Chapitre 8 - Mon arrêt de mort ?
Nous revoilà installés dans la salle de réunion aux allures Arthurienne dans un calme quasi-méditatif. Les dizaines de feuilles posée face à nous semble nous narguer, nous appeler, nous tenter tout en nous effrayant, ce qui est assez étrange comme ressenti. Je suis comme une petite fille le matin de Noël à une différence près : pour ouvrir mes cadeaux je vais d'abord devoir ramper sur des bris de verres.
Nous sommes tous là, figés, attendant que l'un d'entre nous se montre plus courageux que les autres et ouvre ce fichu document, mais bon, ce petit bout de papier détient notre vie entre ses mains imaginaires et y'a franchement de quoi flipper un peu.
À peine installés, Laza est venue nous distribuer les documents en nous précisant bien que c'était sans retour possible et qu'il serait moins fastidieux de récupérer notre âme après l'avoir vendue au diable plutôt que de tenter de nous défaire de ce contrat.
Après ce genre d'avertissement on a un peu plus de mal à se lancer...
– Bon, c'est ridicule ! lance finalement Lucius en ouvrant la première page et en se plongeant dans sa lecture.
Ça a été le signal de départ et tout le monde l'imita.
Je parcours d'un œil le charabia destiné à nous embrouiller, les belles phrases et les mots à rallonge pour me concentrer sur l'essentiel : les clauses, et, je dois bien avouer qu'il y en a une jolie quantité.
La première commence fort et annonce la couleur : je leur appartiens encore cinq ans après la diffusion de l'émission.
Si je comprends bien, si Celebrity School est diffusée dans dix ans, je serai à leur merci pendant quinze ans.
Je prends une grande inspiration avant de lire le reste.
La seconde m'annonce que, pendant la durée du contrat, la maison de production de Laza Hara (et donc elle-même) devra donner son accord avant que je ne signe quoi que ce soit avec qui que ce soit d'autre.
De mieux en mieux mais je sens que le reste risque également de me faire sourire :
Hara World, la production de Laza, touchera au minimum 45% de tous mes revenus.
Je dois bien avouer qu'à cet instant j'ai envie de lui enfoncer ses papelards dans le fond de la gorge à la vieille harpie décrépite. Non mais je rêve ! Un minimum de 45% ! Pourquoi pas mon cul, tant qu'ils y sont !
Je lève les yeux du tas d'immondices et scrute mes camarades, et constate avec ravissement que je ne suis pas seule à être consternée. Lili-Rose arbore une mine de pitbull prêt à passer à l'attaque, Lucius est plus tendu qu'il ne le serait pendant un examen de la prostate, Momo semble sur le point de se transformer en Hulk, tout comme Thibault qui, à cet instant, est réellement effrayant. Même Cristal semble outrée par ce qu'elle lit. Les autres semblent tout simplement paumés, les pauvres.
Il est ensuite stipulé que nous n'avons pas le droit de prendre un coach avant ou pendant l'émission, mais ce n'est pas une surprise, Laza nous avait déjà prévenus la veille.
Je trouve cette clause normale. Je veux dire, quel serait l'intérêt de recruter des bons à rien si, le jour du lancement de l'émission nous nous sommes transformés en légendes du rock ?
Le contrat nous indique également noir sur blanc que notre comportement pendant ces cinq années devra être irréprochable. Pas d'alcool, pas de drogues et encore moins de violences. Pas de propos racistes, misogynes et sexistes (ça va être une période difficile pour Lucius) ou injurieux. Aucun scandale de quelques natures que ce soit. Du moins cela ne devra pas fuiter dans la presse.
En gros il y a de plus en plus de chance que je finisse canonisée : Mûre Forêt, seule star au monde à être restée vierge. J'imagine déjà l'épitaphe...
Le candidat ne devra jamais dénigrer l'émission ou les producteurs.
OK.
Même si je suis relativement d'accord avec les clauses précédentes, celle qui suit me fait sérieusement grincer des dents :
« Le style et l'apparence physique du candidat lui sont propres... » et jusqu'ici ça va, mais je pense que les avocats de Laza sont du genre blagueurs parce que la suite va beaucoup moins bien : « si approuvés par Hara Wold. »
Nom de Dieu ! Qu'est-ce que cela signifie concrètement, hein ? Qu'on peut avoir les cheveux rouges si Laza le veut bien ? Que si mes quelques kilos en trop dérangent sa Seigneurie je vais devoir me faire charcuter ? Une robe bleue avec des collants roses ? Si tu veux, mais chez toi. Pour sortir, tu porteras cette mini-jupe et ces échasses de 18 centimètres ! Mon cul !
Si je comprends bien Laza veut contrôler nos vies pendant son émission -ce qui est compréhensif- mais également après ? Pendant cinq ans, qui plus est ?
Notre manière de vivre, notre façon de nous vêtir, si quelque chose ne lui plaît pas elle peut le faire disparaître ? Je ronge mon frein et me retiens de partir en claquant la porte pour au moins, me donner la peine de découvrir la suite :
Le candidat ne peut pas rompre le contrat ou ne peut pas quitter l'émission sauf pour raison personnelle grave (maladie, décès...) sous peine de poursuites judiciaires. Le cas échéant, le candidat devra rembourser l'intégralité de la somme investie en plus des poursuites.
Si, à cause d'une faute grave commise par le candidat, Hara Word se retrouve dans l'obligation de rompre le contrat, des poursuites seront engagées.
Néanmoins, si Hara Word décide pour une raison quelconque de rompre le contrat le candidat recevra une compensation.
D'accord, je suppose qu'il s'agit là de la partie « menace » du document.
Toujours dans un silence de cathédrale je relis les feuilles soigneusement et une par une, cherchant d'autres clauses, d'autres obligations ou n'importe quel foutu coup-fourré que pourrait dissimuler Laza à travers les lignes.
Ce truc rend la suite des événements beaucoup plus concrète. Plus réelle. Plus angoissante. À vrai dire, je ne sais pas vraiment où j'en suis. Accepter ou refuser. C'est maintenant ou jamais. Pour dire la vérité, je suis terrifiée. Ce contrat me fait peur : je le trouve tellement restrictif, j'ai presque l'impression de me mettre moi-même les menottes aux poignets.
J'ai bien conscience qu'il s'agit là de ma seule chance de pouvoir mener une vie décente. Je veux dire, je ne possède aucun diplôme et je ne suis pas emballée à l'idée de reprendre mes études, mon père ne va pas m'entretenir pendant encore très longtemps et ce n'est certainement pas grâce mon babysitting pour Framboise à 0 € de l'heure que je risque de réussir à subvenir à mes besoins.
Mais quand même, par bien des aspects je trouve ce contrat abusif et comme, concrètement, je ne suis personne, je me vois mal aller en renégocier les termes avec Laza.
Je lève les yeux de ma feuille, histoire de jauger un peu mes compagnons de galère et constate avec effarement que nous ne somme plus que quatre à ne pas encore avoir signé : Lucius, ce qui ne m'étonne pas. Je ne le connais pas depuis longtemps mais j'ai bien cerné cette partie-là de son personnage : la méfiance. Tout semble lui inspirer d'abord ce sentiment, comme s'il était un chien battu qui reprend lentement goût à la vie. Mais je m'égare. Thibault non plus n'a pas encore signé, il semble tourmenté et, l'espace d'un instant, j'ai l'impression de voir Tomas quand il se plonge dans ses pensées et qu'il pense que personne ne le voit. Il a l'air fragile et je m'inquiète pour lui. Je ne connais pas son âge mais il me semble si jeune et sans défense ! J'ai presque envie de le serrer contre moi... Cristal non plus n'a pas encore signé et j'avoue que ça me laisse sur le cul. Je m'attendais presque à ce qu'elle appose ses initiales avec son propre sang, mais faut croire que la clause sur le look vestimentaire ne lui plaît pas...
Comme quoi, je ne suis vraiment pas la seule à trouver ce torchon honteux. J'ai presque l'impression de remettre l'esclavagisme en place. Je n'aime pas l'idée que cette folle de Laza Hara se fasse autant de fric sur mon dos et, qu'en plus je doive la payer. C'est quoi son souci ? C'est même plus de l'abus de pouvoir à ce stade.
Les minutes passent, s'égrènent et je ne sais toujours pas quoi choisir. Je crois que je suis devant ces feuilles depuis plus d'une heure maintenant et le silence règne en maître sur la pièce. Apparemment mes camarades ont jugé que cette décision était assez importante pour être prise dans le calme.
Si seulement je pouvais le relire à tête reposée, après une bonne nuit de sommeil !
Du coin de l'œil je constate que Cristal s'est résignée à signer. Il n'en resta plus que trois.
Finalement, je décide de me lever pour faire les cents pas. Je réfléchis mieux lorsque je marche. À moins que ce soit une tactique de mon subconscient pour me faire comprendre que je dois partir, m'en aller.
Je ne sais pas et cela m'agace au plus au point. Le temps file toujours mais personne ne dit rien et, finalement, je me rends compte que ce silence que j'affectionne tant d'habitude m'angoisse à l'heure actuelle.
La tête pleine de ces affreux « et si » je laisse mon imagination dériver. Plusieurs cas s'offrent à moi. Le premier, le plus glorieux, je signe, j'accepte et tout va bien dans le meilleur des mondes. J'embrasse une super carrière et tire toute ma famille de la misère. Le second est moins heureux mais il est tranquille, simple, sans surprise : je refuse, je quitte cette pièce et rentre chez moi pour reprendre ma vie pathétique mais calme. Et enfin, le plus angoissant de tous je reste mais cette vie ne me plaît pas, et je ne peux rien y faire, juste subir ce monde qui n'est pas fait pour moi et attendre. Je finis par ne plus rien supporter et je me suicide.
Le cœur au bord des lèvres, les mains tremblantes et le souffle court, je me rends compte que je suis au bord de la crise d'angoisse alors que j'avise Lucius qui, d'un mouvement vif et net, appose sa marque sur la feuille honnie. Plus que deux. Je regarde Thibault qui me fixe également. Je ne sais pas ce qui le retient de signer, lui. L'avenir incertain ou cette promesse de non-retour ?
J'entends presque le tic-tac dans ma tête qui égraine les secondes. Laza ne nous a pas donné de limite de temps mais je suppose que, lorsqu'elle reviendra, elle s'attendra à ce que tout soit signé.
Oui ou non.
Peut-être que si j'accepte, je pourrais sortir ma famille de la misère ?
Ou l'y plonger plus encore.
Elle l'a dit, après tout. Si elle a choisi des gens comme nous, c'est pour l'audimat. La France, et peut-être même le monde, vont nous décortiquer, nous analyser et, s'ils ne nous aiment pas, nous offriront un lynchage publique dans les règles de l'art. Je ne sais pas si je suis assez forte pour le supporter.
Je ne sais pas.
Je pourrais juste m'en aller ? Partir sans me retourner. Je fixe la porte comme s'il s'agissait de la Terre Promise mais je ne peux pas vraiment me résoudre à y aller, à faire une croix sur la chance qui s'offre à moi.
Thibault signe, le regard empli d'une détermination farouche. Lui qui, seulement quelques minutes plus tôt était pareil à un enfant, ressemble désormais à un homme fort prêt à combattre, à ne pas fuir et à ne pas laisser tomber, qu'importe les difficultés que cela implique.
Et avec cette même détermination je m'approche finalement moi aussi de la table pour vendre mon âme au diable.
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