Chapitre 16 : Dilemmes, questions et colon.
La pièce était seulement éclairée par la douce lueur du feu qui crépitait dans la cheminée, Stand By Me de Ben E. King en fond sonore et moi, allongée sur le sol, nue, à même le tapis d'une douceur incroyable, les yeux plongés dans ceux, magnifiques, de Ludovic.
– Je t'aime, murmure-t-il, son souffle chaud sur mon cou me faisant frissonner.
Je lui souris, incapable de lui répondre et lève la main pour lui caresser le visage avec des gestes d'une infinie douceur.
– Mûre...
Il s'agissait du seul avertissement avant que ses lèvres se posent sur les miennes. Je ferme les yeux pour me noyer dans son baiser, pour le ressentir jusqu'aux tréfonds de mon âme.
– Mûre !
Je recule et fronce les sourcils. Ludovic s'est redressé et me foudroie du regard, les mains sur les hanches, furieux apparemment. Je ne comprends pas et me redresse à mon tour.
– Putain, Mûre réveille-toi merde !
Je me redresse en sursaut dans mon lit, le souffle court, les cheveux en pagaille, la joue brûlante et affreusement frustrée.
Framboise se dresse au-dessus de moi dans son peignoir en faux satin imitation léopard tout pourri.
– Tu m'as frappée ! je m'exclame.
– Tu gémissais dans ton sommeil, réplique-t-elle en arborant cet affreux sourire supérieur que je déteste. Faut croire que la sainte vierge Mûre n'est plus aussi innocente ! Qui est le champion qui est parvenu à se glisser dans ta culotte ? Il mérite bien la Médaille d'Honneur !
Je la pousse et sors de mon lit en marmonnant une suite de mots inintelligible. Par moment je la hais franchement.
– Tu veux quoi ?
Elle se dirige vers son côté de chambre et se laisse tomber sur son lit :
– Tu veux bien amener les gosses à l'école ce matin ?
– Pardon ?
Je la fixe un long moment, histoire d'être sûre qu'elle est sérieuse. Apparemment elle l’est puisqu'elle commence déjà à se recoucher. Mais y'a pas moyen. Je suis rentrée depuis un peu plus d'un mois de mon petit séjour parisien et je n'ai toujours pas cédé. Je ne compte pas le faire maintenant. Dire qu'elle m'a réveillée pour ça ! Elle a stoppé un rêve magnifique qui promettait d'être exceptionnel pour ça . Alors qu'elle sait ce que je vais lui dire non ? Quelle foutue garce ! Je suis certaine qu'elle s'entendrait super bien avec cette pouffe de Cristal.
– Non, c'est tes morveux.
– Mais t'es leur tante ! s'insurge-t-elle en se redressant.
Je souffle, me pince l'arête du nez et m’exhorte au calme. La tuer maintenant ne m'apporterait rien de plus qu'un plaisir immédiat. Ensuite je devrais faire de la prison et je suis pas faîte pour vivre en communauté trop longtemps. Puis ils ont pas internet, c'est pas drôle.
– Framboise, on a déjà eu cette conversation, je suis peut-être leur tante mais tu es leur mère et si tu n'es pas capable d'assumer rappelle-toi, que tout ça, c'est ta faute. Si t'avais serré les cuisses un peu plus souvent nous n'en serions pas là aujourd'hui !
Elle se lève en hurlant des choses confuses, des insultes principalement, mais je viens de me réveiller et je suis trop crevée pour essayer de l'écouter. Je me laisse retomber dans mon lit et rabats ma couverture sur mon visage. Je l'entends sortir de la chambre, furieuse et je ne peux pas m'empêcher de sourire. Finalement la remballer a été la meilleure chose que j'ai jamais faite. Depuis, je revis.
Lorsque je me réveille une seconde fois et surtout de moi-même, il est dix heures et demie passées. Gâteaux, chocolat et jus de fruit devant Spiderman Ultimate. Je suis super fan des dessins animés Marvel. J'adore les Marvels en règle générale mais le matin j'aime bien, je suis de bonne humeur ensuite.
Après je me suis attaquée au ménage de l'appartement. Mon père étant au travail, les morveux à l'école et Tomas et Framboise glandant quelque part il faut bien que quelqu'un s'y colle et ce quelqu'un, c'est moi.
Bref, ma journée se déroule tranquillement, comme d'habitude. Après avoir déjeuné je me suis plongée dans Les Cheminées de l'Amour, n'écoutant l'épisode que d'une oreille distraite, perdue dans mes souvenirs. Je n'en reviens toujours pas. Ludovic m'a embrassée. En même temps je me pose une centaine de questions. Pourquoi ? Comment ? Il l’a fait exprès, pour la scène ? Il a aussi embrassé les autres filles ? Et l'imaginer en train d'embrasser Cristal me rend malade. Ressent-il un truc pour moi ? Je veux dire, on se connaît à peine ? Un coup de pub alors ? Franchement je ne pense pas qu'il ait succombé à mon charme naturel. Quoi que... en l'espace de trois jours il a vu mon cul et mes seins et il a même pas eu à m'inviter au restaurant donc peut-être qu'il pense que je suis facile et qu'il devrait tenter sa chance ? À ce moment-là ma conscience se divise en deux parties : ce qu'il reste de ma fierté versus ma virginité : l'une veut que je le renvoie dans ses cages en clamant qu'elle vaut mieux que ça et que si c'est ce qu'il attend, il devra se la mettre derrière l'oreille tandis que ma virginité lui hurle que je n'aurais jamais plus ce genre d'opportunité, que c'est ma seule chance et qu'ensuite je pourrais mourir en paix.
Grave dilemme donc.
J'en suis là de mes réflexions lorsque mon téléphone sonne sur la table. Je souris un peu, moi devant les cheminées de l'Amour, avec des cookies pas loin et mon portable qui sonne, c'est du déjà vu. Mais ça m'amuse, d'autant que depuis Paris mon portable sonne beaucoup plus souvent, Lili-Rose et Thibault prennent souvent de mes nouvelles, même Momo m'a passé un ou deux coup de fil. Et Roland aussi mais beaucoup trop souvent. Parfois il m'appelle la nuit et il me chante des chansons d'amours. J'ai peur.
J'attrape mon téléphone et décroche, sans prendre la peine de vérifier l'identité de mon interlocuteur :
– Oui ?
– Mûre ? T'as vu les portraits ?
– Lucius ? Putain comment t'as eu mon numéro ! je m'exclame en me redressant.
C'est vrai, cet abruti est parti comme un voleur !
– Je l'ai demandé à Thibault. Alors, tu les a vus ?
– Thibault ? Qu'importe. Non, pas encore.
– Ils passent à la télé mais tu peux les voir sur leur chaîne Youtube.
Je saute du canapé et me précipite dans ma chambre pour chopper mon ordi, il faut que je vois ça !
– Alors, t'es quoi toi ? je finis par demander en attendant que ma machine daigne s'allumer.
– Acting.
– Et ? T'es content ? Triste ? Tu vas te suicider ? Tu sais Lucius, d'habitude quand tu es en face on arrive à peu près à savoir si t'es satisfait ou pas grâce à tes yeux mais là va falloir être plus expressif, s'il-te-plaît !
Il ricane au téléphone et je rougis quand je me rends compte que je viens d'avouer trouver ses yeux très expressifs. Merde ! Je suis sûre en plus qu'il me gratifie de son sourire made in connard à distance. Abruti de psychopathe !
– J'ai ce que je voulais, répond-il simplement. Au fait, tu es en tête du classement.
– Quel classement ? Je demande en fronçant les sourcils.
– Tu es la plus populaire. Juste avant moi.
Attend, quoi ? Mais... populaire, moi ? Doit y avoir une erreur quelque part. Ou sinon... je ne veux pas y penser. Je ne veux pas voir ma vidéo. Je ne veux pas y penser. Je secoue la tête tandis que je lance Youtube. Je « nous trouve » et lance la première vidéo. La mienne. Cristal doit en crever.
– Je lance ma vidéo, je préviens Lucius qui est toujours au bout du fil.
Le clip démarre et comme je m'en doutais on me voit en soutif' avec l'explication qui va avec, on voit mon portrait et ce que je dis de mon père, on me voit gesticuler et rire face au photographe qui galère. On me voit discuter avec Lili-Rose, rire avec Thibault et Lucius et me moquer de Roland... c'est dingue j'ai l'air presque marrante et sympathique. Il faut croire qu'ils arriveront peut-être à quelque chose.
Finalement, Laza apparaît, magnifiquement flippante dans son tailleur-jupe d'un blanc immaculé, sa capeline toute aussi blanche jetée sur les épaules, son chignon sévère et ses lèvres rouge sang. Elle fixe la caméra d'un air hautain et j'ai peur de prendre cher.
– Nous avons eu un peu de mal à déterminer quelle serait la matière principale de Mûre. Nous hésitions entre le chant et l'acting. Ludovic soutenant qu'elle serait une actrice formidable et Madame Signes répétant que même avec une absence totale de talent le plaisir et la joie de vivre transpirant d'elle pendant son show étaient déterminant. Nous avons débattu et, finalement, nous avons décidé que Mûre Forêt s'épanouirait...
– Acting avec Ludovic, acting avec Ludovic, acting avec Ludovic, s'il-vous-plaît, par pitié, acting avec Ludovic !
– Tu es pathétique, marmonne Lucius.
– Dans le chant, termine Laza.
– Et merde !
– Je vais te manquer, se moque Lucius.
– Ta gueule, je voulais être avec Ludovic.
J'entends le Joker se foutre de moi pendant quelques minutes de plus avant qu'il se décide à me résumer la suite lui-même :
– Thibault et Lili-Rose sont en acting avec moi. Momo et Cristal en chant avec toi-
– Quoi ? Non ! Pas avec cette connasse, je m'insurge en refermant mon ordinateur un peu trop violemment pour son bien.
– Mûre, arrête de juger les gens, soupire Lucius comme s'il était mon père et qu'il me répétait la même leçon pour la cinquantième fois.
– Elle fait rien pour aider, aussi.
– Je te l'accorde, finit-il par lâcher au bout de quelques secondes.
– Bon, James, les jumelles et Roland sont en comédie, termine-t-il finalement.
– Roland ? En comédie ? Mais il est aussi drôle qu'un cancer du colon !
– Si tu le dis, ricane-t-il. Bon, et bien je voulais juste te tenir au courant et t'embêter un peu. Je sais qu'il y a ta série à la télé et je suis sûre que tu étais devant.
– Non, je mens. Et puis comment tu sais ça ?
– Je suis observateur.
– T'es surtout un grand malade.
– Si tu veux, et j'entends le sourire dans sa voix, à bientôt Mûre.
– À bientôt Scarface.
Moi je vais visionner les autres vidéos, je pourrai toujours voir mon épisode en replay.
Ma vie est devenue bizarre. Étrange. Flippante. Et bizarre. Vraiment. Depuis que mon portrait passe à la télé les gens sont... ils me sourient. Me disent bonjour. Et j'ai même des lettres de fans. Certaines font vraiment super peur mais je me répète en boucle, le soir, qu'ils ne sont pas vraiment dangereux. Même quand un de mes fans me promet de venir me rejoindre la nuit dans mon lit pour me couper les cheveux et s'en faire un string. Je souris, remercie et dors avec une feuille de bouchée sous mon oreiller. Et c'est pas forcément le plus dingue du lot. Un gars a écrit un poème pour mes seins. Dix strophes en alexandrins avec rimes croisées.
J'ai foutu ce truc à la poubelle fissa et depuis, je fais en sorte de ne plus y penser.
Lili-Rose m'a dit que c'était la même chose pour elle. Son coiffeur a même proposé de la coiffer gratuitement. C'est assez extraordinaire.
Les gens nous reconnaissent. J'ai même reçu des commentaires haineux sur mon clip ! Je suis presque sûre que certains d'entre eux viennent de Cristal, le gars mignon mais con et des jumelles mais c'est une bonne chose. C'est ce que dit Lucius. Quand les gens te détestent, tu es populaire. J'ai pas tout compris mais il a plus d'expérience que moi dans ce domaine-là alors je le crois. À moitié.
Je suis toujours en tête des sondages, au grand dam de Framboise qui est verte de jalousie tandis que Tomas ne cesse de me répéter que, si je suis devant Lucius « le beau gosse badboy », Cristal « la bombass biatch » et Momo « le rigolo » c'est seulement parce que j'ai montré mon cul, mes seins, roulé une pelle au prof de théâtre et que le sexe fait vendre.
Du coup, je suis une fille facile prête à passer par la promo canapé aux yeux de mon petit frère. Merci les gars. Je crois que j'aurais préféré passer pour la débile de service mais ce rôle-là, ils l'ont attribué aux jumelles. J'avoue que j'en suis assez satisfaite.
Et ce baiser -le plus beau de ma vie soit dit en passant- m'apporte une quantité d'emmerde phénoménale. Lili-Rose et Thibault, quand ils l'ont vu se sont empressés de téléphoner pour se foutre de ma gueule, même si Thibault m'a recommandé de prendre moult précautions, Momo m'a aussi appelée pour avoir des détails et pour se payer une bonne tranche de rigolade. Roland était... il m'a engueulé. Même à l'autre bout du fil je l'entendais postillonner alors j'ai raccroché. Et Lucius paraissait furieux. Il m'a insultée de traînée, de fille facile et de pleins d'autres mots beaucoup moins flatteurs, que je faisais ça pour m'attirer les faveurs du public. Je lui ai donc proposé de remettre les compteurs à zéro et de lui chercher le numéro de Mademoiselle Lola. Il n'a plus appelée pendant une semaine.
Depuis quelques temps, nos portraits passent de plus en plus souvent à la télé, ainsi que la bande-annonce de l'émission, et pour cause, je pars dans deux semaines. Je suis morte de trouille. Partir pour Paris pour quatre jours et faire des essais c'était facile, d'autant que rien n’était sûr. Ensuite je ne me suis pas vraiment rendue compte de la situation et j'ai vécu ces derniers mois comme dans un rêve mais là, ça devient concret et j'ai envie de partir me planquer dans les bois. Je me rends finalement compte que le monde est grand et effrayant. Je ne serai jamais à la hauteur.
– Mûre !
– Quoi ?
Je souffle et sors de mon lit, seul point d'ancrage permanent dans ce monde où tout va trop vite.
– Qu'est-ce qu'il y a ? je demande à Framboise qui se fait les ongles devant la télé. Tu sais que tes gosses sortent de l'école dans vingt minutes ?
– Ah bon ? Merde. Tu veux pas y aller ? tente-t-elle.
Je secoue juste la tête en soufflant.
– C'est pas pour ça que je t'ai appelée, s'explique-t-elle. Je voulais te proposer de sortir en boîte avec moi ce soir, tu sais, faire une sortie entre sœurs et tout ça.
Mon premier réflexe est de regarder partout autour de moi à la recherche d'une caméra, d'un alien, de ma vraie sœur ou guettant même la colère divine. Ensuite, je touche mon menton, histoire d'être certaine que ma mâchoire n'est pas partie pour un monde meilleur et, finalement, je me rends compte que c'est excessivement louche. Ma sœur ne m'invite jamais avec elle. Et j'insiste bien sur le jamais. Avant la naissance de Meredith, Framboise a organisé sa babyshower en boîte -et elle ressemblait plus à un enterrement de vie de jeune fille mais bon- et elle ne m'a pas invitée. Alors que je suis la tante des petits. Et là, comme ça, elle veut que je sorte avec elle ? Il est où le piège ?
– Tu vas mourir, c'est ça ? Tu as appris qu'il ne te reste plus que trois jours à vivre et tu veux essayer de te rapprocher de moi ou une connerie comme ça ?
– Je vais pas mourir ! s’emporte-t-elle en me fusillant du regard, à t'entendre je suis qu'une affreuse garce qui te déteste !
– Tu es une affreuse garce qui est pas loin de me détester, je lui fais remarquer en haussant un sourcil.
– N'importe quoi !
Je croise les bras sur ma poitrine. Je suis certaine qu'il y a anguille sous roche.
– Tu veux des exemples ? Rien qu'hier tu m'as insultée de connasse, de gros boudin, de pétasse, de garce sans cœur, de stupide diva et j'en passe. Tout ça parce que je t'ai dit de te faire à manger toi-même.
– Bon, cède-t-elle finalement, je ne suis pas toujours gentille avec toi mais c'est pour t'aider. Pour t'endurcir.
– Abstiens-toi de m'aider dans ce cas.
Elle fait mine de baisser les yeux mais je n'y crois pas. Son comportement est trop bizarre.
– Alors ? me relance-t-elle lorsqu'elle se rend compte que je ne suis pas décidée à continuer.
– Quoi ? Tu as prévu un truc à la Carrie c'est ça ? Je vais entrer et tu vas me faire tomber un seau de sang de porc sur la tronche ?
– Non ! Bien sûr que non ! Tu viens ?
Voilà. Trop insistante, trop soudain, trop bizarre. Même ma famille est étrange en ce moment.
– Dis-moi pourquoi maintenant. Pourquoi pas avant ? Dis moi et j'y penserais peut-être.
– Bien, s'énerve-t-elle en reposant son immonde vernis orange DDE et en agitant les mains pour le faire sécher, avec les filles on veut essayer une nouvelle boîte qui vient d'ouvrir et qui est toujours blindée et comme tu as une petite notoriété, on est sûre de rentrer.
Je la dévisage un long moment, scrute la moindre de ses expressions, à la recherche du moindre signe de moquerie mais rien. Elle est sérieuse. Elle aurait pu m'inviter n'importe quand avant, j'aurais dis oui. À vrai dire, si je n'avais pas remarqué le comportement changeant de mon entourage j'aurais certainement dit oui aussi, même si je sais pertinemment qu'elle va me laisser dans un coin toute la soirée et que je risque fort d'être le bouc émissaire de ses copines. Mais là... je suis blessée. Alors pour que ma grande sœur m'accorde un peu d'attention il faut que je sois célèbre ? C'est ça la réalité ? Pour qu'elle m'apprécie il faut que je passe à la télé ? J'ai une boule dans la gorge et j'ai envie de pleurer. Je me tourne et m'éloigne :
– Oublie pas les morveux.
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