Chapitre 9 - Le diable s'habille comme Laza !
Quelques secondes après la vente de mon âme, Laza est entrée dans la salle de réunion, rayonnante et roucoulante dans son tailleur haute couture bleu marine et ses escarpins vert émeraude, récupérant elle-même les contrats en chantonnant l'un de ses vieux tubes.
Je pouvais affirmer sans mal que la directrice était heureuse. Aucun désistement, tout le monde a signé sans faire de vagues, je sais pas si cela fait de nous de simples imbéciles ou des idiots crédules...
– Bien, je tiens à vous prévenir qu'à la sortie de cette pièce vous attendent cinq caméras. Pendant les quatre prochains jours vous serez constamment filmés dès huit heures du matin jusqu'à vingt-deux heures. Pour l'instant personne ne touchera à vos apparences. Je veux l'avant et l'après.
Je grince des dents et la fusille du regard. L'avant et l'après ? Elle se croit où ? Dans une émission de relooking ? J'ai envie de l'envoyer bouler en lui crachant au visage qu'une gonzesse qui accroche un tableau avec une scène zoophile dans l'entrée de son bâtiment ne devrait certainement pas avoir son mot à dire sur la manière dont je souhaite m'habiller mais je me souviens du contrat et du pourquoi je suis là : devenir une star. Ce qui signifie, que, forcément, il va y avoir du changement.
– Pour commencer, nous allons vous « présenter » à la caméra. Faire votre portrait, en quelque sorte. Vous nous parlerez de vous, de votre parcours dans la vie, de vos aspirations et tout ça. Ensuite nous vous filmerons pendant le déjeuner, vous devrez vous comporter le plus naturellement possible et j'insiste bien sur ce point. Nous voulons vous voir en interaction, observer votre mode de fonctionnement, et pour finir, cet après-midi, vous rencontrerez vos professeurs, ce seront eux, à partir de demain, qui vous évalueront. Des questions ?
Comme personne n'a moufté, Laza a hoché la tête, son chignon lui donnant un air sévère et peu avenant avant de quitter la pièce à la manière d'un militaire.
Je souffle en me rendant compte de ce que j'ai vraiment fait. J'ai signé. Et j'espère de tout mon cœur ne pas avoir à le regretter.
Nous allons bientôt sortir et, du coin de l'œil, j'avise Thibault qui, la tête basse, semble en plein dilemme. Doucement je m'approche de lui et l'observe jusqu'à ce qu'il se décide à lever la tête et à croiser mon regard. Il a l'air inquiet.
Le pauvre.
– Tout va bien ?
Il me fixe et l'ombre qui voile ses jolis yeux bleus si semblables à ceux de Tomas me donnent envie de le prendre dans mes bras, mais je ne le connais pas vraiment et décide, à la place, de lui offrir un sourire.
Pour une raison quelconque j'ai toujours eu un certain problème avec l'idée d'enlacer des étrangers. Les « free hugs » sont un peu mon enfer personnel.
– Je sais pas si c'était une bonne idée, finalement.
Je vois qu'il hésite, il n'est pas à l'aise avec l'idée de me parler, comme s'il craignait que je me moque ou que je le juge. Mais je le comprends. Je ne suis pas certaine non plus qu'il s'agissait là du choix le plus judicieux.
– Moi non plus, je lui réponds en haussant les épaules.
Ses yeux croisent les miens, s'y accrochent et me sondent, et j'ai l'impression qu'il cherche à savoir si je lui mens.
– Mais je suppose que seul l'avenir nous le dira, je continue pour essayer de lui remonter un peu le moral.
– Mon père, commence-t-il en se passant une main anxieuse dans les cheveux, mon père va être furax.
Il laisse échapper un petit ricanement aigre qui me fait comprendre qu'il en a vu des vertes et des pas mures. Je lui attrape la main, prends une grande inspiration et lui dis avec autant de conviction que je le peux :
– Va savoir, à la fin de tout ça, il ne le sera peut-être plus.
Je ne pense pas que ce soit très intelligent de ma part d'avoir sorti un truc pareil, mais, vu le demi-sourire en coin qu'il me lance, ça l'a un peu réconforté, du moins je l'espère.
– Allez, je finis par m'exclamer en lui tournant le dos, allons devenir des stars !
Et c'est ce que nous avons fait. Nous sommes sortis de la salle de réunion affreuse dans laquelle nous avons scellé nos destins et avons suivi le groupe en direction d'un ascenseur assez grand pour nous permettre de tous y grimper. J'ai bien cru mourir. Nous rentrons tous, certes, mais personne ne pouvait esquisser le moindre mouvement sans risquer de crever un œil à son voisin et la présence des caméras, est, je l'avoue très déconcertante. C'est dans des moments comme ceux-là que je me rends compte que je déteste être épiée.
Je sens que l'année va être longue.
Laza nous a conduits dans une grande pièce jaune canari avec de luxueux mais affreux sofas oranges à fleurs roses, de petites tables en plastique vertes transparentes et un truc... Je crois qu'il s'agit d'un buste de Laza Hara.
Avec un sein en guise de troisième œil.
Je prends une grande inspiration pour éviter de me moquer et capte le regard moqueur de Lili-Rose. Elle aussi se retient de rouler au sol en se marrant comme une baleine.
Mais, d'une certaine manière je ne peux pas vraiment m'empêcher d'être inquiète en sachant que la dame pourra choisir mes vêtements.
– Bien, nous allons vous appeler par ordre alphabétique. Tous ceux qui ne sont pas interviewés patienteront dehors.
Nous quittons alors la pièce dans un brouhaha similaire à ceux des rangs, à l'école pendant les sorties, lorsque chaque élève parle à son voisin, qui lui discute avec la voisine, qui elle rigole avec le camarade. Bref. Un joyeux bordel.
– En silence !
Son ordre est respecté immédiatement. À vrai dire, j'entends encore l'écho de sa voix dans la pièce et je comprends pourquoi elle sera notre directrice. Elle fait peur. Comme le maître sévère qui est un peu laid et qui vous pourrit toute votre scolarité.
Du coup nous sortons dans un calme olympien, avec une discipline militaire et nous nous étalons dans le couloir. Je suis entre Thibault et Lili-Rose tandis que Lucius me fait face, appuyé contre le mur, les bras croisé sur son torse et la tête baissée vers ses pieds. Il semble en pleine réflexion. Comme nous tous. Sauf Cristal, les Jumelles et le gars pour les dentifrices, là. Le joli dont je ne me souviens jamais le nom... Arthur, je crois. Ils pavoisent déjà, comme s'ils étaient les rois du monde ou une connerie du genre et, franchement, j'ai beaucoup de mal à ne pas me moquer d'eux. Je juge peut-être les gens et les enferme dans des cases ; mais, franchement, la plupart ne font rien pour en sortir...
– Juliette et Alice Attila.
Les jumelles sont les premières à passer. Et, comme je ne sais pas quand mon tour viendra et que je commence à trouver le temps long, je me laisse glisser contre le mur pour m'asseoir, à même le sol. Personne ne parle vraiment, il ne s'agit que de légers chuchotements, par-ci, par-là. Il n'y a pas grand chose à dire. Que devrions-nous faire ? Débattre sur le taux d'intérêt exorbitant que va nous ponctionner Laza après tout ça ? Remettre en cause la durée d'engagement ? La petite clause perfide et abusive sur le style ? C'est trop tard. Il fallait en parler avant de signer. Et puis je ne pense pas que Hara World autorise la création d'un syndicat...
– Tu vas leur chanter quoi, toi ? me demande Roland en m'inondant de postillons.
Beurk.
S'il continue comme ça, il va réussir à me filer une MST.
– Je ne sais pas encore. Je verrai le moment venu. De toute manière, quoi que je fasse, on a toujours l'impression que j'égorge un chat lorsque je chante.
– Moi, lance finalement Lili-Rose, toujours les yeux rivés à son téléphone, je vais leur chanter Life is Life de Opus. Le refrain est simple.
Elle a pas tord. La la la la la. Life is life. Life. Elle risque pas de se planter.
– Moi j'ai choisi Sex Bomb, de Tom Jones, sourit Roland en m'adressant un clin d'œil.
Bordel ! Un clin d'œil ! Il flirt avec moi ! J'y crois pas ! Lucius pouffe comme une collégienne en se mordant les lèvres mais je l'ignore, trop embarrassée pour ouvrir la bouche et faire ma maline.
C'est bien ma veine, fallait que je me fasse draguer par Roland. Génial !
Soudain, je regarde à droite, à gauche, en haut et en bas et, finalement, lorsque je me rends compte qu'il n'y a aucune caméra, je pousse un long soupir de soulagement. Il n'y a pas assez d'or sur terre pour que Laza me case avec Roland lors de son show. Y'a pas moyen.
Moi, superficielle ?
Non. J'ai juste mes limites. Comme par exemple ne pas me faire cracher dessus avant le premier rencard.
– Lili-Rose Baudé.
Les Jumelles arrivent, rouges et échevelées et je me demande ce qu'elles ont bien pu fabriquer pendant une demie-heure, là-dedans. Comme je présent que l'attente va être longue je me laisse glisser le long du mur pour attendre assise.
– Moi je crois bien que je vais chanter Tata Yoyo, marmonne finalement Lucius en me décochant un sourire moqueur qui me fait frissonner. Et je ne sais pas vraiment s'il s'agit de bon ou de mauvais frissons.
– Sans déconner ? Pourquoi ?
Il hausse les épaules avec sa nonchalance habituelle et répond :
– J'ai toujours voulu savoir ce qu'y avait sous son foutu chapeau.
Je ne peux pas m'empêcher de rire, très vite suivie par le si discret Thibault et par l'exubérant Momo.
– Je payerais cher pour voir ça !
– Qui sait...
Suite à ça plus personne ne parle et nous nous contentons d'attendre. Lili-Rose sort plus vite que les Jumelles et Roland Dupont est ensuite appelé. Même son nom sonne naze.
Enfin, je suis mal placée pour parler.
Le temps s'éternise et je me rends compte que j'ai très envie d'aller aux toilettes. Et puis, j'ai toujours mes règles et j'aimerais bien me rafraîchir également de ce côté-ci, le truc c'est que je me vois mal entrer et demander à Laza où se trouvent les chiottes histoire de changer mon tampon, parce que ça devient urgent. Du coup je me mets à taper des doigts sur le sol en laissant mon regard se perdre. Au bout de cinq minutes de ce petit jeux, une grosse chaussure noire écrase mes doigts.
– Aïeuh !
Je fusille du regard Lucius qui me désigne la main d'un geste du menton :
– Arrête, tu m'emmerdes.
– Non, j'ai envie d'aller aux toilettes, j'ai mal au bide et j'ai mes règles.
Comme plus tôt dans la voiture, Lucius pâlit légèrement avant de détourner le regard, comme Thibault et Momo. Lili-Rose ricane tandis que je secoue la tête. Cette phrase est magique. Je suis certaine qu'il s'agit de notre carte sortie de prison en cas de meurtre. « Mais, monsieur le juge, si j'ai tranché la gorge de mon mari avec le couteau à pain c'est parce qu'il avait pas sorti la poubelle et que j'avais mes règles ! ». Et hop, acquittée. In the pocket.
– Mûre Forêt.
Je me redresse d'un bon sur mes jambes, me tortille un peu, remets en place soutif', pull et jean et, ignorant les railleries de Cristal je m'élance, prête à donner ma première interview malgré une vessie pleine, un mal de ventre à se rouler par terre et l'envie pressante de changer de tampon. Mais bon, quand faut y aller, faut y aller !
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