Chapitre 27 : The Dark Thibault.
Thibault est adorable. Vraiment. Un ange descendu du ciel. Prévenant, à l'écoute, rassurant, doux, attentionné et je peux continuer comme ça encore longtemps. Il est ce que chaque fille rêverait d'avoir et mieux encore. Il me soutient dans mon régime, m'aide à réviser, à progresser, il supporte mes humeurs, rigole avec moi et m'a même tenue contre lui lorsque nous avons regardés La Ligne Verte et que John Coffey est mort. Il est... un ange.
Du moins la plupart du temps.
Ce vendredi nous montons sur scène pour la cinquième fois et je suis assez fière des quelques infimes progrès que je suis parvenue à faire. Maintenant lorsque je chante, les gens ne sont plus tentés par le suicide. Ils prennent juste deux aspirines. En même temps, si en un mois de travail intensif je ne m'étais pas un tant soit peu améliorée, je serais rentrée chez moi. Donc, pour fêter ça, nos professeurs nous ont mis par duo. Et, lorsqu'ils ont annoncé les paires j'étais franchement heureuse. Je chanterai avec Thibault pour notre prochain prime. Bon, également avec Lili-Rose, mais elle ne pose pas de réel problème, elle. J'étais certaine que nous allions tout déchirer, entre notre complémentarité, son charisme et moi nous serions parvenus à faire quelque chose de bon. Et puis vint le moment des répétitions. Nous avions choisi Toi + Moi de Grégoire. Je ne tiens pas à me lancer dans l'anglais pour l'instant. Je chante mal, pas besoin de me compliquer la tâche avec des mots que je ne comprends pas, merci bien. Au début tout était parfait. Vraiment. Il était lui, gentil, attentionné, à l'écoute... et, finalement, l'enfer s'est déchaîné. Thibault est devenu sont exact opposé, comme si son reflet maléfique avait prit sa place. Agressif, grossier, moqueur et méchant. J'ai eu l'impression de chanter avec Lucius, et encore, depuis que je lui ai sauvé la mise il y a deux semaines il se comporte presque bien. Mais Thibault... entre deux cours harassants il était là, exigeant, impatient et méchant. J'en suis venue à l'éviter au maximum et il me le rend bien. Nous sommes à deux jours du direct et même si mes chansons avec Lucius, Momo et Lili-Rose sont prêtes, nous n'arrivons à rien avec Thibault. Mais je sais que nous devons faire des efforts, nous devons nous surpasser et travailler malgré tout alors, en sortant du cours de danse de Mademoiselle Lola je vais le voir. Il est dans sa chambre et attend que Lucius ait fini de monopoliser la salle de bain pour prendre sa douche :
- Thibault, je me lance timidement en me plantant sur le pas de sa porte, si tu veux, en attendant que le dîner soit prêt on pourrait aller s'entraîner ?
Il acquiesce, le regard dur et je tourne les talons en me mordant les joues pour ne pas pleurer. Je ne comprends pas sa froideur, la distance qu'il installe entre nous et j'avoue en souffrir. Je ne pensais pas m'entendre aussi bien avec quelqu'un. Je ne m'attendais pas à parvenir à lier une amitié aussi solide. Enfin, pas si solide que ça. Je descends les marches et me dirige vers la salle de danse pour l'attendre. Alors c'est ça le show-business ? On fait et on défait des amitiés pour une répétition ? Pour une compétition débile ? Assise dans un coin de la salle je ne parviens pas à retenir une larme. Merde, je n'aime pas pleurer. Je ne suis pas vraiment de ce genre là et s'il ne veut pas que l'on soit amis, tant pis. Je ne vais certainement pas mendier pour quelques miettes d'affections. Je pense valoir un peu mieux que cela. Sinon, voilà longtemps que je me traînerais en rampant aux pieds de Framboise pour espérer gagner un peu d'amour.
Il serait peut-être temps que je cesse de me voiler la face. De toute évidence, personne n'est là pour se faire des copains. Il faut que j'arrête d'espérer qu'ils se comportent en amis. Lucius, Thibault et qui d'autre encore ? Lili-Rose ? Momo ? Non merci. Il faut que cela cesse. Je ne peux pas me laisser faire et me reposer sur de parfaits inconnus. Mon avenir et celui de ma famille dépendent de ce concours. Au travers de la baie vitrée je vois Thibault qui s'approche. Je me lève et vais allumer la station. Je suis prête à donner le meilleur de moi-même. Je vais répéter jusqu'à m'en déchirer les cordes vocales et s'il n'est pas content avec ça il ira se faire voir chez les Grecs avec les compliments de la maison.
- Allons-y ! ordonne-t-il en se positionnant au centre de la pièce, micro en main, pour se lancer dans son couplet.
Nous répétons au moins pendant une heure non-stop. Nous nous disputons encore et encore, enchaînant piques mesquines sur remarques blessantes. Il oublie qu'il n'est pas le seul à savoir frapper là où ça fait mal et, en colère, fatiguée et blessée, ne contrôlant plus mes mots, lorsqu'il loupe une phrase de son couplet j'assène les paroles de trop avec une rage froide :
- Ton père a raison, t'es vraiment un bon à rien.
Thibault fait un pas en arrière, comme si je venais de le frapper. Son regard, l'expression de ses yeux si bleus, si doux en temps normal est tellement violente que je suis certaine qu'elle me hantera pour le reste de mon existence. Je meurs d'envie de ravaler ma colère et le venin qui est sorti de ma bouche mais c'est trop tard. Thibault pose le micro avec fracas et s'éloigne. Je voudrais lui courir après et m'excuser. Dans un monde parfait ou un stupide film à l'eau de rose c'est ce que je ferais. Je me mettrais à genoux et implorerais son pardon. Mais dans la réalité je reste figée sur place, comme si le poids de ma culpabilité était mon propre boulet, ma fierté la chaîne qui le relié à ma cheville et ma colère la clé qui maintenait le tout lié ensemble. Je le regarde s'éloigner et je ne bouge pas. Mon ami, mon Thibault doux, compréhensif, amical, réconfortant, reposant et prévenant. Le garçon qui n'a rien dit lorsqu'il ma vue danser sur un vieux tube pourri, celui qui me soutiens dans mon régime, allant même jusqu'à manger les mêmes plats immondes à l'écart des autres avec moi, celui qui, lorsque j'ai un petit coup de mou n'hésite pas à rester des heures à mes côté à fixer le plafond de ma chambre dans un calme absolu. Je viens de le blesser, je viens d'utiliser ses propres démons contre lui, sans vergogne. Je savais que ça lui ferait du mal, je savais que cela le toucherait et l'affecterait. Je le savais et je l'ai fais, sciemment.
Hagarde, je quitte la salle de danse et quitte le mas. J'ai besoin d'air, d'être seule et ils sont tous à la piscine, alors je vais me promener dans l'immense parc à l'avant. Il faut que je fasse le point. Je ne pense pas être une personne comme ça, si ? Je sais que j'ai le jugement facile mais je ne suis pas cette sale peste insensible qui vient de blesser son ami, n'est-ce-pas ? Loin de tout, loin du monde, je m'assois par terre, sous un arbre et je fixe le ciel qui, lentement, insensible aux humeurs du monde perds de sa luminosité. Je ne veux pas ça, me perdre dans la manœuvre, devenir quelqu'un d'autre. Quelqu'un qui ne pense presque pas à sa famille, qui ne cherche pas à avoir de ses nouvelles ni à la faire venir sur chaque prime dans l'espoir de l'apercevoir le temps de précieuses secondes. Quelqu'un de froid et d'insensible qui marchande l'avenir de deux personnes comme si cela n'était rien. Quelqu'un qui fait du mal à ses amis dans l'espoir de les voir à terre. Je ne veux pas exploiter la faiblesse des gens et si cette émission est en train de me transformer en monstre, je préfère y renoncer.
La foule crie et nous appelle, en effervescence, heureuse et enthousiaste à l'idée de nous voir ensemble sur scène. Il y a quelques minutes je chantais avec Lili-Rose, une reprise de Larusso, l'indémodable, l'inoubliable, le génialissime Tu m'oublieras et l'ambiance était à la fête. J'ai toujours eu un faible pour cette chanson, alors l'interpréter avec Lili-Rose tout en dansant et sautant sur un lit king size qui avait été déposer au centre de la scène juste pour nous, je dois bien dire que ça a été un grand moment. Personnellement j'ai adorée. Mais voilà, toutes les bonnes choses on une fin et je dois maintenant chanter avec Thibault. Ces derniers jours ont été affreux. Je me sens tellement mal chaque fois que je croise son regard, c'est oppressant. J'ai envie de pleurer, et, en même temps, une affreuse part de moi, le côté sournois, mesquin et vengeur que cette émission à rendu plus fort et plus vilain refuse d'esquisser le moindre geste même pour s'excuser. Nous avons répété sans la moindre parole échangée en dehors du strict minimum. Nous ne nous regardons pas et ne parlons pas. Lili-Rose a bien tenté d'essayer de comprendre mais devant notre mutisme elle a finalement baissé les bras.
- Les gars, allez-y, c'est à vous, nous pousse le technicien.
Je déglutis, prend une profonde inspiration et m'élance sous les projecteurs mais ce n'est pas comme d'habitude. C'est différent. Thibault est là, devant moi et lui aussi semble ailleurs, mais nous n'avons pas le temps de nous attarder que les premières notes résonnent déjà et nous commençons, à l'unisson :
- Toi plus moi, plus eux, plus tout ceux qui le veulent, plus lui, plus elle et tous ceux qui sont seuls.
Nos voix sont en parfaite harmonie et comme la mélodie est simple, je ne pense pas chanter particulièrement faux. Mais le cœur n'y est pas. Nous ne nous regardons pas et chantons, le cœur et la tête ailleurs. Lui est déjà en bas, sur le plateau et moi je me concentre sur ses fichues marches de verres, me cramponnant à la rambarde en priant pour ne pas glisser et me rompre le cou en direct.
- Allez, venez et entrez dans la danses, allez venez, laissez faire l'insouciance.
Le couplet suivant c'est le mien, celui qui est à la base de notre discorde. Je chante, la gorge obstruée par mon chagrin, mes regrets et ma culpabilité.
- À deux, à mille, je sais qu'on est capable, tout est possible, tout est réalisable, on peut s'enfuir bien plus haut que nos rêves, on pet partir bien plus loin que la grève !
Je ne sais pas pourquoi, à cet instant j'ai eu l'idée lamentable de lâcher la rambarde tout en faisant un pas de côté et un demi tour sur moi-même.
Mauvaise idée.
Ce serait déjà un plan débile en basket sur une surface plane, mais en talons aiguilles, avec une jupe longue et sur un escalier glissant ? Ça ne loupe pas et je vois le sol se rapprocher. Je vais me vautrer en beauté devant la France entière. Quoi que, au point ou j'en suis... je me protège le visage de mon bras et laisse échapper un petit cris de terreur.
- Oh toi, plus moi, plus tous ceux qui le veulent, plus lui, plus elle et tous ceux qui sont seuls...
J'ouvre un œil lorsque je me rends compte que j'aurais déjà dû rencontrer le sol. Le public hurle son assentiment et je me mets à pleurer lorsque je me rends compte que je suis à moitié couchée sur Thibault, qui chante. Alors je le suis, « the show must go on », comme on dit. Yeux dans les yeux, on entame le reste du refrain tandis qu'il m'aide à me redresser :
- Allez, venez et entrez dans la danses, allez, venez c'est notre jour de chance.
Sans parler, mille paroles et mille excuses sont échangées. Reproches et douleurs sont jetées aux oubliettes. Je lui attrape la main et nous continuons le spectacle, souriant et dansant comme des gosses. Nous tournons sur nous même, comme les enfants qui utilisent le poids de l'autre pour aller plus vite jusqu'à ce que tout deviennent flou sauf le visage en face, nous mettons carrément le feu à la scène et, lorsque les dernières notes raisonnent, il m'enlace et m'enferme dans ses bras.
- Je suis désolée, je souffle à son oreille en resserrant l'étreinte, heureuse de retrouver mon ami.
- J'ai été con. La pression. C'est moi qui m'excuse.
Je secoue la tête et m'éloigne. On se fixe un long moment, ignorant le public, le jury le présentateur et le reste du monde. Il est mon ami et même s'il se comporte parfois comme un con, il en a parfaitement le droit. Tout le monde supporte constamment mes humeurs à moi.
- Wahou ! Quel show, hurle Hervé en s'approchant de nous, souriant.
Il nous entraîne face aux professeurs et à Laza qui nous dévisagent depuis leurs sièges respectifs. Mademoiselle Lola et Madame Signes ne semblent pas en colère et pour une fois, la vieille chanteuse n'expriment pas juste du dégoût, donc je suppose que nous en sortons à bon compte.
- Alors, Laza, que penses-tu de tes élèves ?
Laza pince les lèvres un quart de secondes avant de se lancer :
- Ils ont progressé, c'est indéniable. Leurs voix sont plus posées, ils sont plus à l'aise sur scène mais ils laissent trop de place à leurs petites querelles personnelles.
Nous baissons la têtes, honteux. Bien sûr, elle s'en est rendue compte. Nous regagnons les coulisses sans trop fanfaronner. Une fois à l'abri des caméras, j'ai attrapé la main de Thibault et, les yeux fixés sur le bout de mes escarpins violet, j'ai lâché en bégayant comme une enfant prise en faute :
- Je suis désolée Thibault, pour ce que je t'ai dit. Je savais que ça te ferait du mal. Je l'ai voulu.
Il pose une main sur mon épaule et attend que je daigne relever les yeux :
- J'ai été un gros con, je suis désolé. Si je ne m'étais pas comporté en tyran rien de tout cela ne se serait produit. Mais Laza m'a laissée une note pour m'apprendre que mon père serait dans le public et je voulais lui en mettre plein la vue, lui prouver que j'étais mieux que tout ce qu'il pouvait penser.
J'écarquille les yeux et lui attrape les mains :
- Pourquoi tu ne me l'as pas dis ? J'aurais compris !
Il hausse les épaules, et, subitement, je vois à quel point il est perdu. À quel point il a besoin de cette reconnaissance. Je l'attire dans mes bras et le serre contre moi un long moment.
- Tu sais quoi, je lui souffle, le sourire aux lèvres, tu as géré ce soir. Un vrai showman et si ton père ne peut pas voir ça, c'est qu'il n'en vaut pas la peine.
Il reste contre moi en silence un instant avant de murmurer un fervent « merci Mûre ». Et j'ai su que tout était redevenu comme avant.
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