Chapitre 32 : Bryan is in the kitchen !

Le réveil en se mardi matin est quelque peu difficile. Hier soir nous avons veillé jusque tard dans la nuit Thibault, Lucius, Roland, James et moi. Nous avons passé la soirée à discuter de tout et de rien. La relation entre Roland et les jumelles a été examinée à la loupe, en nous moquant de lui allègrement. Je ne comprends toujours pas comment il a pu attirer deux filles dans ses filets, c'est une espèce de mystère à la Zone 51 je pense, on ne saura jamais. Malgré tout, nous avons passé une bonne soirée. Je regrette un peu que Lili-Rose et Momo ne se soient pas joint à nous mais ils étaient trop fatigués pour rester. Les pauvres ils ont passé la soirée à répéter leur duo. Il faut dire que le prochain prime est particulièrement redouté. Laza l'a décidée, vendredi prochain, à un mois de la fin du concours, nous allons chanter en anglais. Je déteste l'anglais. J'ai toujours un sale accent allemand, enfin, lorsque je parviens à prononcer les mots. C'est l'enfer. D'ailleurs, quand Madame Signes m'a entendue attaquer les premières phrases de Stand By Me de Ben E King elle en est devenue pâle comme la mort en répétant encore et encore que j'allais la tuer. Elle m'a ensuite fait remarquer que j'étais comme une vieille voiture. Quand on la répare d'un côté, on se rend vite compte que c'est pire de l'autre. Cristal a bien ri en soulignant que j'étais une 4L. Bas de gamme, sans charme et inutile. Je me suis contentée de l'ignorer. Au bout de deux mois de concours je ne fais même plus attention à ces insultes. De toute manière, j'ai été à bonne école avec Framboise.

– Bouge-toi ! m'ordonne Lili-Rose en entrant dans la chambre en trombe, je viens de croiser Kimberly, Laza veux te voir.

Je me relève immédiatement, les yeux écarquillés, le cœur battant la chamade. Pourquoi est-ce que la femme de Satan veut me voir ? Pourquoi ? Mentalement je me repasse les derniers jours, cherchant avec acharnement la moindre erreur. À part le superbe petit-déjeuner/déjeuner/dîner de la semaine dernière pour fêter mon courageux sacrifice je ne vois pas ce qu'elle peut me vouloir. Et encore, elle m'aurait appelée avant. Je saute du lit et me prépare en cinq minutes top chrono devant le regard moqueur de Lili-Rose.

– Tu sais ce qu'elle me veut ? je la questionne, l'inquiétude perceptible absolument partout.

– Non. Mais ça ne doit pas être très grave. Elle t'attend dans la salle de chant.

Je la fusille du regard alors que je brosse mes dents avec force, comme pour me défouler. Je déteste ça. Ne pas savoir. Et je déteste le fait que mon amie se moque de moi, sans afficher la moindre compassion. Bonjour la solidarité !

– J'y vais ! j'annonce tout en quittant la chambre comme si j'avais le diable aux trousses.

L'ironie dans l'histoire c'est que je cours me jeter dans ses bras, justement. En arrivant devant la porte de la fameuse salle, je suis fébrile et n'en mène pas large. C'est étrange l'effet qu'elle me fait chaque fois que nous devons nous voir en tête à tête. Lorsque tout le monde est là ce n'est clairement pas la même chose, je me sens protégée, je sais qu'elle pèsera plus ou moins ses mots et qu'elle ne tentera pas de m'assassiner mais là ? En tête à tête ? Seules ? Sans le moindre témoin ? Je crains pour ma vie. Avant de frapper et d'entrer je me signe en implorant silencieusement le Seigneur pour qu'il me protège de ce démon en Louboutin.

– Mûre, te voilà enfin ! s'exclame-t-elle lorsque je passe la tête par l'encadrement de la porte.

Elle ne me semble pas furieuse, ni contrariée ou quoi que ce soit. Bon, elle n'est pas radieuse non plus, mais au moins elle n'a pas encore revêtu le masque de la gamine de l’Exorciste, ce qui, de mon point de vue, est un bon début. J'entre timidement dans la pièce, les mains moites et le cœur battant la chamade.

– Vous vouliez me voir ? je tente, hésitante en m'installant sur la chaise qu'elle me désigne du plat de la main.

– Oui, acquiesce-t-elle avec un mouvement de la tête, Madame Signes m'a rapportée certaines choses assez préoccupantes...

– Ce n'est pas moi, je la coupe immédiatement comme une enfant prise en faute qui essaye par tous les moyens d'argumenter.

Elle esquisse un sourire en coin qui est loin de me détendre et secoue la tête de droite à gauche :

– Madame Signes souhaite que je t'enseigne les rudiments de l'anglais avant vendredi. Je ne pourrai pas faire de miracle en trois jours mais je peux tout de même tenter d'améliorer ton accents, au moins lorsque tu chante. Tu seras dispensée du sport et du théâtre et Madame Signes et Mademoiselle Lola ont ordre de se contenter de te préparer pour le prime.

Sidérée, je la fixe sans parler, les bras ballant. Elle veut m'apprendre l'anglais ? Mais pourquoi ? Laza est un genre de proviseur ici. Elle dicte les lois, sanctionne et réprimande mais est loin d'être du genre pédagogue et tout ça. Bon, je sais pourquoi elle est la plus habilitée à m'apprendre la langue de Shakespeare avec sa carrière internationale elle est au minimum bilingue mais franchement, j'aurais préféré n'importe qui d'autre. Enfin, sauf Nila. Il aurait été capable de me faire faire dix pompes chaque fois qu'un mot n'est pas prononcé correctement.

– Euh... et les autres ? je lance, pleine de doutes.

– Ils ne sont pas aussi mauvais que toi, réplique-t-elle avec un large sourire.

Bim, dans les dents.

– Eh bien je suppose que nous pouvons commencer.

Elle m'adresse un sourire immense, un peu à la façon des Dents de la Mer et je ne peux m'empêcher de déglutir.

Le soir venu, alors que je me laisse tomber aux côtés du Lucius sur l'une des chaises longues du jardin, je suis éreintée. Épuisée. Je pensais que la semaine de préparation avant le prime sur les comédies musicales avait été affreusement fatiguant mais je me trompais. Je n'avais pas encore eu cours avec Laza Hara.

– Tout va bien ? me demande Lucius en posant une main sur mon bras.

Je gémis en secouant la tête. Elle m'a fait répéter encore et encore phrase sur phrase, mot par mot, m'obligeant à articuler exagérément, ruinant mes pauvres zygomatiques. Sans déconner, j'ai eu une crampe aux joues ! Mais ça, ce n'était que le matin. Ensuite elle m'a envoyée déjeuner, j'ai assisté au cours de danse et, à peine la musique s'achevait qu'elle m'attendait à l'entrée de la salle, toisant les élèves du haut de ses escarpins bleus nuit cirés. D'un signe de la tête transpirant l'autorité elle m'a intimée de la suivre pour une autre session et, la mort dans l'âme, rêvant d'une sieste et d'une douche, je l'ai suivie.

– Il est quelle heure ? je croasse en fermant les yeux.

– Pas loin de neuf heures et demi.

Je grogne. Elle m'a fait louper le repas. Et demain c'est rebelote. Pour être célèbre il faut souffrir. Pour être célèbre il faut souffrir. Ça va devenir mon nouveau mantra.

– On a fait des lasagnes. Lili-Rose t'en a gardée une part.

– Cette fille est magique, je souffle alors que, lentement, je me commence à me détendre, bercée par le chant des grillons, le rire grave et envoûtant de Lucius et l'odeur rassurante de l'été.

Jeudi soir, il est plus de vingt-trois heures lorsque Laza décrète que je suis prête, pas parfaite mais au moins je donne l'illusion. Je souffle de soulagement et vide la moitié de la bouteille d'eau à mes pieds. Le temps est lourd et humide, colle mes cheveux à ma nuque et nous perturbe. On est tous tendus et sur les nerfs. L'orage gronde dans l'air et nous n'attendons qu'une chose : qu'il éclate et nous libère, enfin. De l'autre côté de la pièce Laza réajuste son chemisier rouge sans me quitter des yeux. L'avantage de ces derniers jours, c'est qu'elle ne compte pas revenir. C'est pour ça qu'elle a choisi de directement m'apprendre plutôt que de m'aider avec les chansons que je chanterai vendredi soir. Maintenant je saurai le faire.
Je m'apprête à quitter la pièce pour filer en cuisine lorsqu'elle m'interpelle. Je me raidis un peu avant de me retourner pour pouvoir affronter son regard :

– J'ai une question pour toi. Ça fait quelques temps que je me la pose sans jamais trouver le moment pour en avoir le cœur net.

Je hausse un sourcil circonspect avant de lui faire signe de continuer :

– Pourquoi es-tu là ?

– Bah c'est vous qui le vouliez, rappelez-vous...

– Non, me coupe-t-elle le ton un peu plus dur en s'approchant de moi. Pourquoi as-tu postulé pour Celebrity School ?

Je la fixe, dubitative. J'ai déjà répondu à cette question lors de ma première interview.

– Pour changer de vie.

– Vraiment ?

Son ton est étrange. À la fois amusé et plein de doutes. Elle ne me croit pas et ne me prend pas au sérieux.

– Oui, bien sûr !

Elle me fixe un long moment, me dévisage et m'examine. Je suis vachement mal à l'aise, j'ai l'impression d'être nue tandis qu'elle m'examine minutieusement. C'est angoissant. Au bout de quelques minutes elle s'installe sur une chaise et fixe ses ongles avant de commencer :

– J'étais comme toi avant. Quand j'étais enfant je veux dire. Je me cachais derrière des couches pour ne pas montrer qui j'étais. Je me contentais du strict minimum, ne cherchant jamais à exceller pour ne pas me faire remarquer.

– Je ne vois pas de quoi vous parlez.

– Vraiment ? répète-t-elle, beaucoup moins amusée cette fois. Ce que je veux dire, reprend-t-elle en se levant pour s'approcher de moi, c'est que, comme moi lorsque j'étais enfant, tu n'es qu'à quarante-cinq pour cent de tes capacités. Tu te caches derrière ta médiocrité pour te protéger, protéger ta famille et les gens que tu connais, pour ne pas vivre les épreuves à fond, pour que le mal et la douleur ne t’atteignent pas. Et pour l'instant tout cela suffit, Mûre mais un jour, si tu veux vraiment briller, si tu souhaites réellement changer de vie, devenir quelqu'un d'autre pour aider ton père et le rendre fier tu devras cesser de t'abriter derrière ça. Tu devras te battre. Comme tu es parfois capable de le faire.

– Comment ça ?

Elle esquisse un drôle de sourire tendre qui, ma foi, me terrifie un peu avant d'expliquer :

– L'audition de chant et d'acting, ton premier prime, ta rébellion pour m'empêcher de virer Lucius et James, apprendre l'anglais en quelques jours, ce sont autant de preuves de ce que tu peux faire, de tes capacités. Si tu passais moins de temps à les museler tu serais une star depuis des années déjà.

Alors que je digère lentement son discours qui me laisse pour le moins perplexe elle s'avance vers la sortie après avoir récupéré son sac à main qui doit certainement coûter plus cher que la voiture de mon père. Néanmoins, avant de partir, elle se stoppe sur le pas de la porte, se tourne vers moi et, son regard encré dans le mien elle déclare :

– Je crois en toi Mûre. Je pense vraiment que tu es faite pour ça. Ne me déçois pas.

Je rejoins le salon un peu hagarde après la déclaration de Laza. Bon, je n'ai pas la garantie qu'elle n'ait pas tenue le même discours aux autres, mais ma foi, c'est déconcertant. Je m'apprête à sauter sur le canapé pour tenter de décompresser face à un film quelconque mais je me stoppe net en remarquant que Thibault et Lili-Rose sont tendrement enlacés sur le sofa, se murmurant des choses à l'oreille. Décidément, c'est ma soirée ! En soufflant je rebrousse chemin aussi discrètement que possible. J'espère que je ne trouverai pas Lucius allongé dans mon lit avec Cristal ou encore, et je pense que ce serait le pire, je prie pour ne pas être témoin des ébats de Roland et des jumelles. Je crois que je ne m'en remettrais pas.
Soulagée de trouver ma chambre vide, je saute sous la douche. Nous nous levons dans quelques heures pour gagner le train qui nous mènera à Paris. Je souffle de lassitude. Je dois avouer que c'est assez fatiguant, et puis, moi qui déteste les transports en communs, j'en aurais eu mon cotât pour les dix prochaines années à venir. Je me laisse aller sous le jet d'eau chaude en ressassant ces derniers jours. Et si Laza avait raison ? Si je n'étais pas à cent pour cent ? Si je me contentais de me laisser vivre, de me laisser porter sans jamais faire le maximum sauf en de rare fois ? J'ai du mal à l'imaginer. J'ai toujours été en dessous de la moyenne. Tout cela signifierait alors que, si je décidais de me lancer, de me bouger, je pourrais être douée ? C'est assez difficile à croire. Bon, ma vie est devenue difficile et incroyable depuis que j'ai envoyé cette fichue lettre mais tout de même, de là à penser que je puisse être autre chose que moi-même... je pousse un long soupir de lassitude en sortant de ma douche. Je vais encore passer une sale nuit.

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