Chapitre 15 : Mûrir heureuse !
Je peine à garder les yeux ouverts tandis que je patiente devant ce qui est devenue la salle d'audition. La nuit a été courte. Je suis crevée et de mauvaise humeur. Je me suis levée en retard, j'ai enfilé un jean, un vieux t-shirt troué, mes basket défoncées et fait ma valise en deux temps trois mouvements avant de me précipiter à l'extérieur. Sans le vouloir je suis rentrée dans James. Ou Jason, j'en sais rien.
– Désolée.
– Tu peux pas faire attention le poids lourd ?!
– Je me suis excusée, pauvre abruti ! je crache en me plantant bien droite face à lui.
– C'est pas assez, t'as failli m'écraser avec ton gros cul !
– Ne t'inquiète pas, je suis certaine que tu ne manqueras à personne, Jason.
– C'est James, rétorque-t-il en plissant les yeux.
Merde. J'avais une chance sur deux. Je hausse les épaules d'un air nonchalant et je me retourne pour continuer mon chemin mais le gars me rattrape par le bras et me tire en arrière :
– On a pas fini Bonne Maman, je veux de vraies excuses. Je te veux à genoux et les yeux baissés, comme la chienne que tu es.
Je repousse le gars et lui envoie une gifle magistrale qui lui imprime la trace de ma main sur sa joue.
– Je m'excuse connard, t'es content ?
Je lui tourne ensuite le dos et grimpe à bord de la limo avec les autres qui m'attendent déjà. Le gars, James, n'a pas arrêté de me fusiller du regard depuis. Enfin jusqu'à ce que les juges l'appellent. Ces abrutis ont décidé de commencer par le dernier de la liste aujourd'hui. C'est donc Lucius qui s'y est collé en premier, cinq minutes plus tard il ressortait en nous adressant un signe de la main et en s'éloignant dans le lointain comme une espèce de cowboy ou je ne sais quoi.
– Ce gars est vraiment bizarre, marmonne Lili-Rose en se plongeant à nouveau dans son téléphone. Un coup il est super sympa et, la seconde d'après, il se transforme en bête sauvage.
– Je l'appelle le psychopathe.
Elle ricane et acquiesce. Mon portable vibre. J'y jette un coup d'œil, et, sans surprise, il s'agit de mon père qui veut savoir ou je suis, quand je rentre, si tout va bien et pour me rappeler qu'il m'aime.
– File moi ton numéro, lâche finalement Lili-Rose sans m'accorder un regard.
– Euh... d'accord, enfin, je crois, je marmonne en fronçant les sourcils.
Ensuite, nous échangeons nos numéros. Je récupère également celui de Thibault, de Momo et, à contre cœur, celui de Roland. Je ne sais pas pourquoi mais je suis certaine de le regretter plus tard.
– On fait quoi ensuite ? nous demande finalement Thibault, je veux dire, en attendant le début de l'émission ?
Je hausse les épaules. Pour être franche je ne sais déjà pas ce que je vais faire demain alors me projeter jusqu'au début de l'émission ? C'est pas possible.
– On attend, répond Lili-Rose. Tu fais tout ce que tu fais d'habitude et, bientôt, ils nous appelleront pour nous faire devenir des stars.
Personne n'a loupé la dose massive de sarcasme qu'elle a su insuffler dans la fin de sa phrase.
– Pourquoi tu participes ? l'interroge Momo en fronçant les sourcils.
– Parce que j'ai rien de mieux à faire.
Je hausse les épaules. C'est un peu notre cas à tous, non ? On est incapables de faire quoi que ce soit d'autre. On est des bons à rien après tout !
– Moi c'est pour prouver à mon père que je peux faire quelque chose de ma vie, que je suis pas qu'un gros naze incompétent.
Autant pour moi. Thibault a apparemment des trucs à régler.
– Moi, se lance Momo, c'est juste pour ne plus avoir à traîner dans ma cité. Et même si ça ne marche pas pour moi, même si je deviens pas le nouveau roi de la pop, la petite notoriété que j'aurais acquise et mon bac me permettront peut-être d'avoir un bon job.
– T'as le bac ! je m'exclame, surprise.
– Bah oui. Bac S.
– J'ai pas eu le mien, j'avoue, piteuse.
– Pas étonnant, se moque Cristal mais je choisis de l'ignorer.
– Et toi, pourquoi tu participes ? me questionne Roland.
– Parce que c'est ma seule chance de faire quelque chose de bien de ma vie, je réponds en détournant le regard, un peu honteuse.
Je pourrais aussi lui avouer qu'avec l'argent hypothétiquement gagné je sortirais ma famille de la misère mais je préfère taire certains détails sordides de ma vie. Ensuite le silence s'installe à nouveau. C'est dingue le temps perdu à ne rien faire, ici. Je joue avec mon téléphone, je souffle, gesticule, attends, dis au-revoir à Thibault et Momo, baille et finis même par m'endormir. C'est Laza qui me réveille en sursaut lorsqu'elle hurle mon nom dans le couloir. Faut croire qu'elle aussi a ses règles.
Je me lève, m'étire et me dirige jusqu'à la pièce aux fées.
Comme depuis deux jours le jury est rassemblé sur un sofa, au centre de la pièce, à l'exception de Ludovic, qui se tient devant avec un manuscrit dans les mains. Le temps de comprendre et je me stoppe net. Oh. Mon. Dieu.
Je vais jouer avec Ludovic ?!
Je m'approche de lui, fébrile. J'ai envie de me jeter à son cou et de ne plus jamais le lâcher. Finalement je comprends ces assassins qui gardent des trophées de leurs victimes. J'ai envie de le mettre dans une petite boîte et de le garder dans ma chambre pour toujours.
– Mûre !
Je m'arrache de ma contemplation rêveuse et me tourne vers Laza qui me fusille du regard :
– Je disais, cracha-t-elle, qu'après l'audition, tu peux partir. Ta valise est avec celle des autres dans le hall d'entrée. Nous te contacterons bientôt pour te décrire le déroulement du premier prime et tout ce que cela signifie.
Je hoche la tête, docile.
– Et n'oublie pas, si tu prends le moindre cours pour tenter de hausser un peu ton niveau, nous le saurons et tu risques de le regretter.
– Je sais lire et j'ai compris le contrat.
Laza pince les lèvres en me fusillant du regard. Son tailleur noir, ses cheveux tirés en un chignon sévère et ses lèvres rouge sang la faisaient paraître encore plus sévère qu'à l'accoutumé.
– Bien, se lance alors Ludovic, voilà ton texte, marmonne-t-il en me tendant le manuscrit, tu feras la partie surlignée. C'est un vieux truc des Cheminées de l'Amour.
Je suis au bord de l'apoplexie. J'inspire et expire à une vitesse folle pour me calmer, je suis tremblante et en sueur. Mon Dieu. Mon Dieu. Mon Dieu.
Il ne faut pas que je me transforme en hystérique.
Je ne dois pas devenir une hystérique.
Je ne dois pas devenir une hystérique.
Je ne dois pas devenir une hystérique.
– Tout va bien demoiselle, me demande-t-il en se penchant sur moi, ses mains incroyables posées sur mes épaules tremblantes.
Il esquisse un geste dans ma direction et je me fige, comme si un oiseau se posait sur le bout de mes doigts et que je souhaitais me faire le plus immobile possible pour ne pas l'effrayer, mais mes efforts sont presque réduits à néant lorsqu'il effleure ma joue pour l'essuyer. Je ne me suis même pas rendue compte que je pleure.
– Je... c'est l'émotion.
Il me sourit et replace une de mes mèches de cheveux derrière l'oreille :
– Je vois ça.
Haaaaaaaaaaaaaa !
– Bon, commençons. Dans cette épisode Valentin apprend qu'Athénalyse n'est pas sa sœur et que cette dernière est amoureuse de lui. Il la repousse juste avant qu'elle ne l'embrasse. Tu es prête ? Tu connais peut-être ?
Si je connais ? J'ai adoré cet épisode ! J'ai dû le voir une centaine de fois au bas mot ! Je hoche la tête et lis le texte en diagonale pour me le mettre bien en tête :
– Action, s'exclame Laza.
C'est Ludovic qui s'élance en s'approchant de moi, ses incroyables yeux bleus plongés dans les miens, la voix légèrement tremblante et emprunte d'inquiétude :
– Athénalyse, dis moi ce qui ne va pas ? Pourquoi ? Pourquoi réagis-tu comme cela à mes côtés ? Ma sœur, ma chère sœur ?
– Valentin, je souffle, je ne peux pas, ne me force pas à te parler.
Pour faire bonne mesure je me force à détourner le regard.
– Si. Je sais que tu me caches quelque chose, un sombre secret qui te ronge. Ma sœur, ma petite sœur, dis moi la vérité.
Alors que je lui tourne le dos, il m'enlace, ses mains sur mon ventre, sa joue sur ma tête. Je tremble et je me retiens de toutes mes forces à ne pas lui sauter dessus pour l'embrasser comme une folle.
– C'est si affreux...
– Athénalyse...
Je tourne la tête et croise son regard pour finalement lâcher ma bombe en prenant garde d'y insuffler toute la fragilité requise :
– Je ne suis pas ta sœur Valentin. Père et Mère m'ont adoptée alors que tu n'étais encore qu'un petit garçon.
Je sais que je suis censée fondre en larmes dans ses bras mais cela signifierait de ne plus le regarder et je refuse.
Valentin recule légèrement, soufflé par la nouvelle.
– Quoi ? Mais non...
– Je sais. Mais ce n'est pas tout, je souffle.
– Parle Athénalyse. Tu peux tout me dire. Je t'aime.
Si je le pouvais je danserais la polka à poil à cet instant.
Mais l'heure est grave, il faut que je me concentre.
– Je t'aime aussi.
Il me sourit et remet mes cheveux en place.
– Je sais.
Je secoua la tête et me tourne pour lui faire place, les mains posées sur ses pectoraux, les yeux dans les yeux.
– Non, tu ne sais pas. Je suis amoureuse de toi Lud-Valentin.
Bon, c'est pas le moment de me gourer, là ! Je suis à un moment critique de la scène je ne dois pas tout ruiner !
Valentin ne répond rien et me fixe intensément. Mon Dieu ! Quel acteur ! S'il continue à me regarder comme ça je vais me liquéfier sur place !
– Non, tu ne peux pas, soupire-t-il.
– J'ai essayé, je te jure que j'ai essayé de t'oublier, mais je n'y parviens pas.
– On ne doit pas... Tu es ma sœur.
Je secoua la tête en étirant un petit sourire :
– Justement, non.
C'est là ! C'est là ! C'est là ! Je m'approche lentement de lui, me haussant sur la pointe des pieds Et lui, hésite. Les secondes s'allongent tandis que je savoure son souffle chaud sur mon visage. Je me mords la lèvres et attends. C'est intense et très, très chaud. Il m'envoûte, me tente et me rend dingue. Il se penche encore un peu plus vers moi et ma main remonte pour venir se poser sur sa nuque.
– Mûre...
J'attends qu'il enchaîne, qu'il me repousse ou quelque chose comme ça mais rien ne se passe. Enfin, jusqu'à ce qu'il pose ses lèvres sur les miennes.
Ça ne dure qu'un instant, le temps d'un battement de cœur, mais c'est doux et... C'est de l'ambroisie. Ensuite il me repousse et marmonne un très peu convaincant :
– Non, on ne peut pas.
Puis il laisse le texte tomber sur le sol et s'en va s'asseoir aux côtés des autres, les yeux dans le vide. Comme moi. Je fixe le vide, figée. Il m'a embrassée. Il m'a embrassée.
– Très bien Mûre. Je te souhaite un bon retour chez toi. À bientôt, me congédie Laza.
Mademoiselle Lola m'adresse un signe de la main, Madame Signes et le Colonel m'ignorent et Ludovic me fixe, m'adresse un clin d'œil en esquissant un sourire en coin qui manque de me faire défaillir.
Je plane et je n'ai pas conscience de moi-même. J'ai l'impression d'être détachée de mon corps tandis que j'adresse un signe de la main à Lili-Rose et Roland et descends pour récupérer mon sac. 1, 2 ou 3 m'appelle un taxi et me voilà de retour à la gare après les quatre jours les plus fous de ma vie.
Si ce genre de chose est au programme je ne vais jamais pouvoir attendre. Et je risque de signer tous les contrats que Laza me donnera.
Je vendrai mon âme au diable sans le moindre remord pour revivre ce genre d'expérience.
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