Chapitre 18 : J'y vais mais j'ai peur !
Inspire.
Expire.
Inspire.
Expire.
Ne pas tomber, ne pas dire des bêtises plus grosses que moi, ne pas me ridiculiser.
Je peux le faire. Je. Peux. Le. Faire.
Après tout, les jumelles, Roland et Lili-Rose y sont déjà passés et ils ne sont pas morts. Le public a découvert un portrait plus détaillé à leur sujet, puis ils ont chanté et enfin Hervé Lardun, le présentateur, leur a posé quelques questions. Pas la mer à boire, en somme.
Donc voilà, après la pub c'est à moi de jouer. Je vais aller sur scène interpréter ma chanson, répondre aux questions et puis m'asseoir. Il ne me restera plus qu'à sourire jusqu'à la fin de l'émission.
– Tout va bien se passer, m'encourage Momo qui est le suivant à passer.
Le pauvre, il est pas mieux que moi, il est vert. J'ai l'impression qu'il va se mettre à vomir d'une seconde à l'autre.
– Mûre arrête de bouger, gronde ma maquilleuse tandis qu'elle s'affaire autour de moi pour les dernières retouches .
Je marmonne dans ma barbe une suite de mots inintelligibles avant de reprendre mes exercices de respiration.
Inspire.
Expire.
Le plateau est magnifique. Immense et d'un blanc lumineux, nous entrons par des escaliers en verre illuminés de dizaines de bougies qui encadrent la scène, comme si tout ça n'était déjà pas assez compliqué, mais bon, je suis certaine que c'est un coup de Laza pour alimenter le bêtisier de fin d'année. Les jurés sont installés dans de larges fauteuils de différentes couleurs. Le rouge et or pour Laza, le noir en velour pour Madame Signes, le bleu nuit pour le Colonel Nila, un rose fushia avec strass et paillettes pour Mademoiselle Lola et un jaune électrique pour Ludovic -qui est absolument magnifique dans son costard noir. À partir de la semaine prochaine ils auront tous une tablette à la main et la note qu'ils nous attribueront s'affichera sur l'immense grand écran face à eux. Entre eux, la scène est surplombée par un lustre en verre somptueux qui reflète chaque lumière du plateau avec une espèce de dimension enchanteresse. Derrière les jurys se trouve le public, vraiment très, très nombreux mais je ne préfère ne pas y penser, et sur le côté, à droite de Laza, deux rangées de larges fauteuils vert pomme et bleu clair pour nous.
– Mûre, la pub est bientôt finie, me prévient l'un des techniciens, tiens-toi prête.
Inspire. Expire. Inspire. Expire.
Mon dieu je ne vais jamais y parvenir. Je vais me ridiculiser. Je vais tomber, je vais bafouiller, je vais rougir et pleurer. Mon dieu, mon dieu, mon dieu.
Je veux rentrer chez moi me cacher sous ma couette. Je veux rester une grosse nulle bonne à rien. Je ne veux pas le faire. Je vais pleurer. Je vais crier. J'ai les mains moites, je transpire, je tremble, j'ai la bougeotte, le palpitant qui mène une course effrénée contre je ne sais quoi. Mon dieu, mon dieu, mon dieu.
Je vais mourir. De honte, très certainement. À moins que je ne me rompe le cou en descendant les marches. Des marches ! Qui est l'idiot qui a mis des marches en verre ?! Ils se sont crus où ? Chez Cendrillon ? Sur la Croisette ?
– Je veux pas y aller, je veux pas y aller, je veux pas y aller, je marmonne en secouant la tête.
– Stop, me coupe ma maquilleuse. Tu vas ruiner tout mon travail.
– Je m'en fiche, de toute façon, je peux pas le faire.
– Mûre, ton portrait démarre, tu y vas dans cinq minutes, lance le technicien en vérifiant mon micro pour la quatrième fois au moins.
– Tu vas le faire et tu vas déchirer ! me lance finalement Thibault qui a quitté sa place dans le rang pour venir m'encourager en posant ses grandes mains sur mes épaules.
Le chapeau de paille qu'on lui a vissé sur la tête cache un peu le désordre de ses mèches folles et lui donne un air décontracté rassurant. Il plonge ses yeux bleu clair magnifiques de sincérité dans les miens et me sourit gentiment :
– Tu peux le faire. Tu es Mûre Forêt. Tu es drôle et courageuse. Sois juste toi-même. D'accord ? Et puis, franchement, tu as chanté et dansé devant des inconnus à moitié nue, la France entière t'a vue remuer des seins, tu peux bien leur interpréter une petite chanson de rien du tout dans une toilette splendide, non ?
Je hoche la tête, piteuse.
– Imagine être chez toi. Juste, laisse-toi aller. Tout va bien se passer.
– Deux minutes !
Thibault me serre dans ses bras et s'éloigne.
Je peux le faire.
J'essuie mes mains moites sur mes cuisses, remue la nuque de droite à gauche en fermant les yeux pour essayer de me calmer et faire abstraction de mon estomac noué, et j'inspire profondément, tentant de me couper du bruit ambiant, de tout oublier. Le présentateur, Hervé, va appeler mon nom, je vais descendre, chanter et aller m'asseoir.
Je ne vais pas tomber, je ne vais pas oublier les paroles, je ne vais pas bafouiller ni me ridiculiser. Ce sera simple.
Je peux le faire.
– Mesdames et Messieurs, lance le présentateur, enthousiaste, Mûre Forêt !
J'y vais mais j'ai peur.
Je m'élance et entre dans la lumière. Tout sourire je descends les marches en me cramponnant à la rambarde comme si ma vie en dépendait. De temps en temps, je tente le diable et lève les yeux pour sourire à la foule. Elle m'acclame et c'est... grisant. Effrayant et grisant. L'adrénaline qui court dans mes veines m'anesthésie petit à petit et me libère presque de mon trac. À condition que je ne me focalise pas trop sur le public. Hervé Lardun, quinquagénaire bien fait de sa personne me sourit et m'attend en bas des marches, hormis son costume bleu ciel très voyant, impossible de le manquer avec sa crinière rousse, sa mâchoire volontaire et sa carrure de vikings. Je comprend pourquoi Laza a succombé à son charme il y a quelques années. Je prends la main qu'il me tend et lui rends son sourire.
– Bonsoir, Mûre. Comment allez vous ?
Il est avenant. Son sourire et sa main dans la mienne me réconforte tandis qu'il me dirige au centre de la scène. Je salue les jurys d'un signe de la tête et d'un sourire, fais mon maximum pour ne pas trop m'attarder sur Ludovic, après tout c'est pas le moment de me donner en spectacle et me tourne vers Hervé pour lui répondre d'une petite voix :
– Je crois que ça va. Si le stress ne me tue pas, je devrais tenir le coup.
– C'est normal, on est toujours stressé quand c'est la première fois.
Je rougis, il aurait pas pu choisir une autre façon de le dire, nom de dieu ?!
– Bien, qu'allez vous chanter, ce soir ? Hakuna matata ?
Je souris, me triture les doigts et me lance :
– Non, pas ce soir. J'ai choisi « Je vais t'aimer », de Michel Sardou.
– C'est un choix audacieux.
Je souris. C'est vrai. Peut-être. Je me tourne vers Hervé, replace une mèche de cheveux derrière mon oreille et hausse les épaules avec nonchalance :
– Un ami m'a fait remarquer que je n'avais de toute manière plus grand chose à perdre.
L'animateur rigole, acquiesce et me laisse seule sur scène. J'inspire, j'expire, et me lance. Je n'ai pas choisi cette chanson pour rien. Elle est mythique, un refrain pas trop compliqué et surtout je la connais par cœur. C'est la chanson favorite de mon papa. La chanter c'est lui rendre hommage, en quelques sortes.
L'intro commence et j'y vais. De toute façon c'est trop tard. J'ai signé et me suis déjà ridiculisée. Franchement, qu'est ce que je risque de plus ?
Les techniciens ont apporté un micro sur pied, histoire que je ne sois pas seulement plantée sur scène comme une débile et je m'en saisis.
– A faire pâlir tout les marquis de Sade, A faire rougir les putains de la rade, A faire crier grâce à tous les échos, A faire trembler les murs de Jéricho, je vais t'aimer.
Je choisis d'interpréter ma chanson sans prétention, juste un hommage à mon papa, qui, lui-même, pense certainement à ma mère en cet instant. Qu'importe. J'y mets toute ma sensibilité, tout mon amour pour lui. Il est pas le plus parfait, mais il fait ce qu'il peut.
– A faire flamber des enfers dans tes yeux, A faire jurer tout les tonnerres de Dieux, A faire dresser tes seins et tous les Saints, A faire prier et supplier nos mains, je vais t'aimer...
Commence alors la partie la plus compliquée niveau vocale. Je suis clairement pas à la hauteur et regrette un peu ce choix, finalement, Hakuna matata c'était bien.
– Je vais t'aimer Comme on ne t'as jamais aimé, je vais t'aimer Plus loin que t'es rêve on t'imaginer, je vais t'aimer, je vais t'aimer !
Je m'agrippe au micro de toute mes forces, ferme les yeux et nous revois, mon père, Framboise et moi. Lui tentant de nous élever, de nous rendre heureux alors que lui-même ne l'est pas.
– Je vais t'aimer Comme personne n'a jamais osé t'aimer, je vais t'aimer comme j'aurai tellement aimé être aimé, je vais t'aimer, je vais t'aimer !
Le solo de violon commence et une larme traîtresse m'échappe et glisse le long de ma joue. Je l'essuie et lève la tête. Les lumières sont sombres et le public a presque l'air captivé.
J'entame alors couplets et refrains, perdue dans mes souvenirs, dans les sourires tristes de mon paternel, dans sa fatigue, son épuisement et sa tristesse. Je revois ses yeux se baisser, se fermer et pleurer chaque fois qu'il entend cette chanson, je vois sa douleur imprégner ses traits. Je le vois pleurer encore ma mère comme si elle était morte, comme si elle le méritait. Je nous revois nous, gosses ingrats, le sous-estimer et le mépriser et je regrette. Mais ce soir, cette chanson est pour lui. Pour lui parce que, finalement, lui mérite notre respect. Il se bat pour nous tous les jours depuis le départ de ma mère et pour cela il mérite bien une chanson.
Lorsque, enfin, le morceau s'achève, je ne m'en rends pas compte immédiatement, c'est les applaudissements du public qui me tirent de mes souvenirs. Je lève la tête et essuie mes larmes tandis que j'avise les spectateurs debout. C'est extraordinaire ! Je souris, éclate de rire et secoue la tête. Waouh. J'y suis parvenue. Et personne n'a vu mes seins ou mon cul !
– Quel spectacle ! s'exclame Hervé en approchant.
– Je sais que j'ai massacré la chanson.
– Oui, mais l'émotion y était. Pour qui as-tu chanté ce soir ?
– Pour mon père. C'est sa chanson favorite.
– C'était très émouvant. Si je ne m'abuse, et d'après les commentaires du jury pendant le portrait que nous venons de diffuser à ton sujet, c'est ce qui les as décidés. Tu aimes chanter.
– Oui, mais je chante faux. Et ce n'était pas une question.
Hervé rigole et acquiesce :
– C'est vrai. Bon alors une question. Pas trop déçue de ne pas être en acting ? Nous avons vu dans ton portrait que c'est ce que tu voulais faire.
Je secoue la tête et sourit avant de répondre d'une voix beaucoup moins assurée :
– C'est logique en quelques sortes... j'adore chanter, je le fais tout le temps. Alors ça me va. À vrai dire, tout me va !
La foule explose de rire et je les fixe, un peu circonspecte. J'ai dit quelque chose de drôle ?
– Même si, de ce fait, Thibault, Lili-Rose et Lucius, dont tu t'es rapprochée pendant les tests, ne seront pas avec toi ?
– J'ai pas cinq ans vous savez. Et puis j'ai mon pote Momo !
– Et Ludovic ?
Je pique un fard. L'enfoiré. Il aurait pas pu faire l'impasse sur celle-ci ?
– J'ai toujours eu beaucoup d'admiration pour lui...
– C'est ce que nous avons constaté, s'exclame-t-il sous les rires du public tandis que les images repassent en boucle sur l'écran derrière moi.
Je rougis et bégaye, ne sachant plus ou me foutre. Super ! L'animateur à décidé de me tourner en ridicule !
– Ce-ce que je veux dire, c'est que j'ai toujours suivi son travail et que je l'admire pour ça. Pas qu'il embrasse mal, hein, loin de là, mais je ne veux pas coucher pour réussir. Je n'ai pas couché avec lui si c'est ce que vous vous demandez ! Je veux dire, pas que j'aimerais pas mais... Raaah ! Il est un super acteur, point.
Tout le monde est mort de rire, jury compris et moi j'ai envie de mourir. De creuser ma propre tombe et de m'y enterrer.
– Bien, parvient à se reprendre Hervé, tu peux aller t'asseoir. Mûre Forêt Mesdames et Messieurs !
Sous les applaudissements, tête basse, je vais m'installer auprès de Lili-Rose. Au moins je ne suis pas tombée cette fois.
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