Chapitre 3 - En attendant la suite...


Les jours passent et se ressemblent un peu trop à mon goût. Il ne reste que cinq jours avant que je prenne le train pour Paris et je suis très anxieuse, la tête pleine de ces doutes et de ces questions que tout le monde déteste : les « et si ? ». Et s'ils s'étaient trompés ? Et si j'étais un cas désespéré ?Et si je suis trop moche ? Trop grosse ? Et s'ils se rendent compte que Framboise est meilleure que moi ? En gros je suis une véritable boule de nerfs et, du coup, l'ambiance à la maison est loin d'être à la fête. Mon père est aussi stressé que moi, ma sœur tire la gueule et mon frère est parti il y a deux jours. Ce n'est pas la première fois qu'il fait ça. Au début,morts de peur, nous avions ratissé la ville de La Tarte de long en large à sa recherche. Mais maintenant ? Nous ne cherchons même plus à savoir s'il est encore en vie. On ne sait même pas où il est et ce qu'il fait et, de toute manière, il refuse catégoriquement de nous en parler ! Alors à quoi bon ?

Je souffle en passant une main sur mon visage, épuisée. Je n'ai même pas terminé ma valise ! Bon, en même temps je n'ai pas eu des masses d'informations non plus. Hormis le coup de fil de Laza Hara,j'ai reçu hier dans l'après-midi (et ils ont vraiment le chic pour appeler quand il ne faut pas) un appel de l'un de ses assistants. Il me prévenait que mon billet serait là dans la journée - il est arrivé à onze heures ce matin, que quelqu'un me récupérerait à la gare le jour prévu et que je resterait quatre jours sur la Capitale. Point barre. Du coup, mon père se ronge les sangs, il al'impression que rien n'est fait correctement et ça l'angoisse comme une veille d'oral. Je n'ai pas signé de contrat ni quoi que ce soit,pas de casting à proprement parler, rien, que tchi, nada, niente. Ce qui, en même temps, relance la machine à si : et s'ils'agissait d'une arnaque et que je me retrouvais sanglée à un billard pour qu'un chirurgien prélève mes organes ? Et si leur émission était une couverture pour cacher un nouveau genre de pornographie ? Et si je mourrais ?

Dans ma tête, je meurs beaucoup trop souvent à mon goût...

Du coup je décide de me concentrer sur des sujets plus terre à terre et qui ne risquent pas de me ficher une tachycardie, mais toujours est-il que personne ne m'a rien dit ! Comment je fais, moi ?Je prends quoi ? Des pulls, des t-shirt, des jeans, des shorts,des robes d'été, des robes d'hiver ? Quoi ? Ils vont nous fournir en fringues ?

Raah !

Mais si je procède de manière logique je peux déjà virer les robes courtes, les shorts et les débardeurs étant donné que nous sommes en plein mois de février et qu'il fait relativement froid. Et ensuite je n'ai plus qu'à improviser. C'est en chantonnant un vieux succès des années 80 que je tire ma valise orange de sous mon lit et que je l'étale dessus. Je me tourne ensuite vers mon armoire,ouvre en grand les deux portes et les trois tiroirs en-dessous et je m'exécute méthodiquement : je fourre tout ce qui est noir,marron, gris, rouge, en laine, en coton épais, en jean et en synthétique dans la valise. Je ne comprends vraiment pas pourquoi les gens font toujours tout un plat de cette affaire. Ravie, je décide de chanter plus fort en essayant de danser. J'espère vraiment que leurs professeurs ont un moral en béton armé là-bas parce qu'ils risquent d'en avoir besoin...


– Femme des années 80...


– Tu vas la fermer, oui ! m'ordonne soudainement Framboise en entrant en trombe dans la chambre.


– Mais femme jusqu'au bout des seins !


Je sais qu'elle déteste m'entendre chanter, après tout, je la comprends, c'est une horreur, un peu comme une symphonie de casserole et un chat qu'on égorge, cruel et bruyant. En temps normal je l'aurais mis en sourdine mais pas aujourd'hui. Depuis notre petite« discussion », j'avoue prendre un malin plaisir à l'emmerder. Je chante, je danse, je monopolise notre connexion internet et surtout : je ne garde plus les morveux ! Et pendant ce temps Framboise enrage.

Je me rends compte, doucement mais sûrement, que même si je ne suis pas encore là-bas, de l'autre côté de l'écran, cette chance qui m'est offerte me libère. J'ai une opportunité en or qui s'offre à moi, je ne me sens plus enchaînée et, pour la première fois depuis des années je respire vraiment.


– Ayant réussi l'amalgame de l'autorité et du charme ! Wouh !


Je fais une pirouette sur moi-même avant de faire un mouliné des bras et de pointer le lampadaire en tissu orange d'un index impérieux et le tout avec un joli sourire. Framboise me fusille du regard et marmonne en claquant la porte derrière elle. Je souris encore plus,jubilant à l'excès.

Les choses ont beau être un peu compliquées en ce moment, je sais que ça finira par s'arranger d'une façon ou d'une autre. Enfin, du moins pour moi. Je l'espère.

Je verrai bien dans cinq jours.



Je déteste les transport en commun pour plusieurs raisons. La première ? Le bruit. Les gens parlent tout le temps, il crient,rient et parlent encore plus. Ensuite il y a forcément le vacarme infernal des machines que ce soit avion, train, métro,tramway, bus... Tous ces trucs font un boucan d'enfer à vous rendre sourd, c'est strident, angoissant et fatiguant. Je trouve que les gens sous-estiment les biens-faits du silence. Le vrai silence, celui qui vous laisse entendre le tic-tac de l'horloge de vos grands-parents, le crépitement du feu dans la cheminée ou le piaillement des oiseaux à l'extérieur. Ce genre de silence est rare et impossible à trouver près de ce genre de transport. Mais je peux remédier à ça grâce à mon casque audio et à ma super playlist totalement hétéroclite. J'efface les bruits parasites pour me concentrer sur un seul son. C'est plus reposant.

La seconde raison qui me pousse à haïr ce mode de transport c'est tout simplement le manque d'hygiène. Chaque fois que je touche une porte,que je m'assoie ou que je regarde une zone quelconque de l'engin je vois des millions de microbes. Ça prolifère, se multiplie et ça m'angoisse. J'ai l'impression que des centaines de bestioles rampent le long de mon corps, grouillent dans ma tête et, inévitablement,me refilent les pires infections qui existent. Rien que d'y penser j'ai le souffle court, la tête qui tourne et un frisson de dégoût me secoue, mais, là encore, je peux passer aux travers des mailles du filet grâce à une bonne bouteille de gel hydroalcoolique, des serviettes désinfectantes, de l'ibuprofène, des mouchoirs et de l'auto-persuasion.

Néanmoins,ce que je déteste plus que tout ça, plus que le bruit de foule trop dense, de machine insupportable, d'odeur nauséabonde, et de microbes par millions ce sont les adieux. Obligatoires, omniprésents et insupportables.

Je déteste ça. Vraiment. Je suis du genre à adresser un signe de la main et à partir sans me retourner. Pas à m'appesantir et à pleurnicher comme si je m'apprêtais à m'engager dans une stupide guerre. Je ne supporte pas ça. Alors lorsque mon père décide de m'accompagner à la gare le lundi de mon départ, je n'arrive pas à contenir ma grimace et ce, malgré toute ma bonne volonté. Je connais mon père. Il est gentil, il se plie en quatre pour nous mais il est un peu... Sensible ? Faible ? Démonstratif ?En gros, je sais qu'il va se transformer en chose dégoulinante, renifflante et collante sur le quai et j'en panique d'avance.

Ma sœur et les morveux ont aussi décidé de nous suivre, et j'avoue avoir un peu protesté. J'ai peur que Framboise me pousse sur les rails.

Donc nous voilà tous les cinq entassés dans la petite citadine surchauffée de notre père, le parfum capiteux à base de vanille de ma sœur se répandant dans l'habitacle et me filant mal au cœur.Elle sait pourtant que je ne le supporte pas celui-là.


– Tu m'appelles à l'instant même où tu es arrivée, hein ?


– Oui papa...


– Tu ne parles pas aux inconnus.


– Oui papa...


– Méfie-toi bien des hommes, ma chérie. Tu es une jolie fille et je ne voudrais pas qu'ils se servent de toi.


– Papa !


Ce n'est pas tellement la petite remarque sur les hommes de mon père qui m'a outré, mais plus le rire mesquin de Framboise depuis l'arrière de la voiture.


– Je suis inquiet pour toi ma fille, c'est tout. Tu pars seule, dans  ville pour faire je ne sais quoi avec je ne sais qui, c'est mon devoir de père de m'inquiéter !


– T'inquiète papa, intervient Framboise en s'accrochant à l'appuie-tête, si elle est toujours vierge, c'est pour une raison.


Mon père et moi, tout les deux affreusement gênés, ignorons le venin de Framboise et nous concentrons sur la route. La voiture file relativement vite dans les rues presque désertes de La Tarte. Cette très petite ville du nord de la France me paraît souvent si exigu,si insignifiante qu'un sentiment d'oppression me compresse la poitrine. Tout le monde se connaît, rien ni personne ne change.C'est le genre de village où vingt années sont nécessaire pour faire installer le haut débit. Le genre d'endroit qui n'a pas de place pour des gens comme les Forêt. Restreint et étroit d'esprit.

Nous arrivons à la gare avec dix minutes d'avance ce qui ne me plaît pas. Elle est presque déserte et, dans le petit hall, la voix de mon père résonne alors qu'il s'acharne à me donner des dizaines de conseils dont je me fous royalement. La guichetière lui jette un coup d'œil torve, dérangée dans sa lecture mais Claude Forêt ne la remarque même pas, trop angoissé. À croire que je n'ai jamais quitté la maison.


– Je suis une grande fille tu sais...


Les morveux courent déjà dans la petite gare, s'amusant à glisser sur le sol, criant comme des sauvages sous l'œil indifférent de Framboise.Enfer. Chaque jour qui passe, je me dis qu'elle aurait mieux fait de croiser les jambes... Je soupir, dépitée par ces petits qui grandissent sans aucune limite. Je veux dire, même Tomas, Framboise et moi en avions un peu plus, tout de même !


– Je m'inquiète pour toi ma chérie.


Je me tourne vers mon père tandis qu'il me couve d'un regard tendre et nostalgique.


– Tu ressembles tellement à ta mère...


Là. Voilà pourquoi je déteste les transports en commun. Ce genre d'au-revoir déchirant avec les sanglots dans la voix ? Moi, ça me fait froid dans le dos.


– Arrête, je le coupe avant qu'il ne s'enfonce. Je ne lui ressemble pas. Je ne pars pas définitivement. Je reviens avant la fin de la semaine, nom de Dieu !


– Mumu...


– Ah non ! Je te préviens papa, si tu t'avises de m'appeler encore une fois Mumu, je ne réponds plus de rien !


Mumu ! C'était déjà affligeant quand j'avais cinq ans mais là ? Sans déconner ! Pourquoi ne m'écrit -il pas directement sur le front au marqueur : frappez-la !

Mon père hoche docilement la tête avant de s'approcher, les bras tendus. Je grimace et me fige mais ne le repousse pas. Si un câlin peut le réconforter un peu, je vais me plier à l'exercice.


– Bon, ça va aller maintenant. Tu vas voir je serais vite de retour. Et puis il y a Framboise, Tomas, Meredith et Derek avec toi, non, dis-je en lui frottant maladroitement le dos.


– Oui, croasse-t-il la voix enrouée par l'émotion.



Je hoche la tête et dépose un rapide baiser sur sa joue. J'embrasse ensuite  les morveux et ignore royalement ma sœur qui n'esquisse aucun geste pour m'interpeller. Je m'éloigne un peu d'eux et me tourne dans leur direction une dernière fois pour leur adresser un dernier geste. Les yeux bruns de mon père sont emplis de larmes et c'est justement pour ça que je déteste les adieux. Le regard que me jette Framboise alors que le train entre en gare et que je me rapproche du quai a aussi un rôle à jouer. Je préfère ne pas garder en mémoire le mépris souverain et la jalousie que je lui inspire. Je n'ai pas besoin de ça pour le moment.

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