un instant qu'ils lui bondissent dessus et lui arrachent sa robe. Quelques-uns étaient plutôt bien habillés, mais elle remarqua que ceux-là étaient accompagnés par des loups-garous. Tu n'as rien à faire ici, encore moins dans cette tenue, continuait à lui murmurer une voix malgré toute sa détermination.

— Je dois avouer que d'ici, nous bénéficions d'une magnifique vue, déclara Marcus en retournant sur ses pas pour la rejoindre près de la rambarde dorée. Cependant, je pense que mon frère commence à se lasser de danser et de discuter avec des inconnus.

— Je... Je regardais simplement si je ne voyais pas mes propriétaires, mentit Lyssandra.

Elle se sentit horriblement bête en songeant qu'elle avait davantage prêté attention à sa tenue et à celle des autres Neutres au lieu de s'assurer que Dame Miranda n'était pas à l'horizon. Désormais, elle essayait de retrouver la robe rouge d'Alisée parmi les invités qui s'affairaient en contrebas, mais elle était loin d'être la seule à avoir choisi cette couleur...

— Vos propriétaires ? s'étonna Marcus. Pourquoi craignez-vous de les voir ?

Oh je ne sais pas, peut-être parce que Dame Miranda était si réjouie à l'idée que je me rende à cette soirée qu'elle m'a jetée contre les escaliers et presque vidée de mon sang, eut envie de lui rétorquer Lyssandra.

— Vous devez bien vous douter qu'elles n'approuvent pas ma présence ici, répondit-elle sans lui faire de détails.

Mais sa voix mal assurée parla pour elle. La cicatrice encore visible sur sa lèvre aussi.

— À votre avis, pourquoi suis-je à vos côtés en ce moment même ? l'interrogea-t-il avec un sérieux déroutant.

Sa question laissa la jeune fille perplexe, ne sachant pas exactement quelle réponse il attendait.

— Parce que vous êtes las de toutes ces réceptions royales et que parmi tous ces nobles gens qui vous idolâtrent, la Neutre que votre frère a pris en pitié est la distraction la plus amusante que vous ayez trouvée ? supposa-t-elle, à moitié ironique.

Elle regretta aussitôt sa remarque, songeant qu'elle était allée trop loin. Sauf qu'une chose qu'elle n'aurait pas cru possible se produisit : Marcus partit d'un grand éclat de rire. Cela ne dura que quelques secondes, mais il quitta son masque de dureté et de morosité.

— Je sens que vous allez bien vous entendre avec ma mère.

Il sourit encore un instant avant de retrouver son implacable sérieux.

— Julian savait qu'il n'allait pas être très disponible, ce soir. Il a donc chargé notre grande-tante de vous conduire jusqu'au palais. Quant à moi, je devais veiller à ce que vous puissiez passer les portes ainsi qu'assurer votre protection.

— Ma... Ma protection ? répéta-t-elle sans comprendre.

— Vos propriétaires oseraient-elles vous toucher si vous étiez en présence du fils du Grand Alpha ? fit-il en haussant les épaules.

La Neutre ignorait ce qu'elle devait en penser. Julian aurait-il fait tout ça si tu ne représentais qu'une fille à qui passer la bague au doigt à minuit ? Il avait tout de même transformé son frère en... nounou.

— Je crois que nous ferions mieux de ne pas le faire plus attendre, reprit Marcus en baissant les yeux vers la piste de danse. Regardez comme il s'amuse, le pauvre chéri.

Suivant son regard, Lyssandra mit du temps avant de repérer Julian, dansant avec une jeune fille à la chevelure rousse. Elle ne distinguait pas nettement l'expression de son visage, mais il n'avait pas l'air de danser avec beaucoup d'entrain. Il portait d'élégants vêtements similaires à ceux de Marcus, sauf que sa veste était d'un bleu plus foncé. Il était tout simplement habillé en prince.

En tout cas, il représentait l'image qu'elle se faisait des princes lorsque Alisée lui racontait des histoires, quand elle était petite.

Ce soir-là, on pouvait aussi dire que Lyssandra était vêtue comme une princesse. Les rôles se sont inversés, pensa-t-elle. Pendant un mois, Julian avait joué un rôle qui n'était pas le sien. Désormais, c'était elle qui prétendait être ce qu'elle n'était pas. Sauf que jouer au Neutre et prétendre être une princesse n'impliquaient pas les mêmes conséquences...

— Je ne suis pas toujours facile à vivre, déclara Marcus, ayant sûrement remarqué le trouble de la jeune fille.

Elle se détourna de Julian pour lui faire face, surprise par sa remarque.

— Je sais que vous êtes au courant de choses peu flatteuses à mon sujet, poursuivit-il d'un air grave. Mon frère m'a assuré que vous ne me causeriez pas de problèmes, et je le crois.

À ces mots, Lyssandra se souvint d'un détail qui jusque-là, lui avait complètement échappé.

Marcus avait tué un vampire lors de la dernière pleine lune.

— Je suis loin d'être le frère idéal, reprit-il sans attendre de réponse, et je suis conscient que je ne facilite pas toujours la vie de ma famille. En particulier celle de Julian.

Il se rapprocha d'un pas, de façon à pouvoir lui parler d'une voix extrêmement basse qu'elle seule pouvait entendre.

— Si je dois un jour occuper le poste de Grand Alpha, Julian le sera davantage que je ne le serais. Mes... sautes d'humeur, comme il aime à les appeler, m'empêchent parfois de conserver ce sérieux que je m'efforce d'afficher. S'il n'était pas à mes côtés, les vampires nous auraient d'ores et déjà déclaré la guerre.

Lyssandra ne savait que répondre face à ces paroles inattendues. Elle se contentait donc d'écouter avec circonspection.

— Je ne suis pas quelqu'un de fiable, mademoiselle Lyssandra. Mais vous pouvez me croire si je vous dis que Julian n'a pas joué un rôle avec vous. Il était sans doute plus lui-même à vos côtés qu'il ne le sera jamais à la cour.

La jeune fille fit son possible pour laisser ces propos trouver leur juste place dans son esprit.

Elle n'avait plus qu'à espérer qu'il ait raison.

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