CHAP 3 - Une pluie de Skittles
La place d'Alice est dans les toutes premières rangés, dans celles où il y a beaucoup de place pour les jambes, donc autant devant que derrière les sièges. Le film n'est pas un chef d'œuvre , mais l'action, les cascades et les rebondissements se suivent comme dans tous les films de la franchise, lesquels ont eu de très bons résultats au box-office.
D'ailleurs, vu l'acteur principal, ce sera un succès de toute façon. Il y a une demi-douzaine d'explosions, de superbes personnages et quelques répliques qui feront d'excellents extraits sonores. Quelque part entre la première poursuite en voiture et le premier baiser plein de tension, Alice prend conscience qu'elle est assise à côté de la star du moment : Olivier Gauvin !
Un petit cri s'échappe de ses lèvres lorsque son coude frôle le sien.
— Excusez-moi, dit-il poliment.
Alice prend une seconde pour retrouver son calme. Sa respiration s'est accélérée, mais elle réussit à lâcher :
— C'est vrai.
Attends. Est-ce que ça a un sens ? Non, pas du tout.
En fait, rien de ce qui lui passe par la tête à ce moment-là n'a de sens. Elle pense à le féliciter pour sa présence à l'écran, mais elle se dit ensuite qu'il serait plus intelligent de le critiquer. Elle songe à se présenter, mais quand elle ouvre la bouche, elle se surprend à lui murmurer :
— Skittles ?
Elle lui tend la boîte de bonbons multicolores.
Alors que Gauvin vient pour lui répondre, le directeur du St-James se penche au-dessus du siège de la jeune fille et dit, tout en récupérant la boîte de friandises fruitées :
— Merci !
Olivier incline la tête d'un air perplexe et repose sa main sur l'accoudoir.
La honte !
Alice, stupéfaite par sa malchance et son malaise, concentre son attention sur l'écran - presque certaine qu'elle est sur le point d'être renvoyée du théâtre. Elle tente de retirer mentalement la rougeur qu'elle sent s'étaler sur l'ensemble de son visage et elle se fait toute petite sur son siège. Quoiqu'il arrive pendant le reste du film, elle restera figée.
Finalement, après environ une demi-heure de supplice, elle a l'impression qu'elle va exploser. Alice se sent incapable de demeurer assise plus longtemps près de son voisin. Elle ne veut pas passer le reste de sa soirée à craindre d'être démasquée : une fraudeuse, une fausse invitée !
Elle ne vit pas souvent un flop en tant qu'Alice. Elle ne sait pas gérer.
Le mieux est de s'éclipser comme si elle allait aux toilettes et ensuite, ne pas revenir. Délicatement, elle rassemble ses affaires, soulève un peu le bas de sa robe et, semi accroupie, en essayant de ne pas bloquer la vue à quiconque, amorce le mouvement furtif hors de la rangée de sièges. N'ayant pas l'habitude de se baisser dans des robes longues, Alice trébuche sur son propre ourlet et atterrit sur les genoux d'Olivier. L'homme la regarde, d'un air surpris.
La re-honte !
En fait, Alice est carrément mortifiée. Elle lutte avec quelques mots qui tentent de débouler de ses lèvres mais, peine perdue. Elle décide de fuir. Au Diable les convenances et la discrétion, elle se précipite hors de la salle.
Les joues d'Alice sont enflammées d'humiliation alors qu'elle trouve refuge derrière le comptoir à bonbons, transformé pour l'occasion en bar et distributeur de champagne et canapés. Les employés regardent du coin de l'œil l'intruse avec curiosité, mais ont le flegme de laisser faire. Sûrement le trac d'un soir de Première ou une starlette poursuivie par un Paparazzi.
Un bourdonnement se fait entendre, provenant de l'ouverture de la porte calfeutrée de la salle, où le film se poursuit. Olivier parcourt des yeux les lieux, d'un côté à l'autre, se demandant où est passée sa mystérieuse voisine cinéphile. Un serveur avisé pointe discrètement la silhouette d'Alice recroquevillée sous le comptoir. Olivier comprend le signal et s'approche du bar à confiserie, popcorn et champagne. Il attrape une boîte de friandises au chocolat et se penche au-dessus du comptoir :
— Skittles ? demande-t-il innocemment en tendant la boîte ouverte tout en en faisant glisser quelques-uns dans son autre paume.
Mais, alors qu'il amorce son mouvement, le couvercle cède en entier et le contenu entier de la boîte lui glisse des mains, inondant Alice d'une pluie de cailloux multicolore.
Surprise, Alice sursaute et se cogne la tête contre le comptoir. Elle retombe vite fait sur les fesses, sonnée et stupéfaite. Elle porte ses deux mains vers sa tête, cachant sa re-re-honte ainsi que la bosse qui naît sur le haut de son front.
Olivier pose ses deux mains sur le comptoir et se penche pour constater l'état des lieux. Poussé par un vague de galanterie, il saute souplement par-dessus le comptoir afin de se retrouver près d'Alice afin de la soutenir et de l'aider à sortir du stand.
Puis, sans un mot, il l'accompagne jusqu'à un banc. Alice profite de ce silence pour tenter de reprendre contenance et aussi pour ralentir le rythme des battements du malaise qui étreint ses nerfs.
Re-Re-Reee-Honte !
— Vous allez bien ? lui demande l'acteur en se penchant devant elle, accroupit dans son costume noir et chemise blanche.
Alice ose un petit regard entre ses doigts pour constater que les yeux verts sont fichtrement proches des siens et semblent vraiment inquiets de son état.
— Ça va, souffle-t-elle toujours derrière ses mains. C'est juste une blessure superficielle.
— On devrait peut-être te faire examiner. Les blessures liées aux bonbons sont en tête de la liste des victimes des cinémas, tu sais ?
Tente-t-il de faire une blague ou se moque-t-il d'elle ? Elle éloigne ses mains de son visage et plonge son regard dans ses yeux. Non, il ne se moque pas, il tente de la détendre.
— Wow, c'est une sacrée bosse, là... sur ton front, remarque-t-il en repoussant une mèche de cheveux sur la peau mate de la jeune fille.
Un souffle de fraîcheur sur sa honte.
— Les petits Skittles sont bien plus puissants que je ne le pensais, murmure-t-il tout bas, juste pour eux.
Alice éclate d'un rire surpris – et un peu niais...
Oups !
Elle n'arrive pas à croire que cet superstar soit si gentille et amusante, auprès d'elle, une inconnue qui s'est ridiculisée à sa Première.
— J'adore faire tomber mon public à la renverse, ajoute-t-il, mais pas comme ça.
Alice ricane encore, mais avec un plus de contrôle. Mais, elle commence secrètement à s'inquiéter de l'heure. Toujours à son chevet, Olivier applique sur son front une compresse fraîche, apportée par un serveur conciliant.
Il continue son one-man-show.
— Ce serait une bonne pub pour la marque tu crois ?
Alice le regarde, abasourdie par la suggestion.
— Désolé, ajoute-t-il, je pourrais déblatérer ainsi toute la nuit.
— Non, s'il te plaît, ne fais pas ça, plaide-t-elle, en posant doucement sa main sur la poitrine d'Olivier.
Tentative inconsciente de prendre de la distance.
Fuir
— Je dois vraiment y aller, finit-elle en se levant.
— Tu ne vas pas regarder la fin du film ?
— C'est ta Première... Tu... Vous devez y être. Moi, j'achèterai un billet la semaine prochaine, c'est promis.
Alice regarde Olivier une dernière fois avant de se retourner pour partir. Il la retient pour lui tendre son sac à main. D'un pli de cuir de l'objet, un peu de Skittles s'échappent sur le plancher avec un bruit de grains dans un sablier. L'homme tend la main et touche une fois de plus les cheveux d'Alice. La jeune femme reste interdite alors qu'il en extrait un bonbon rouge qu'il s'empresse de croquer.
— Merci pour les bonbons, ajoute-t-il avec un franc sourire.
Elle opine de la tête avant de soulever, comme il le faut cette fois, sa longue robe et de s'échapper vers la sortie du Théâtre St-James. Un coup de vent et la lourde porte se referme sur la silhouette féminine.
Le goût acidulé/fruité éclate dans la bouche du jeune homme qui regarde les ombres se refermer sur la silhouette féminine.
Olivier aperçoit Antoinette, sa co-star du film, qui se retire du stand avec une coupe de champagne. Il s'approche rapidement d'elle.
— Olivier, que fais-tu ici ? demande-t-elle innocemment. Normalement tu ne quittes jamais la salle un soir de Première... il a fallu une certaine rouquine pour t'en extraire, non ?
— La femme qui était avec moi, tu sais qui elle est ?
— Tu veux dire Alice ? Juste une amie. On se voit parfois lors d'événements caritatifs. Je l'ai mis sur la liste VIP... Pourquoi ? Qu'est-ce qu'elle a fait ?
— Rien, c'est juste pour savoir.
Il hoche la tête puis s'éloigne doucement. Il prend une coupe de champagne que lui tend le serveur conciliant avec un petit sourire entendu. Olivier le remercie de la tête puis retourne, perdu dans ses pensées, vers la salle et la fin de la projection.
Pour le reste de la soirée, une certaine rousse à la peau matte éclaire les pensées de l'acteur comme un clair-obscur devant l'écran et toutes ses rencontres en sont teintées durant en l'après show.
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