Chapitre 29 : Le spleen de la candidate.

Fatiguée par ma nuit tourmentée, je ne suis vraiment pas d'humeur lorsque je me lève en ce dimanche matin. Je suis fatiguée de tout ça. D'être épiée, de vivre avec des inconnus, de devoir toujours me surpasser, de ne pas pouvoir manger, de me surveiller constamment. Nous sommes enfermés dans cette maison depuis cinq semaines et je crois que je deviens folle, à la Shining. Bientôt je vais me mettre à pourchasser mes camarades, une hache à la main. En même temps certains le méritent. Lucius par exemple. Un petit coup de hache en travers de son joli minois ne peux pas lui faire tant de mal, si ?
Mes proches me manquent, mon père, les morveux, mon frère et même Framboise. J'ai tout le temps l'impression de vivre avec des invités, des gens que je dois bien traiter, que j'aime bien mais que je suis heureuse de voir partir. Entre autre, ça fait plus d'un mois que j'attends de partir, de retrouver ma vie, enfin, ma presque-vie. Je ne pense pas pouvoir me réapproprier ma petite routine aussi facilement. Après tout, un gars a écrit un poème pour mes seins.
Avec un long soupir je m'extirpe de mon lit et me dirige vers la salle de bain. Lili-Rose en est déjà sortie, elle doit être en bas avec les autres.
Je ne sais pas à qui je pourrais parler de tout ça, des doutes, de la fatigue, de la lassitude. Je ne pense pas que Momo ou Thibault comprennent. Ils s'en sortent tellement bien ici... Lili-Rose aussi d'ailleurs. Elle s'épanouit de jour en jour, devient plus brillante et plus pétillante à chaque instant.  Je crois que pour elle l'école est une bénédiction. Elle l'est pour chacun d'entre nous, mais je suis juste une gamine insatisfaite qui fait un caprice. Quant aux autres je préfère encore sombrer dans une profonde dépression plutôt que m'épancher sur mes états-d'âmes.
La matinée passe comme dans un rêve, je suis là, présente et je fais ce que les autres attendent de moi mais sans plus. Je ne cherche pas à discuter, je réponds du bout des lèvres, j'exécute mes tâches ménagères mais je ne suis pas là. Je suis n'importe où, mais pas là. Cet endroit doit être en train de me rendre claustrophobe ou quelque chose comme ça.
Un peu avant midi je pars m'isoler, je parcours le parc immense à la recherche d'un recoin sombre et tranquille, d'une espèce de cachette, où, l'espace d'un instant, je pourrais être juste moi-même. Juste seule loin de tout et du monde. Finalement, et au bout d'un quart d'heure de marche je trouve mon Éden à moi : un petit coin à l'écart de tout où l'herbe est verte et tendre, protégée par un arbre. Je ne sais pas ce que c'est, mais il m'apporte l'ombre adéquate. Le coin est dissimulé par de haut buisson et je souris de plaisirs lorsque je comprends que je suis assez loin pour ne plus rien entendre du tout. Je suis à l'écart du temps, et du bruit. Enfin. Je pensais que vivre avec cinq personnes était fatiguant et crevant. Vivre avec neuf c'est éreintant. Il y a constamment du bruit, des cris, des rires, des pleurs. Un joyeux désordre a, depuis longtemps, pris le contrôle de chaque surface plane de la maison, on est jamais seul. Oubliée la notion d'intimité ! Je suis tellement habituée à ce qu'on vienne me déranger jusqu'au toilette que je suis à deux doigts d'y ouvrir un bureau des plaintes.
Je m'allonge sur l'herbe, les yeux tournés vers le ciel et je profite. Du calme, de la solitude, des odeurs de l'été, chaude et festive, de la sensation des brins frais entre mes doigts ou sur ma nuque, des nuages qui mène leur vie, ne quittant jamais leur vitesse de croisière. La solitude m'apaise. Pas besoin d'être sur ses gardes, pas besoin de se demander qui fera le plus de mal à l'autre ou quoi que ce soit de cet acabit lorsqu'on est seul. Juste moi et moi-même, les yeux vers le ciel, et la tête dans les nuages. Je me demande si ma vie sera toujours comme ça, maintenant. Toujours à mille à l'heure, sauf que les cours seront remplacés par des interviews, des enregistrements, des tournées et je ne sais quoi encore. Toujours entre deux avions, entre deux hôtels, entre deux vies. Lorsque j'ai acceptée de m'engager là-dedans je n'ai pas vraiment pensé au reste, à l'après. Peut-être parce que tout est tellement abstrait... mais je le vois bien, à chaque prime, le public nous acclame. Je ne sais pas vraiment pourquoi d'ailleurs. On est tellement normaux.
Sans m'en rendre compte, je me suis mise à pleurer. Je crois que je craque. Mes larmes sont nerveuses. Ça fait du bien de pleurer, parfois, comme là. Loin des regards, de la fausse compassion et de ce genre de conneries.


Deux heures plus tard, je me retrouve dans la salle de chant en compagnie des autres. Madame Signes parle encore et toujours, habillée trop court et trop moulant. Je ne l'écoute que d'une oreille distraite, incapable de me concentrer. Finalement, je crois réellement que Framboise avait raison. Je ne suis pas faîte pour ça. Bien évidemment je ne peux pas faire demi-tour. Je ne peux pas quitter l'émission. J'ai signée un contrat. Mais franchement...

– Mûre !

Je relève la tête pour tomber sur le regard furieux de la prof. Les joues rouges, je me fais petite.

– Je vous dérange, peut-être ? crache-t-elle d'un air cynique.

– Non.

Je baisse les yeux et tente de me concentrer un peu plus. Elle parle du prime de vendredi et du travail colossal qu'il va nous demander. Le thème du prochain spectacle me plaît assez je dois dire. Comédie Musical. Nous allons reprendre les plus grandes chansons des plus grandes comédies musicales françaises. Je suis aux anges. À moi les Dix Commandements, Notre Dame de Paris, le Roi Soleil, Mozart l'Opéra Rock et j'en passe et des meilleurs ! Danser, chanter et jouer la comédie, le tout dans des costumes somptueux, c'est plutôt classe, non ?

– Cet exercice n'aura pas seulement pour but de vous apprendre à être polyvalent mais également à supporter une charge énorme de travail en seulement quelques jours. Si vous y parvenez, vous pourrez être fiers de vous et du travail que vous aurez abattu. Une véritable prouesse. Pas tout le monde est capable de supporter ce genre de pression.

Comme à son habitude elle passe nous distribuer nos chansons. J'ai six feuilles, j'aurais donc le droit à six passages. Trois collégiales, qui, ma foi, sont assez bien choisies : Les Rois du Monde de Roméo et Juliette pour l'ouverture, Tant qu'On Rêve Encore du Roi Soleil pour le retour de la pub et, enfin, pour la fermeture Être à la Hauteur, une fois encore extraite de la comédie musicale du Roi Soleil. Ensuite ça se corse. Je ne sais pas qui fait la répartition des chansons mais j'aimerais bien lui dire deux mots. Ou cinquante et tous très vulgaire. Après l'ouverture, j'enchaîne avec un duo. Quelque Chose de Magique, La Légende du Roi Arthur. Une très belle chanson aux accents mystique que j'aurais adorée interpréter si mon partenaire n'était pas Lucius. Super. Je vais chanter et danser avec Lucius. Je sens que ça va être l'éclate ! Mon second duo, et c'est le pompon, se fera avec Cristal. Avec Cristal quoi ! Les profs ont toutefois un sacré sens de l'humour puisque nous chanterons Six Pieds sous Terre de Mozart l'Opéra Rock. Enfin, si je ne l'enterre pas réellement avant, s'entend. Mon dernier duo est un trio qui me redonne le sourire. Encore une chanson issue de la Légende du Roi Arthur : Je Te Promets que je vais interpréter aux côtés de Lili-Rose et Thibault. En tout cas, Madame Signes à raison, tout cela va demander du boulot, beaucoup de maquillage, des robes longues et des corsets.

– Nous n'allons pas perdre de temps et nous allons commencer à répéter l'ouverture immédiatement.

Elle lance la musique et tente plusieurs ajustements. Au début il est convenu que James commence, avant qu'elle ne change d'avis et déclare que Cristal chanterait le premier couplet mais, finalement, ça ne lui plaît pas alors elle efface et recommence encore et encore, inlassablement, mais, finalement et à force de travail, Madame Signes trouve sont bonheur. Elle se contente simplement de nous séparer par classe. Nous commençons, puis les acteurs et ensuite les comédiens et ainsi de suite, nous finissons la chanson tous à l'unisson et je dois avouer que ça rend bien.
À la fin de la journée nous maîtrisons déjà Les Rois du Monde ce qui est plutôt une bonne nouvelle. Kimberly nous attend avec les fameux ipod qui nous permettent de réviser, elle nous en distribue un chacun et nous laisse en paix.

– Pourquoi j'ai l'impression qu'il y a un truc qui cloche ?

Je me tourne vers Lili-Rose qui est sur mes talons. Je fronce les sourcils et continue ma route en direction de notre chambre pour y déposer mes affaires, bien sûr, Lili-Rose ne lâche pas le morceau. Elle attrape mes feuilles et explose de rire quand elle se rend compte qui seront mes partenaires pour mes duos.

– Ce n'est pas drôle, je grogne en soufflant.

Elle hoche la tête avec vigueur en me rendant mes textes :

– Si ça l'est. Cristal va être verte.

Surprise par sa remarque je me tourne vers elle en haussant un sourcils, je ne vois absolument pas ce qu'elle veux dire par là.

– Tu vas chanter un duo avec Lucius alors qu'elle non. Une chanson d'amour.

Je pousse un long soupir en secouant la tête. Vraiment je ne vois pas en quoi cela est si drôle ou cool ou quoi que soit d'autres.

– Arrête de faire la tête, vous aviez l'air de bien vous entendre hier dans la piscine, c'est comme si rien ne s'était passé.

Ah. Elle n'est pas au courant. Je pensais que Lucius aurait crié au loup ou un truc du genre. Quoi que, pour une fois, c'est lui qui s'est humilié et connaissant Scarface il tente tant bien que mal de préserver sa dignité. Ma foi, la mienne j'y ai renoncé depuis belle lurette et je ne m'en porte pas vraiment plus mal. Je suppose.

– Je me suis disputée avec Lucius hier soir. Assez violemment.

– Quoi ?! Encore ?

– Oui. Un truc bête. Je ne sais pas ce qui lui a pris. Je suis allée prendre l'air au bord de la piscine tranquille pour profiter du calme extérieur, il est arrivé, on a discutés et puis, d'un coup, il m'a ordonné de ne plus adresser la parole à James et quand je lui ai demandé pourquoi le ton est monté.

Lili-Rose pousse un long soupir d'exaspération en secouant la tête :

– Je ne sais pas qui m'exaspère le plus entre vous deux. Toi qui ne vois rien ou lui qui s'y prend comme un manche ?!

Je dévisage mon amie qui fronce les sourcils, ses jolis yeux bleus mis en valeur par ses cheveux bruns remontés en chignon et le maquillage à la raton-laveur autour de ses yeux. Elle me fait un peu peur, quand même.

– Je ne vois pas de quoi tu parles, je décide d'esquiver en quittant ma chambre.

Elle pousse un rugissement assez inquiétant qui me fait sursauter avant de me suivre et de m'attraper par les épaules pour me tourner vers elle :

– Ouvre les yeux, tu lui plais !

Je la repousse violemment en fronçant les sourcils, les joues rouges de gêne. Elle n’aurait pas pu crier ça ailleurs ? Genre loin du couloir qui relit chacune de nos chambres ?

– Arrête de dire des conneries ! Si je lui plaisais tant que ça il n'aurait pas sauté Cristal.

Lili-Rose ferme les yeux, se passe une main sur le visage et pousse un long soupir, je crois qu'elle s'exhorte au calme :

– Mon Dieu mais tu as quel âge ?! C'est un mec ! Le fait que tu lui plaise ne va pas l'empêcher d'aller s'amuser ailleurs ! Tant qu'il n'y a rien d'officiel et encore, même là rien ne te garantit sa fidélité, ne t'attend pas à ce qu'il reste bien sagement devant la télé à regarder un vieil épisode de Columbo ! Tu te crois où ? Dans la Belle au Bois Dormant ou bien ?

– Personnellement je suis plus fan de La Belle et la Bête.

– Vas-y, fous-toi de ma gueule. En attendant, arrête de tirer la tronche, décrète-t-elle en croisant les bras sur sa poitrine.

J'imite sa posture et cri à mon tour :

– Je ne tire pas la tronche !

– À d'autres ! Tu as disparu ce matin et quand tu reviens on a l'impression que quelqu'un a écrasé ton chien !

– Toumoche est portés disparu depuis neuf mois, je marmonne en baissant les yeux au sol.

– Mais on s'en fout ! hurle-t-elle en se prenant la tête entre les mains. Ce que je veux dire par là c'est que chaque fois que tu te prends la tête avec cet idiot tu déprimes, alors ouvre les yeux et, en attendant, allons réviser.

Elle m'attrape la main et, ensemble, nous rejoignons Thibault qui nous attend. Je n'ai pas trop la tête à ça, tout ce que Lili-Rose m'a crié dans les oreilles ne cesse de me revenir encore et encore. Je sais que j'aime bien Lucius mais je ne pense pas que ce soit réciproque, si ? Enfin, je veux dire, à nous deux on dirait un remake de la Belle et la Bête. Et ce n'est certainement pas lui, le truc énorme, plein de poils et de bave. Fait chier ! Au moins, maintenant, je sais pourquoi j'ai toujours préféré ma télé aux vrais gens : mon écran plat ne me file pas d'énigme qui me donne des mal de crâne carabiné.

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