Chapitre 26 : Mûre-Woman !
On est samedi, il est à peine huit heures du matin et je viens juste de m'endormir lorsque Kimberly tambourine sur notre porte comme un inspecteur de la BAC mal-luné en hurlant que nous avons cinq minutes pour descendre puisque Laza est là et qu'elle veut nous parler immédiatement.
Non. Pas elle. Pas maintenant. Il est trop tôt pour recevoir un sermon.
Il est amplement mérité, bien sûr. Le spectacle d'hier a été un désastre. Et encore, je suis gentille. Mais par pitié, laissez-nous dormir encore un peu !
En grognant je m'extirpe de mon lit et vais à la salle de bain pour me brosser les dents. Ensuite je descends, sur les talons de Momo et Roland. Je m'installe sur le canapé, soulagée de constater que tout le monde est encore en pyjama et que ma chemise de nuit à l'effigie de Bob l'éponge est moins ridicule que le t-shirt Barbie des jumelles. Thibault et Lili-Rose arrivent et me regardent de façon tout à fait étrange :
– Quoi ?
– Tu as oublié de te rincer la bouche, souffle Thibault en désignant mon visage du doigt.
Je touche mon visage et, en effet, j'ai oublié de me rincer. Résultat des courses j'ai du dentifrice jusque sur le nez et je ne me suis rendue compte de rien. Voilà ce qui se passe quand je dors moins de deux heures d'affilées.
– Bande d'imbéciles ! hurle Laza en entrant en trombe dans la pièce, les cheveux attachés en une queue de cheval sévère, dans un tailleur pantalon noir flippant qui annonce « je suis déjà habillée pour vos enterrements bande de minables ».
Je déglutis et me tasse sur moi-même, priant pour mourir, là, maintenant, tout de suite. Tout le monde ferme sa gueule, personne n'a réellement envie que Laza Hara nous défonce le crâne à coup de boule de billard.
– Bonjour à vous aussi Laza.
Enfin, tout le monde sauf Lucius, qui, en boxer très moulant, repose tranquillement sur le canapé, la défiant du regard, pas inquiet pour un sou. Ce gars a vraiment un souci avec l'autorité. À moins qu'il soit simplement accro à l'adrénaline.
Laza se tourne vers lui et le dévisage d'une telle façon qu'à sa place, je me serais liquéfiée de terreur. Mais il garde la tête haute et, je l'avoue, ça force l'admiration.
– Avez-vous la moindre idée de la merde que vous avez semée derrière vous ? Et je ne parle pas de vos prestations lamentables ! Mais du reste ! De tout le reste ! Mais vous savez quoi ? Vous avez tellement enchaîné les conneries que nous allons visionner ensemble ce fichu prime, histoire d'être certaine que je ne loupe rien, ni personne.
La lueur meurtrière qui anime ses yeux m'horrifie. Elle va m'arracher les yeux avec un couteau à beurre, c'est sûr. Kimberly se dirige vers le lecteur blue-ray, y insère un disque et vient s'installer aux côtés de Laza, un sourire trop radieux pour la circonstance imprimé sur le visage.
Le silence dans le salon est pesant tandis que le prime catastrophique d'hier se déroule sous nos yeux impuissants, et, au fur et à mesure que l'on nous voit oublier les paroles lors de la collégial, massacrant Cosmo , Cristal trébuche sur ses hauts talons et s'étale de tout son long, provoquant l'effet domino, un peu comme lorsqu'un cycliste du peloton du tour de France se vautre et que tout les autres tombent. On se retrouvent tous au sol, sauf Thibault qui rougit et reste planté sur place. Laza saisit la télécommande et met pause. Elle ne mentait pas lorsqu'elle disait qu'elle ne louperait rien ni personne.
– Cristal, cracha-t-elle en se tournant vers elle, je pensais que tu avais l'habitude de marcher sur des talons, alors peux-tu m'expliquer pourquoi tu es tombée de manières si spectaculaire en plein milieu de la scène ? Tu as quoi, trois ans et tu apprends à peine à marcher ? Je sais que tu es blonde mais mettre un pied devant l'autre est si compliqué pour toi ? Tu es débile ? Enfin, si tu n'avais pas été aussi occupée à dévorer Lucius des yeux, peut-être aurais-tu été capable d'aligner deux pas ?
Cristal, d'habitude si fière et prompt à répondre baisse la tête comme une enfant prise en faute, personne ne moufte et Laza continue son lynchage :
– Et toi, idiot, lance-t-elle à l'intention de Thibault qui se crispe, si je ne m'abuse, Ludovic vous a bien enseigné à improviser et, d'après ce que j'ai pu constater tu étais le meilleur dans l'exercice alors pourquoi, bordel de merde, ne l'as-tu pas mis à contribution ? Pourquoi être resté sur place à rougir comme le débile profond incapable que tu es ?
Elle est dure, vraiment trop et, du coin de l’œil, je me rends compte qu'il tremble légèrement et s'en est assez. Je sais que j'ai également enchaîné les conneries sur ce prime, mais Thibault ne mérite pas ça, elle frappe là où ça fait mal et elle le sait. Mon instinct de protection se réveille alors, je saisis la main de mon ami, la serre et signe mon arrêt de mort :
– Un peu de respect ça vous arracherait la bouche peut-être ? Plutôt que de s'en prendre à lui comme s'il était Robert De Niro ou je ne sais qui pourquoi ne pas lui expliquer calmement où sont ses fautes ? Nous débutons, ça ne fait qu'une semaine et vous nous préparez des spectacles dignes du Cirque du Soleil ! Faut garder les pieds sur Terre !
– J'y penserai peut-être lorsque viendra ton tour, répond simplement Laza en m'adressant un sourire carnassier qui, à n'en pas douter, a inspiré Satan lui-même.
Je garde la tête haute et tente de soutenir son regard d'acier aussi longtemps que me le permet mon courage et les tremblements discrets de la main de Thibault. Finalement, au bout des trente secondes les plus longues de ma vie, Laza lance à nouveau le prime.
Nous nous relevons et quittons le plateau la tête basse, enfoncée dans les épaules. Je sais qu'à cet instant, je voulais disparaître pour de bon, devenir la femme invisible ou un truc du style. Ensuite, et tandis que nous nous changeons, troquons shorts, jupes et débardeurs multicolores, James et Lucius descendent sur scène pour faire patienter le public. Ils devaient se contenter d'animer un peu, rien de méchant, mais voilà, une pique en entraînant une autre, on voit James se pencher sur Lucius en couvrant son micro et, la seconde qui suit, Lucius lui assène une droite digne des films Marvel. James tombe mais se relève et réplique et ça vire au pugilat. Ludovic décide d'intervenir mais Lucius le repousse comme s'il n'était qu'une poupée de chiffon. Finalement c'est au tour du Colonel Nila et de la sécurité de s'interposer pour les séparer, inutile de dire que le public était en liesse. Laza, elle, depuis son trône est sur le point d'avoir une attaque. C'est à ce moment qu'elle stoppe tout et qu'elle fusille les deux bagarreurs du regard. James à un coquard énorme, un peu comme celui que ce trimbale Lucius depuis ma jolie droite, en pire. Il a aussi un bleu impressionnant à la mâchoire et la lèvre fendue. Lucius à quelques égratignures mais la seule réelle marque sur son visage date de lundi.
– Je devrais vous virer ! hurle-t-elle en se levant. On n’a jamais vu ça ! Jamais ! Se battre en plein direct ! Et puis quoi encore ? C'est quoi la prochaine étapes ? Une sextape ? Vous venez de rompre votre contrat ! Ni plus ni moins ! Pas de violence ! Vous savez ce que cela signifie !
Lucius baille et se lève, je n'en perds pas une miette parce que connard ou non, il est vraiment canon. Je ne sais pas ce qu'il a en tête mais je le vois contourner le canapé et s'éloigner :
– Je peux savoir où tu vas ? s'époumone Laza et je jure que j'ai cru entendre sa voix se dédoubler.
– Vous venez de le dire, j'ai rompu le contrat, je vais donc aller faire mon sac. Vous inquiétez pas pour le procès, ce sera pas le premier et certainement pas le dernier.
– Assis ! Rugit-elle à bout de nerfs.
Pas suicidaire, Lucius s'exécute, non s'en prendre tout son temps et réaliser chacun de ses mouvements au ralenti.
– Tu ne vas pas juste partir comme ça, jeune homme, d'abord, je veux savoir pourquoi vous vous êtes battu. Ce qui à déclenché se fichu coup de poing ! Merde ! On aurait dit Zidane et son coup de boule !
Lucius ne répond pas. Il ne baisse pas les yeux mais ne dit rien. Quoi que lui ait dit James, il n'a apparemment pas l'intention de le rendre public et au vu du comportement du mannequin de seconde zone qui semble vouloir se transformer en cloporte, il partage le même avis.
– Bien, lâche finalement Laza les lèvres pincées, alors continuons.
Lucius et James sont traînés en dehors du plateau et j'arrive. Merde. Pas ce moment. Déjà, avant même que je ne commence à chanter, j'ai encore un peu de chantilly autour de la bouche. Ce que le monde ignore encore à cet instant c'est ma bouche pleine de ce délicieux fraisier. Pour ma défense, j'étais en train de manger lorsque le régisseur m'a poussée sur la scène et j'aurais eu le temps de finir mon gâteau tranquillement si Lucius et James n'avaient pas décidé de jouer des poings. La musique débute et je n'arrive pas à commencer. J'ai la bouche pleine mais Laza et Madame Signes froncent les sourcils et agitent les mains pour que je pousse la chansonnette, sous la pression, je cède, mais j'oublie que j'en ai encore plein la bouche, donc, forcément essayer d'avaler et parler en même temps n'est vraiment pas une bonne idée, je m'étouffe, tousse et, finalement, je vomis. En direct. À la télé. Sur la chaîne leader. Devant des millions de personnes. Et à cause d'internet, certainement des milliards. Ma vie est finie, définitivement.
Laza arrête la vidéo et se tourne dans ma direction. Je suis assise, la tête entre mes mains et avant qu'elle ne se lance je dis, d'une voix d'où pointe l'agonie et le désespoir :
– Vous pensez vraiment que, quoi que vous disiez, ça sera pire que maintenant ?
Elle observe un instant de silence avant de répondre, apparemment satisfaite :
– Tu es au régime.
Je relève la tête et la fixe, affolée. Elle viens de trouver la seule chose pire que mon humiliation public.
– Pas question.
– Tu n'as pas le choix. Tu as signée un contrat qui me donne le droit de revoir ton apparence physique. Depuis une semaine que tu es là, tu ne cesses pas de manger..
– Je suis stressée ! C'est mon moyen de décompresser, je la coupe en hurlant.
– Eh bien mets toi à fumer !
Elle se stoppe lorsqu'elle se rend compte de ce qu'elle vient de dire, lève le nez en direction d'un des coins du plafond et dit :
– Vous couperez ça au montage.
Bien sûre elle n'a aucune réponse mais elle se doute que son ordre sera respecté. C'est Laza. Mais je ne vais certainement pas arrêter de manger pour lui faire plaisir !
– Je suis bien dans ma peau ! Je n'ai certainement pas besoin d'un régime ! Et vu le sport que je fais quasiment quotidiennement, je ne suis certainement pas en train de grossir !
– Tu baisses d'un ton, jeune fille, me réprimande-t-elle, le ton dur.
Je hausse les sourcils, non mais pour qui se prend-t-elle ?! Je sens mon visage virer au rouge tandis que je me dresse face à elle :
– Un ton en dessous ? Vous vous rendez compte que je ne suis pas votre fille ? Que je ne suis pas un chien ? Je ne serais pas mise au régime, il en est hors de question et si vous vous entêter vous pouvez d'ores et déjà appeler votre avocat parce que je me casse !
– Tu ferais face à de graves répercutions. Tu n'aurais pas les moyens de nous rembourser, commente-t-elle, pas inquiète pour un sou.
– Vraiment, je la défie, je suis certaine, pourtant, que je trouverais quelques personnes importantes prêtes à me soutenir. Je veux dire, nous avons maintenant une petite notoriété, non ? Ça ne devrait pas être si simple de nous réduire en miette.
– Je peux savoir à quoi tu joues, Mûre ?
– À rien, je vous préviens, vous ne me mettrez pas au régime, point à la ligne.
Waouh. Je m'étonne moi-même.
Laza plisse les yeux et me scrute longuement avant de lâcher, froidement :
– Deux mois et demi.
Je saisie immédiatement où elle veux en venir et je contre-attaque :
– Une semaine.
Si elle veut négocier, elle va devoir se lever de bonne heure. Je suis à bonne école avec Framboise pour qui tout se négocie.
– Deux mois.
– Cinq jours.
Si elle veut vraiment me mettre au régime, elle va devoir s'accrocher.
– Un mois et je vous laisse tout vos samedi matin. Vous le rattraperez le dimanche après midi mais vous pourrez vous reposer.
Merde. C'est carrément tentant. Lili-Rose me colle un coup de coude en marmonnant un « accepte » très peu discret. Je me doute que si je refuse, ils vont me coincer dans un coin pour me tabasser, je ferais la même chose à leur place.
– Vous laissez tomber votre sermon à deux balles et toutes éventuelles répercutions, vous nous laisser nous recouchez immédiatement et c'est bon. Oh, et vous présentez des excuses à Thibault, parce qu'au final, il s'en est pas si mal sorti.
Laza me dévisage un long moment, tant et si bien que j'ai l'impression qu'elle tente de m'hypnotiser ou quelques chose comme ça. J'ai l'impression qu'elle voit jusqu'à l'intérieur de mon crâne et, pour mes camarades, je m'oblige à maintenir son regard de tueuse.
– D'accord, mais ce sera un mois et demi.
– J'accepte.
Momo et James applaudissent ce qui, je l'avoue me tire un petit sourire mais ce que je veux, moi, ce sont les excuses de Thibault.
- Je vous présente mes plus plates excuses, monsieur Micceli.
Mon ami acquiesce et nous disposons. Je viens de me sacrifier pour le groupe. Je suis un héros. Mûre-woman. Je viens surtout de battre le diable et je n'ose pas me retourner, de peur de perdre tout ça à jamais et de rester coincer en enfer avec elle.
Le lendemain de mon « échange de bons procédés » avec Laza, au petit déjeuner, inutile de préciser que je ne suis pas à la fête. Tandis que tous mes camarades profitent allègrement de ce que je leur ai obtenus et ce goinfrent de viennoiseries et de tartines aux beurres et à la confitures je me retrouve face à un yaourt zéro pour cent infecte, un pamplemousse amer, une galette de riz soufflé qui a le goût de carton et un café sans sucre.
Autant dire que je m'en mords les doigts. Je ne m'attarde même pas sur les courbatures qui me cassent en deux et sur la fin douloureuse de mes règles.
– Si tu souris ça ira mieux, me souffle Thibault face à moi.
Je me contente de le fusiller du regard avant d'abandonner, de ramasser ma tasse et les reliefs de mon petit-déjeuner et de m'en débarrasser dans l'évier. Mon estomac grogne et je grimace. C'est un enfer. Je vais devoir tenir un mois comme ça.
Il faut que je m'occupe, donc je décide de faire le ménage. Nous avons tous les jours deux agents d'entretiens qui s'en occupe mais je m'ennuie et si je ne veux pas retourner dans le placard à gâteau, je dois faire quelque chose. Je commence par faire ma vaisselle. Ensuite je récure le plan de travail, je tris les épices et range le frigo. Je passe ensuite dans le salon. Je remet en ordre les différentes consoles et leurs jeux, replace fauteuils et canapé, retape les oreillers, fais la poussière et lustres les meubles. J'arrose les plantes, range le billard, je m'occupe à nouveau de la poussière avant d'enchaîner avec les toilettes vertes pomme du rez-de-chaussée que je récure. Quand j'en ressors, d'affreux gants jaune jusqu'au coude, je tombe nez-à-nez avec Lucius. Je ne suis pas d'humeur pour le conflit alors je le contourne et me replonge dans mon ménage. Du moins jusqu'à ce qu'il m'attrape le coude :
– Mûre, attend, je voudrais te parler.
– Qu'est-ce que tu veux ?
J'ai consciente d'être agressive, voire méchante, mais il m'a blessée et il m'a trahie, et même s'il n'y avait strictement rien entre nous, c'est douloureux.
– Je suis désolé. Je suis allé trop loin. J'étais en colère et mes mots ont dépassé ma pensée.
Je le fixe, à la recherche de... je ne sais pas, moi. D'une trace de mensonge, ou de sincérité ou de n'importe quoi. Je ne sais pas ce que je dois lui répondre, lui dire. Je ne pense pas avoir la capacité de lui faire à nouveau confiance, mais bon, autant enterrer la hache de guerre.
– D'accord, pas de soucis. Désolée pour... j'agite ma main gantée de caoutchouc jaune au niveau de ses yeux.
Il m'adresse son sourire made in connard et pose une main sur mon épaule. Je me tends de manière imperceptible et me retiens de bondir en arrière :
– C'est pas grave, ça me donne un look de badboy que les filles adorent.
Je souris légèrement et pars me remettre au travail, mais il me rattrape à nouveau et je retiens de justesse un soupir d'agacement :
– Je voulais aussi te remercier, sans toi j'aurais probablement été viré, et malgré les apparences cette émission est très importante pour moi. Je ne veux pas tout gâcher.
– Alors arrête de te battre. Et pour ce que j'ai fait... c'est involontaire, à vrai dire je ne pensais pas qu'elle accepterait. Je m'attendais plutôt à devoir aller boucler mes valises avec James et toi.
Il ne me répond pas et se contente de me fixer d'une manière étrange qui me met franchement mal à l'aise. Je ne suis pas fan de ça. Des longs regards qui semblent crier milles choses, alors, avec un dernier petit sourire, je repars m'occuper et je fais en sorte qu’il ne me suive pas cette fois-ci.
L'après-midi, et avec seulement trois petits poix dans l'estomac pour moi, je rejoins Madame Signes pour le cours de chant par section. On s'installe, elle arrive avec une jupe en jean très courte et un top jaune qui laisse apparaître son ventre fripé. Dégueulasse. Elle annonce immédiatement la couleur :
– Vous avez été catastrophiques vendredi dernier, une honte pour nos noms mais nous allons arranger ça. C'est fini, maintenant, de se la couler douce. Il est hors de question que je sois de nouveau associer à un tel échec !
Parce qu'elle pense qu'on se la coule douce ? Notre seule demi-journée de repos c'est le samedi matin. Et encore, l'après-midi on doit subir les humeurs de ce taré de Nila. Mais au vu de nos résultats et de notre prime catastrophique, je suppose que nous n'avons pas véritablement notre mot à dire.
Les heures passent et nous chantons à nous en déchirer les cordes vocales. Do, Re, Mi, Fa, Sol, La, Si, Do et tout et tout. Elle tente de nous enseigner à les différencier à l'oreille et pour l'instant, pour moi, c'est toujours la même chose. Je ne suis pas pourvue de l'oreille absolue. Pour ne rien arranger à ma mauvaise volonté j'ai faim, et j'ai mal partout. Je passe la pire journée de ma vie.
Le soir même, lorsque je me précipite dans ma chambre je trouve une note écrite soigneusement à la main, posée bien en évidences sur ma table de nuit : « cela va sans dire qu'à la moindre incartade monsieur Van Der Lood et monsieur Harrisson seront renvoyés. Leur avenir repose sur votre appétit et vos capacités à tenir un engagement, cordialement, Laza Hara ». Je secoue la tête pour tenter de me débarrasser de l'affreux frisson qui me remonte la colonne vertébrale. Cette femme m'effraie. Je pense que d'une certaine façon, totalement tordue, déplacée et flippante, elle essaie de m'aider, de me pousser à être meilleure. Tout de même, savoir qu'à la moindre incartade ils sont virés... je devrais peut-être leur en parler, non ? Les mettre dans la confidence ? Je suis certaine qu'ils m'aideront à tenir mon régime, mais, toutefois, leurs en parler serait comme leur avouer qu'ils sont là à mon bon vouloir, non ? Je veux dire, je ne sais même pas pourquoi Laza a accepté mon marché foireux, je m'attendais surtout à ce qu'elle me vire à coup de pieds aux fesses, oui ! Certainement pas qu'elle cède si facilement. Non, en parler aux garçons ne ferait que me mettre plus de pression, une pression inutile puisque je compte bien tenir ce régime pour sauver leur place. Question d'honneur. Je tiens un mois et demi et ensuite ma dette est effacée. Je recommence à manger et les garçons ne risquent plus rien, à condition que ces idiots ne se battent plus, parce que, franchement, je ne vois pas à partir de quoi je pourrais encore négocier.
– Mûre, tu es là ?
Thibault entre dans ma chambre et me sourit. Je lui fais signe de me rejoindre sur le lit et lui tends la carte. Je peux lui faire confiance, je sais qu'il ne me jugera pas.
– Waouh ! Bonjour la responsabilité.
Il pose une main réconfortante sur mon épaule et reste calme, attendant que je parle. C'est l'une des grandes qualités de Thibault. Il est prévenant. Il est loin d'être idiot ou sans défense, mais il n'est pas là à parader comme le fait James ou à repousser tout le monde comme Lucius. Il est juste lui, calme, attentif et, ma foi, un brin mystérieux.
– Tu voulais quelque chose ? je finis par lui demander en laissant ma tête reposer sur son épaule.
– On vient de finir de notre côté et je voulais savoir si tu voulais nous rejoindre à la piscine.
– J'ai mes règles.
Il pique un fard, comme à chaque fois que je lui parles des impératifs féminins et acquiesce. Il embrasse tendrement le sommet de mon crâne et se relève mais, avant qu'il quitte la pièce je lui attrape le bras :
– N'en parle pas aux autres. Je ne sais pas ce qu'ils seraient capables de me faire pour être sûrs que je ne m'éloigne pas du droit chemin.
– Tu sais, souffle-t-il une lueur tendre et protectrice allumant ses jolis yeux bleus, si jamais tu manges et qu'ils sont virés, ce sera de leur faute, pas de la tienne.
Je lui adresse un petit sourire pas convaincu tandis qu'il s'éloigne. Je me laisse tomber sur mon lit en soufflant, fixant les larges poutres de mon plafond. Je ne sais pas pourquoi, mais j'ai l'affreux pressentiment que tout cela sera beaucoup plus difficile que prévu.
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