d e u x

Le piano ayant l'habitude de chanter les plus jolis airs chaque matin, chaque soir est vide, vide, vide. Si vide en fait, que Jérôme s'attendrait presque à apercevoir les touches blanches et noires s'enfoncer toutes seules, délivrant ainsi une pièce lugubre; digne des plus grands films d'horreur.

Malgré tout, il ravale sa peur. Au fil de l'air familier qu'il fredonne, d'une voix chevrotante, à Eulalie pour la distraire, il cherche des bougies familières, doucement colorées. Un moyen rapide de leurrer le noir, seulement il faut qu'il se rappelle de leur emplacement. 

Et cela fait un bon moment qu'il n'a pas mis la main sur ces satanées bougies.

Il veut sentir le parfum artificiel de la rose ou de la violette, entre autres. Odeurs qui, quand elles se faufilent dans chaque pièce et coin, signifient pour sa famille une promesse de paix.

C'est le rituel familial qu'Eulalie adore; il a beau se dérouler presque chaque soir dans la maisonnée, celui-ci a toujours gardé la même chaleur rassurante que la première fois.

Lumière, lumière, lumière!

— Papa, pourquoi tu as peur du noir?...

Jérôme sursaute; s'il n'était pas agenouillé à cause de ces maudites bougies cette peur brève, soudaine le ferait tomber à coup sûr. Il se retourne vers sa fille qui se tient derrière lui, son cœur bat vite, trop vite. Il plaque la main sur ce dernier, espérant empêcher Eulalie de l'entendre.

Boum, boum, boum. Boum, boum, boum.

— Je...je te le dirai peut-être un jour, balbutie-t-il dans un souffle. Il lui adresse un sourire forcé, qui n'atteint pas ses yeux larmoyants.

Jérôme a toujours voulu courir. Courir loin du noir, loin d'un passé qu'il n'a pas choisi ou contrôlé. Oublier ce sentiment d'impuissance qui fait serrer son coeur en ce moment même, et qu'il avait cru pouvoir effacer avec la fondation de cette famille chaleureuse à laquelle nous rêvons tous.

Hélas, ce n'est pas le cas.

Noir, noir, noir...

Pour un temps indéfini—infini—leur lumière sera artificielle. Elle sortira de l'étincelle anticipée d'un briquet bleu fluo, même si la maigre flamme ne sera pas assez pour chasser les vieux démons d'un père de trente-sept ans. 

Ni, d'ailleurs, l'impression marquante que le courroux du ciel impose sur le cœur léger d'une petite fille d'à peine six ans, qui commence juste à acquérir la notion du temps.

Et au milieu de l'obscurité, toujours, une seule personne—sans jamais porter le même nom—reste dans l'esprit de ce petit bout de famille.

C'est Maman. C'est Céline.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top