Chapitre 4 - Alice et le LSD magique


Lorsque j'arrive à la gare après deux heures de train, un paquet de cookies à la nougatine fourrés à la pâte à tartiner, trois appels de mon père et une rapide petite sieste, je vois que le gars du téléphone ne m'a pas menti, puisque, en effet, quelqu'un est bien venu me chercher. À vrai dire je ne peux pas le louper : il arpente le quai vêtue d'un costume jaune vif, du genre qui rend aveugle, de chaussures bleues et d'un bonnet violet. Rajoutez à ça l'immense pancarte à mon nom qu'il tient à la manière d'un bouclier dans une main et le petit drapeau rose, rouge et blanc qu'il agite avec enthousiasme en sifflant joyeusement l'air des sept nains. Un instant je reste figée sur place et envisage très sérieusement de retourner dans le train. Si c'est ça le comité d'accueil... je m'attend au pire. Le soir des primes-times ils comptent me faire danser à poil avec un plume dans le cul ? Parce que j'ai des limites. Je préfère garder ma vie pourrie plutôt que subir ce genre de connerie...

Mon téléphone sonne, interrompant mon discours interne sur mes valeurs,et sans surprise, le numéro affiché est celui de mon père. Je souffle, lève les yeux au ciel et décide que, finalement, une plume dans le cul, ça peut-être assez mignon.


- Bonjour, je lance au pauvre type en jaune alors que je m'approche de lui, je suis Mûre.


Le gars me dévisage une seconde, hoche la tête puis me tend le petit drapeau :


- Je vais quand même te demander ta carte d'identité et garde ça, ce sont les couleurs de l'émission.


- Crois-moi,personne ne s'amuserait à se faire appeler Mûre, je marmonne.


Il hausse les épaules et pose sa pancarte au sol tandis que je me débats avec mon sac à main, tentant de localiser ce fichu porte-monnaie. J'ai parfois l'impression que mon pauvre sac noir en simili-cuire est un petit triangle des Bermudes à lui seul. Les choses que je mets à l'intérieur ont tendance à disparaître. À moins qu'il ne s'agisse du foutoir sans nom qui s'amuse à tout avaler.


- Le voilà, je m'exclame après l'avoir attrapée, ravie.


Je tends au monsieur ma carte d'identité, et, toujours aussi stoïque,il me la rend en acquiesçant. Je ne sais pas s'il est juste du genre silencieux ou s'il me prend de haut. Au moins je ne ressemble pas au présentateur du Big-Deal, moi.


- Suis-moi. La réunion ne devrait plus tarder à commencer, marmonne-t-il,laconique.


Je jette un œil à l'horloge de mon téléphone qui indique 12 heures 30 passées. Je peux pas m'empêcher de grimacer et le croque-morts'en rend compte :


- Un problème ?


- Je n'ai pas encore déjeuné et, l'estomac vide, je suis à peu près aussi aimable que le Grinch.


Il pousse un long soupir très impoli, se saisit violemment de ma valise orange et commence à avancer sans se retourner :


- Il y a tout ce qu'il faut là-bas. Bouge.


Bouge ?

Ah ouais, il veut la jouer comme ça ?


- T'as un soucis, je lui crie après en trottinant pour me placer face à lui. Je sais même pas comment tu t'appelles et tu te comportes déjà comme un gros con !


- Ton train est en retard, donc nous sommes en retard et, par conséquent je risque de me faire virer et toi tu me fais perdre encore plus de temps ! Quant à mon nom, ça n'a pas d'importance. Laza m'appelle 3, donc, tout le monde m'appelle 3.


- Le train n'a que deux minutes de retard !


3 pousse un long, très long soupir en baissant la tête, comme s'ils'exhortait au calme et puis, finalement, avant qu'il ne décide de me jeter sous le prochain train je décide de le suivre. L'ambiance,dans sa petite voiture bleue, est très tendue. Il n'arrête pas de jeter des coups d'œil anxieux à sa montre, de klaxonner et de se montrer très, très grossier. La circulation à Paris n'est pas du tout la même qu'à La Tarte. Ici c'est chaotique. Mortel. Bruyant et puant, aussi.

Mais,bizarrement, j'aime beaucoup. L'anonymat, les mouvements constants.L'évolution. Je suis certaine qu'ici, un quartier n'a pas besoin de vingt ans pour changer...


- Nous y voilà, annonce-t-il finalement alors qu'il s'arrête face à un immeuble plutôt moderne, avec une jolie plaque dorée sur la façade,un peu comme celle des médecins. Je vais chercher une place de parking, rentre, montre ta carte d'identité à la réceptionniste qui t'appellera quelqu'un, ta valise sera avec les autres.


Et puis il s'en va, me laissant en plan. J'espère que le reste de l'équipe sera un peu plus amical parce que sinon, ça promet.

Le hall d'entrée, contrairement à la façade très simpliste, est...Coloré. Vraiment. À l'instar d'un bordel, les murs matelassés sont d'un rouge profond tandis que la moquette rose au sol, certes de forte bonne qualité, me pique les yeux. Le bureau de la réceptionniste est une sorte de bulle en verre très design, et me donne l'impression de venir du futur alors que, les sièges prune disposés de part et d'autre, eux, semblent sortir de Versailles. Tout semble étrange ici. Luxueux, cher mais... moche et décalé. Les fleurs qui sont posées à côté de l'ordinateur de la réceptionniste paraissent provenir d'un pré alors que, le lustre suspendu au centre de la pièce,impressionnant de beauté avec ses centaines de millier de gouttes de verre, aurait plus sa place au centre d'une salle de bal.


- Je peux vous aider ?


Je fixe la femme à la voix nasillarde qui me lance un regard dédaigneux à faire fuir les plus courageux et pleurer les plus confiants. Je m'avance, mal à l'aise dans mon ensemble jean, basket et doudoune,tente de remettre un peu d'ordre dans mes cheveux en plaquant les quelques mèches échappées de ma queue de cheval derrière mon oreille :


- Salut... je veux dire bonjour, je suis Mûre Forêt. 3 m'a dit que quelqu'un m'attendrait...


La fille, une rousse aux yeux de biche et au corps parfait, me reluque de la tête aux pieds, et déjà, j'ai envie de laisser tomber.Framboise avait peut-être raison finalement ? Qu'est ce que j'attends, moi ? Je suis loin d'être aussi mignonne qu'elle, je n'ai ni culture, ni diplôme, pas de qualité très remarquable et aucun talent. Franchement je ne sais même pas pourquoi je suis venue. Et si tout cela n'était qu'une blague ? Peut-être les producteurs cherchent-ils une sorte de tête de turc ? Un défouloir pour ses mannequins en devenir ? Je déglutis alors qu'elle me fixe toujours, ses prunelles vertes et froides comme celles d'un serpent me détaillant minutieusement. Je jette fréquemment des coups d'œil par-dessus mon épaule, fixant la porte vitrée comme si elle renfermait les mystères de l'univers. Ou plutôt comme s'il s'agissait de ma seule porte de sortir.


- Carte d'identité, grince-t-elle soudainement.


Je prends une grande inspiration, me rendant compte que j'avais cessé de respirer. C'était l'une des conneries que je faisais à l'école lorsque j'étais stressée. Inconsciemment j'arrêtais de respirer.

Super, manquait plus que mes vieux tics d'enfant stressé reviennent...

Avec empressement, je plonge ma main dans mon sac et, encore une fois,farfouille quelques secondes avant de trouver ce que je cherche. Je lui tends la carte d'une main hésitante. À l'évidence elle me méprise déjà, je n'ai pas spécialement envie de lui rajouter des munitions...

Non mais vraiment, chaque jour de ma vie je me demande ce qui a bien pu passer par la tête de ma mère lorsqu'elle à choisi de nous appeler Framboise et Mûre. Sans déconner ! Pourquoi ne pas nous avoir fait tatouer sur le front « frappez-moi » ? On auraient gagné du temps...

La rouquine me rend ma pièce d'identité sans plus me gratifier de son attention et, de son doigt parfaitement manucuré presse une touche du téléphone face à elle :


- 1, Mûre Forêt est à la réception.


Je ne suis même pas étonnée. D'après ce que m'a dis le très anxieux 3, lorsque Laza Hara vous donne un numéro vous vous y accrochez comme s'il pouvait vous faire gagner le loto.

La rouquine ne me calcule déjà plus, plongée dans la lecture d'un quelconque magazine. Ce n'est pas l'amabilité qui les caractérise,ici.

D'un pas traînant je vais donc m'asseoir sur le mobilier volé et camouflé de Louis XIV. Joli à regarder mais pas confortable pour les lombaires, en tout cas. Pendant de longues secondes mes yeux vagabondent sans but précis jusqu'à ce qu'ils croisent un très,très étrange tableau. L'artiste, ou l'échappé de l'asile (c'est une question de point de vue), a représenté, dans un style classique très réaliste le coït d'une ravissante gazelle et...d'un homme. Grand, brun, musclé. Très beau spécimen et l'animal à l'air plutôt ravi mais moi, ça m'angoisse. Vraiment beaucoup,beaucoup. Parce que je sais pas ce qui est le plus dingue :peindre ce genre de scène -ce qui signifie la visualiser avant- ou bien accrocher le résultat dans son hall d'entrée. C'est ce genre de chose, complètement absurde, qui attire la cavalcade de « et si » plus sûrement que les chevaliers de l'apocalypse n'appelleraient la fin du monde.

Enfin,ce genre d'horreur annonce déjà la fin du monde en soit.


- Mademoiselle Forêt ?


Je me tourne vers un jeune homme, lui aussi vêtu de manière...étrange. Une chemise effet « miroir » si réaliste que je peux apercevoir le bouton noir qui s'incruste sur mon nez, et un jean rose bonbon. Je cligne des yeux. Peut-être que je suis en plein rêve. J'espère être en plein rêve, mais, vu le regard sévère dont me gratifie 1, ce n'est pas le cas.


- Je vais me retrouver avec une plume dans le cul, hein ?


Le type écarquille les yeux et observe quelques secondes de choc intense avant de se reprendre :


- Pardon ? De quoi parlez-vous ?


- Eh bien entre la déco, 3 et vous je m'attends à tout.


1 ricane en secouant la tête, attirant mon attention sur les perles argentées et roses qu'il a dans les cheveux. Au moins il a le souci du détail...


- Madame Hara aime les choses voyantes, et nous, ses assistants, si nous désirons nous faire remarquer, nous devons faire preuve d'ingéniosité et d'originalité...


Je hoche la tête en souriant poliment, mais intérieurement ? Je hurle parce que je vais forcément me retrouver sur scène, aux heures de grandes écoutes, à poil avec des plumes multicolores enfoncé là où le soleil ne brille pas et une coupe de fruit sur la tête, le tout avec un sourire niais.


- Allez, suivez-moi Mademoiselle. Déjà trois de vos futurs camarades sont arrivés.


Il m'entraîne dans un ascenseur décoré sur le thème de la mer tout en piaillant sur le sens artistique sur-développé de sa patronne.Pendant ce temps je cherche une caméra, parce que, à moins d'être espionné par le Boss, je ne vois pas comment on peut faire autant de lèche... Le « ding » met un terme à son babillage et je souris, contente de profiter pour la première fois depuis ce matin,du silence tandis qu'il nous traîne dans un dédale de couloirs tousplus loufoques les uns que les autres. J'ai l'impression qu'Alice au pays des Merveilles, Le Joker et Rocco ont décoré les lieux après avoir abusé du LSD.


- Nous y voilà, chantonne-t-il finalement en désignant deux immenses portes vertes pommes avec une tête de lapin empaillée accroché eaux battants.


Quand je disais qu'Alice était passée dans le coin... en attendant je suis sur les nerfs. Quand je vois l'endroit, je ne peux pas m'empêcher d'entendre cette petite voix qui s'adresse à moi seulement quand je fais une grosse connerie et qui chante joyeusement« je te l'avais bien dit » en boucle. J'ai envie de revenir sur mes pas et quitter cet endroit pour toujours, mais celui que j'avais d'abord pris pour la personne la plus aimable rencontrée depuis m'a descente du train décide de révéler son vrai visage et me pousse en avant, je trébuche alors que les portes s'ouvrent surmoi et me stabilise de justesse. Mon sac, lui, n'a pas la même chance et s'étale sur le parquet, révélant aux yeux de tous mon foutoir ambulant.


- Oh ! Je pensais l'avoir perdu, je m'exclame, ravie d'avoir retrouvé mon petit porte-clé à l'effigie des Cheminées de l'Amour.


Je me baisse et m'empresse de ramasser mon foutoir alors que personne ne parle. Pourquoi personne ne dit rien ? Je fixe les deux filles et le gars qui se sont installés autour de la table ronde. Ils s'ignorent royalement, jouant avec leurs portables. Bon, le point positif c'est que personne ne fait attention à moi.

Ils sont tous tellement différents. Il y a d'abord le stéréotype même du mannequin. Blonde aux yeux bleus, avec des cheveux brillants et soyeux, une peau de pêche somptueuse, dénuée du moindre défauts,et, même assise, je sais qu'elle est grande et élancée et que sa robe en laine noir la moule comme une seconde peau. L'autre fille, a,elle, l'air d'avoir était coiffée par Alice pendant son trip. Elle arbore un joli dégradé de vert et de bleu sur ses mèches de devant qui lui arrivent aux épaules alors que l'arrière de son crâne est plus imberbe que la paume de ma main. J'aime bien son joli piercing étoilé qu'elle porte sur l'arcade et les dizaines de strass sur ses oreilles font ressortir son port-altier. Même le tribal sur son avant-bras droit est stylé ! Je suis soulagée lorsque je constate qu'elle aussi est en jean. Je ne serais pas la seule.Ensuite, et alors que je prends place moi aussi autour de la table,je croise le regard d'ambre du gars et je frissonne. Pas seulement parce qu'il est canon mais parce que ses yeux sont à la fois si triste et si dur. Si froid. Comme s'il avait déjà tout vu, tout vécu. Je le dévisage ouvertement, me fichant bien de ce qu'il pense. J'adore déjà sa tignasse noire hirsute, sa mâchoire carrée,son nez droit, ses pommettes hautes et ses lèvres fines, mais malgré ça, ce qui me fait craquer, qui me file la chair de poule et des palpitations, c'est sa cicatrice, fine et irrégulière, qui part de sa tempe gauche pour courir le long de sa joue, passe assez prêt de sa bouche pour en déformer légèrement la commissure et finalement, se stoppe sur l'arrête de sa mâchoire. Sans m'en rendre véritablement compte, je le fixe longtemps, plus longtemps que ne l'autorise la bien-séance et il s'en rend compte puisque, de sa voix grave et posé, il m'interpelle :


- Ça va, tu apprécies ce que tu vois ?


Je pique un fard et détourne le regard. Je croise les yeux moqueurs de la parfaite blonde et je décide, de manière fort courageuse, de ne pas revivre mes années lycée alors je tente le diable réplique :


- Plutôt oui, mais je ne peux pas m'empêcher de trouver dommage que les hommes soient livrés avec la parole. Ça gâche toujours tout.


La fille aux piercings, à ma gauche, ricane alors que le gars, à mon grand étonnement, se laisse aller contre sa chaise en souriant :


- Figure-toi que l'on pense la même chose. Si seulement vous pouviez la fermer.


Je souris mais ne répond rien. C'est à mon tour de sentir son regard se poser sur moi. C'est déstabilisant. Je ne suis pas comme la blonde, belle à en crever, ni comme l'autre fille, avec une beauté sauvage et atypique. Je suis juste moi. Des joues pleines, un sourire franc et des yeux chaleureux encadrés par des cheveux bruns qui ne brillent pas.


- Je m'appelle Lucius Van Der Lood.


- Enchantée. Moi c'est Cristal Laroche, intervient la jolie blonde en papillonnant des yeux à l'intention de Lucius.


Même son nom correspond à son physique. C'est parent n'auraient pas pu l'appeler Gertrude, Joëlle ou Brigitte. Non, Cristal. Y'a vraiment des injustices dans le monde.


- Lili-Rose Beaudé et je casse la gueule au premier enfoiré qui se moque de mon prénom.


Elle annonce la couleur, elle. Mais au moins c'est crédible. Je vois Lucius hocher la tête, en accord avec elle alors que Cristal lui offrent le même regard empli de mépris que celui dont la réceptionniste m'a gratifié.


- Et toi ?


J'ignore la question de Lucius et me concentre sur mon porte clé en forme de cheminée. Si Lili-Rose craint que l'on se moque d'elle, elle n'a pas de souci à se faire, toutes les vannes de merde portent mon nom. Je décide, au bout d'une ou deux secondes, de lever les yeux et de fixer mes nouveaux camarades :


- Mûre Forêt, je marmonne vite, pas fière pour un sous.


Cristal rit déjà, la main devant la bouche en se tournant vers les autres,attendant qu'ils se joignent à elle, mais, déçue de ne pas être suivie, elle reporte son attention sur moi :


- Ta mère voulait pas de toi, c'est ça ?


Elle ne croit pas si bien dire.

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