Chapitre 17 : Trop tard pour s'enfuir.
Dans moins de trois heures je serai sur scène.
J'inspire.
Et j'expire.
Et ce trois fois de suite.
On sous-estime toujours l’impact du stress et de la nervosité sur le corps humain. Ou sur le cerveau.
Depuis deux jours je suis une boule de nerfs. Un peu comme si j'avais mes règles sauf que là c'est pire. Je me transforme lentement mais sûrement en grosse et méchante garce, limite diva capricieuse et tout à fait tyrannique, mais je crois avoir une excuse à peu près potable. Je vais passer à la télé. Devant des milliers d'inconnus. Je vais chanter, je vais danser et je vais parler.
Rien de bien compliqué en somme.
Oui mais voilà, il se trouve que, plus le temps passe et plus je perds mes facultés cérébrales. Je deviens petit à petit une boule de nerfs et un estomac, parce que, bien sûr, le fait de me transformer en Hulk lorsque je suis stressée ne suffit pas. Il faut en plus que je me mette à engouffrer plus de nourriture qu'un obèse après une cure d’amincissement forcée. Les coiffeuses, les maquilleuses et les stylistes qui bourdonnent autour de nous ne font rien pour arranger la situation. Ils parlent de nous comme si nous étions des toiles vierges pour les plus chanceux et de la barbaques avariée pour les autres. J'ai l'impression de me retrouver dans les Hunger Games. Et puisse ma honte ne pas être trop déplorable.
Le pire c'est que je ne peux même pas compter sur Thibault ou Lili-Rose pour me soutenir puisque Laza a décidé, dans sa grande « sagesse », que nous serons par « groupe » lors de notre préparation. Les chanteurs avec les chanteurs, les comédiens avec les comédiens et ainsi de suite. Super. Du coup je me retrouve avec Momo, que j'aime bien et Cristal que je n'aime pas. Mais j'ai pas trop à me plaindre. Elle ne moufte pas depuis son arrivée, ce matin. Bon, comme chacun d'entre nous. Pour le coup, personne ne la ramène.
Je fixe mon reflet dans l'immense miroir face à moi d'un air détaché. Pour l'instant je suis encore en travaux, mais doucement, ça prend forme. Faut dire qu'à peine arrivée, mes responsable m’ont quasiment ligotée à ma chaise avec un regard féroce qui m’a dissuadée de tenter quoi que ce soit, du coup j'ai eu le droit à de nombreux soins de la peau, à l'épilation, des crèmes en tout genre, shampoing, masque, manucure, pédicure et j'en passe. Ils ont presque achevé la phase « maquillage » et je me retrouve avec un magnifique teint de pêche et un regard de braise pour faire ressortir le « caliente » de mes comme aime à le répéter ma maquilleuse. Annie, je crois. Il reste mes lèvres et mes cheveux, donc. Ces derniers sont enroulés autour d'une dizaine d'énormes et affreux bigoudis rose et le tout forme une espèce de casque hideux autour de ma tête.
– Vos familles vont venir ? nous lance Momo tandis qu'il pianote sur son portable.
Il y a une semaine, un des assistants de Laza nous a appelés pour savoir si nos proches seraient présents. J'ai préféré décliner l'invitation. Mon père aurait pleuré toutes les larmes de son corps, Tomas se serait endormi, les morveux auraient mit un foutoir pas possible et Framboise aurait certainement tenté de venir m'arracher les yeux sur scène. Et comme je préfère m'éviter ce genre de scandale j'ai refusé et je n'ai rien dit à ma famille. Après tout, ce qu'ils ne savent pas ne peut pas les blesser.
– Bien sûr ! s’exclame Cristal comme s'il s'agissait du jour le plus important dans la vie de ses parents.
De mon côté je me contente de secouer la tête.
– Ta famille a trop honte de toi, c'est ça ? ricane méchamment la reine des garces. En même temps je me disais bien que c'était trop beau pour être vrai.
– Tu sais, à ta place je serais gentille avec moi.
Elle s'étrangle de rire et tourne la tête vers moi. Momo qui est installé entre nous -et qui n'en loupe pas une miette- lui gâche un peu la vue alors elle se penche pour pouvoir me fixer droit dans les yeux :
– Et pourquoi je serais gentille avec toi, Muffin ?
Je me crispe et expire pour ne pas lui sauter au visage et ravager son maquillage de star :
– Aux dernières nouvelles je suis toujours la plus populaire des candidats et donc, si tu veux être un peu plus aimée par ton public, tu devrais être un peu plus gentille. Je dis ça, je dis rien.
Verte de rage, Cristal se redresse et reprend la lecture de son fichu magasine. Dans tes dents, connasse.
Ma maquilleuse s'approche et termine de me peinturlurer la tronche en chantonnant. Plus que deux heures et demie. Le stress devient quasiment insoutenable à ce niveau et je m'ennuie franchement. J'ai les mains moites et le palpitant qui s'excite. Je gigote sur ma chaise, agite les jambes et triture mes doigts. Je ne parviens pas à rester calme. Pourtant ce soir ne sera pas le plus difficile, comme le nouveau 1 est venu nous l'expliquer. Le public qui nous connaît déjà un peu va nous découvrir plus en « profondeur », en gros ils vont leur balancer des portraits plus travaillés avec plus d'images, puis on va venir sur scène, nous présenter, répondre à une ou deux questions, interpréter la chanson de notre choix, et à vrai dire c'est ce qu'il y a de plus compliqué puisque cette chanson sera également la dernière que nous interpréterons lors du prime final. Du coup, faut pas se louper et pas question de choisir un classique Disney. Entre deux candidats un portrait d'un professeur, de l'endroit où nous allons vivre et d'autres choses du même goût, et puis, finalement, nous quitterons le plateau pour découvrir notre nouvelle demeure.
Le tout devant des milliers de personnes, en direct et sans répète.
Facile. Vraiment.
– Il faut vous calmer Mûre, me réprimande ma coiffeuse qui vient d'arriver derrière moi.
Je la fixe au travers du miroir et la fusille du regard. C'est pas elle qui va faire la potiche sur scène juchée sur une paire d'escarpins hauts de dix centimètres !
– L'anxiété c'est ma prérogative, je réplique de manière un peu agressive.
S'écoule encore une autre demie-heure durant laquelle ma coiffeuse tente de rendre mes cheveux présentables, pendant ce temps-là Momo disparaît derrière une porte et en ressort changé. Il a lâché son jogging pour un bermuda gris, un t-shirt vert pomme et une paire de Converses assorties. Ce look acidulé lui va bien. C'est frais et léger, en harmonie avec sa personnalité joueuse. Et faut que j'arrête de regarder les émissions de relooking à la télé.
Ensuite c'est au tour de Cristal. Sa maquilleuse a mis le paquet sur ses yeux bleus. Ils paraissent plus grands et plus scintillants encore, ses lèvres roses lui donnent un air mutin -qu'elle est loin de posséder vu qu'elle est plus comme Maléfique- et ses cheveux dorés relevés en un chignon élaboré souligne son port altier. Elle disparaît aussi derrière la porte puis ressort avec une robe courte et bouffante qui lui donne l'air d'une meringue. Si la coiffeuse et la maquilleuse ont fait un super boulot sur elle, il est évident que le styliste, lui, a une dent contre cette garce. Grand bien lui fasse.
– Voilà, c'est fini, déclare finalement ma coiffeuse.
Je jette un coup d’œil au miroir, peu intéressée de toute manière mais je reste sans voix et me fige. C'est... y'a pas de mot en réalité. On dirait une toute autre personnes. Je crois que le public ne me reconnaîtra jamais. Pour être franche je ne me reconnais pas moi-même. Le doré qui surplombe mes yeux et qui, en effet, les rend flamboyants eux qui sont habituellement tellement banals avec leur drôle de marron boueux noisette, le grain parfait de ma peau, mes lèvres rouges, mes longs cheveux bruns qui cascadent en boucles parfaites le long de mon dos, encadrant mon visage me rendent belle. Genre vraiment jolie. J'ai presque l'impression d'être dans un conte de fée. J'étais une grenouille très laide et un jour, d'un baiser -ou ici d'un coup de peigne et de mascara- on m'a rendue jolie.
– Va passer ta robe Mûre, c'est bientôt l'heure.
Je déglutis difficilement. En effet, il ne reste plus qu'une heure quarante-trois minutes avant le lancement officiel de Celebrity School. Je me lève de ma chaise, fébrile, et me dirige à mon tour vers l'espèce de cagibi aménagé en dressing pour l'occasion. La pièce est exiguë, et en temps normal cela ne m'aurait pas vraiment dérangée mais entre ça, le stress accumulé et le manque de sommeil, je sens poindre la sévère crise de panique. Je m'accroupis alors, la tête entre mes genoux, comme me l'a appris mon père quand j'étais gamine et que je faisais des nausées. Penser à lui n'est vraisemblablement pas une bonne idée puisque vient s'ajouter la perfide culpabilité. Je ne l'ai pas invité. Après tout ce que mon père a fait pour moi, je ne l'ai pas invité. Je suis une imbécile ingrate. Une débile profonde.
On frappe trois petit coups à la porte et je me redresse en sursautant :
– Tout va bien là-dedans ? m'interroge ma maquilleuse.
– Oui oui, je répond la voix tremblante, un instant.
Je m'empresse de me déshabiller avant d'enfiler ma robe, comme si je ne m'étais pas assez ridiculisée la dernière fois que j'en avais revêtu une. Malgré mon mécontentement je ne peux pas me voiler la face, la robe est splendide. D'un rouge cerise extraordinaire, le fourreau me moule comme une seconde peau tout en « masquant » mes défauts. Le décolleté est raisonnable mais présent et les larges bretelles en taffetas souligne mes clavicule. Vraiment un modèle exceptionnel. Je me perche sur mes échasses noires et me saisis des quelques accessoires dans le fond de la housse qui contenait ma robe : un simple bracelet à breloques doré, une paire de créoles, et des bagues. Je choisis de faire l’impasse sur les boucles d'oreilles et me contente d'une seule bague. Lorsque enfin je sors de mon placard, ma coiffeuse et ma maquilleuse me contemplent d'un air satisfait en hochant la tête avant qu'un assistant vienne me chercher pour le dernier discours d'encouragement de Laza. Il me mène vers une loge commune où il ne manque que les jumelles. Je croise de suite le regard de Lucius qui est plus beau que jamais dans son t-shirt savamment troué, son jean légèrement usé et sa paires de rangers. Apparemment la production a choisi d'exploiter son côté badboy jusqu'au bout puisqu'ils n'ont même pas pris la peine de tenter de dompter ses mèches folles. Mais j'aime bien, ça lui donne un côté sauvage assez attractif. Ses yeux d'ambre toujours posés sur moi, je frissonne. Je me secoue, après tout c'est pas le moment de flancher, on est à un peu plus d'une heure du direct et je crois que je réagis au moindre stimulus tant mes nerfs sont à fleur de peau. À ses côtés se trouvent Lili-Rose et Thibault. Les deux aussi sont sublimes. Lili-Rose a maintenant les cheveux d'une délicate couleur lilas qui met son teint et ses yeux bleus en valeurs, sa jolie robe noire, très simple, qui lui arrive un peu au-dessus du genoux, est sublimée par ses gros compensés noir eux aussi, et les chaînes argentés qui lui maintiennent les chevilles. Quant à Thibault, son look « vacanciers classe » lui va à merveille. Chemise blanche, pantalon en lin et chaussures bateau turquoise lui donnent un air détendu bienvenu.
– Salut, m'aborde-t-il en m'enlaçant.
Je le serre un court instant contre moi avant d'apposer une bise rapide sur la joue de Lili-Rose et sur celle de Lucius :
– Quelle journée ! je m'exclame.
– Tu es splendide, m'ignore Thibault vite suivi par Lucius et Lili-Rose.
– Une autre personne, reprend Scarface en continuant à me détailler.
Je le fusille du regard avant d'aller m'installer sur le canapé derrière lui. Je suis déjà assez nerveuse comme ça, pas la peine d'en rajouter en nous disputant. Je crois que mes amis -mes premiers vrais amis même Lucius- sont de mon avis puisqu'ils finissent par me rejoindre et nous attendons en silence, détaillant les autres. James est canon dans son costard décontracté, les jumelles aussi avec leurs combinaisons assorties et même Roland ressemble à quelque chose sans les cheveux gras.
– Bonsoir tout le monde ! lance finalement Laza en entrant comme une tornade dans sa vaporeuse robe blanche suivie d'une nuée d'assistants.
Elle nous jette à tous un coup d’œil circonspect avant de hocher la tête d'un air presque satisfait :
– Bien je vois que tout le monde est prêt. Je suppose que vous êtes tous morts de peur et je le comprends. Votre première télé est un direct, c'est pas simple pour tout le monde, d'autant que vous n'avez aucune formation, pas de répétition, rien. Alors je vais vous donner quelques conseils. Le premier et le plus important : suivez les ordres des techniciens. Toujours et de manière aveugle. Ne tentez pas de vous la jouer roi de la pop ou je ne sais quoi. Vous n'êtes rien pour le moment, gardez-le en tête. Ensuite, dernier conseil, et certainement le plus important, je sais que vous jouez tous votre vie dans cette émission et vous devez vous dire que vous êtes les seuls à avoir quelque chose à perdre et bien détrompez-vous vite. Celebrity School n'est pas seulement un tremplin pour vous. Elle l'est aussi pour vos professeurs et pour moi. Je joue ma carrière ici, c'est ma dernière carte avant de devenir définitivement une star hasbeen sur le déclin et je le refuse. Souvenez-vous en bien, lors de l'émission. Pas seulement celle de ce soir mais les suivantes également, si je coule, vous coulez et je ferais en sorte de vous entraîner si profond que vous en mourrez noyés, alors donnez le meilleur de vous-même et ne fichez pas en l'air mon émission.
L'expression lugubre qu'elle arborait jusqu'alors se mue ensuite immédiatement en un ravissant sourire :
– Je vous dis merde les enfants. Et ne vous inquiétez pas, tout se passera bien.
Vu le discours de menace qu'elle vient de nous sortir y'a plutôt intérêt pour nous. Il ne faut surtout pas que je tombe ou que je me batte. Je savais que c'était une bonne idée de ne pas inviter ma famille finalement.
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