Chapitre 14 - C'est moi la reine !
Idiote, imbécile, débile, crétine, abrutie, nullarde, incapable...
« Te laisse pas bouffer » !
Mon cul, oui !
Voilà ce que je gagne à faire la maline !
Je fais quoi, moi, maintenant ? En soutien-gorge devant les personnes qui ont la main mise sur mon avenir pour les cinq foutues prochaines années ?
Madame Signes et Le Colonel me fixe d'un air outré ce qui n'augure rien de bon pour mon matricule. Lola et Ludovic me dévisage, interloqués mais apparemment pas particulièrement traumatisés. D'autant que si je me fie au clin d'œil de Ludovic ce qu'il voit lui plaît. Et je me fais violence -je me mords l'intérieur des joues jusqu'au sang- pour ne pas me jeter sur lui. Il ne fait rien pour m'aider, bordel !
Laza lève les yeux de son téléphone au bout de la plus longue minute de ma vie avant de souffler d'un air exaspéré :
– C'est ton costume de scène ?
Euh. Même pas ?
Je gigote sur place, mal à l'aise et marmonne :
– C'est une leçon.
– Pardon, demande-t-elle plus fort pour me forcer à articuler.
Je vois un des camera-man zoomer sur moi et je lui adresse un petit signe de la main avec un sourire crispé.
– C'est une leçon. Pour Cristal et le beau gosse dehors. Ils pensent que le chemisier fait vulgaire alors j'ai décidé de leur en donner pour leur argent.
– C'est débile, jeune fille, crache la prof de chant avec une moue méprisante très insultante.
Ce qui est ironique étant donné que la dame d'un certain âge se fringue comme une gamine de seize ans un peu légère.
Mademoiselle Lola se met à frapper dans ses mains avec enthousiasme tandis que mon cher Ludovic tousse pour masquer son amusement.
– Moi j'aime bien, s'exclame la prof de danse en lançant ses longs cheveux derrière son épaule, j'en veux des comme elle quand je me serais fait opérer !
Je rougis en essuyant mes mains moites sur mon pantalon, très, très mal à l'aise. Pour dire la vérité j'ai envie de rentrer dans un trou. Une tombe si possible. Et si quelqu'un pouvait ensuite refermer ledit trou ce serait super.
– Tu as conscience que tu vas passer à la télé comme ça ?
Ouais, merci, je sais. Pas besoin de me le rappeler, j'essaie justement d'oublier. Je sens que je vais essayer pour le reste de ma foutue vie. Mon pauvre père ne va jamais s'en remettre.
– Je...euh. Le sexe fait vendre.
Attends ? Quoi ?! C'est moi qui ai dit ça ? Non. Non. Non. Je vais oublier, je veux effacer. Il ne faut pas que mon père voit ça. Et ma sœur ? Oh putain ! Framboise ne vas jamais plus me lâcher !
Pendant ce temps, Laza me considère d'un œil intéressé avant d'acquiescer :
– Tu as raison.
J'écarquille les yeux et secoue la tête en me pinçant les lèvres. Je dois être blanche et en sueur. Non, je n'ai pas raison. Je ne suis qu'une débile qui se laisse gouverner par le souvenir de ce qu'elle appelle son orgueil alors qu'il est mort il y a des années.
– Bon, s'impatiente madame Signes, tu attends quoi ? Que le bon Dieu en ait assez que tu lui agites ta paire de nichons sous le nez et qu'il t'envoie un t-shirt ? Bouge-toi un peu, t'es pas toute seule !
Et merde ! Je ferme les yeux en levant les yeux au ciel. Je suis maudite. Avec tout ça, je ne sais toujours pas ce que je vais chanter, moi.
– Qu'est ce que tu vas nous interpréter, demande gentiment Mademoiselle Lola en posant sa tête sur ses mains appuyés sur l'accoudoir du fauteuil sur lequel elle repose.
– Euh... « Sous l'océan » ! je m'exclame en paniquant de plus en plus, non ! « C'est la fête » ! Non plus, en faîte c'est nul... je... et puis merde. On va rester au classique et quitte à me ridiculiser je vais y aller jusqu'au bout et vous interpréter : « je voudrais déjà être roi ».
Perso, je voudrais déjà que tout cela soit fini, histoire de me planquer sous ma couette.
– Nous t'écoutons, grince le vieux militaire.
Je ferme les yeux, inspire et expire. Je suis nulle mais j'aime chanter et danser. D'habitude je le fais quand je suis seule, chez moi, devant la télé, quand je suis de bonne humeur ou encore en faisant le ménage. Je chante et je danse. Là, c'est pareil ! Je dois juste occulter le fait que je suis devant un jury de professionnels, qu'il y a des caméras et que je suis à moitié nue avec dix kilos en trop.
Facile !
Alors sans ouvrir les yeux je commence à fredonner l'air tout en remuant les hanches plus ou moins en rythme, et au moment de débuter je me stoppe, ouvre les yeux et pose une main sur ma poitrine pour me désigner en levant le menton :
– C'est moi Simba, c'est moi le roi, au royaume animal !
Je saute sur le côté à pied joint, fronce les sourcils et secoue l'index d'un air sévère tout en prenant une voix plus « pincée » pour imiter Zazu :
– C'est la première fois qu'on voit un roi, avec si peu de poils !
Pour le couplet de Simba je me met à me déhancher à la manière d'un mannequin sur un podium, les mains sur les hanches, le menton relevé et les yeux fermés tout en remuant les fesses d'un air très digne :
– Je vais faire dans la cour des grands, une entrée triomphale.
Pour ponctuer ma phrase je lève les bras au ciel en signe de victoire avec un large sourire, en poussant très royalement un rugissement bestial.
Je fais mine de griffer les jurés en mimant une bête sauvage. Je me tortille un peu avant de reprendre l'air courroucé et snob de Zazu :
– Majesté, tu ne te mouches pas du coude !
Je fais un demi-tour dans les airs, un large sourire sur les lèvres et déclare fièrement :
– Je voudrais déjà être reine !
Je me laisse totalement emporter, ne calcule plus rien et me revoilà dans mon salon. J'ai l'impression d'entendre la musique comme si j'y étais, j'en oublie même ce vieux ronchon de Zazu et je me contente de chanter les couplets de Nala et Simba tout en bougeant en rythme, valsant et swinguant comme si j'étais la nouvelle reine de la pop, sans complexe et sans honte. J'en oublie même mon soutien-gorge et tout ce que j'ai pu dire ou faire. Je ne suis clairement pas une artiste mais j'aime chanter au moins autant que n'importe quel « véritable » chanteur. Je me fiche d'être incapable de différencier le La du Do. Je chante et c'est tout. Et j'adore ça !
– Au roi on ne dit pas, tiens ta langue et tais-toi, surtout ne fais pas ça ! Reste ici, assieds-toi ! Sans jamais dire où je vais, je peux faire ce qu'il me plaît !
Ensuite j'enchaîne avec enthousiasme plusieurs pirouettes et quelques pas « empruntés » (je suis certaine que personne et, j'insiste bien sur le « personne », n'a reconnu la chorée) à Flashdance pour finalement entamer mon final en glissant sur les genoux, les bras en l'air en hurlant :
– Je voudrais déjà être reine !
Je tiens la note et me rends évidemment compte que je chante très, très faux. Je suis essoufflée, à bout de force, presque à poil et radieuse.
Parce que je sais que j'ai tout déchiré !
Ce soir je suis de bonne humeur et donc, plutôt que bouder seule dans ma chambre, je décide de rendre une petite visite à Thibault, harponnant Lili-Rose au passage, histoire de passer notre dernière soirée tranquillement.
– Tu n'as jamais vu Piège de Cristal ? Sans déconner ? C'est un crime, ça ! je m'exclame en frappant à la porte de Thibault.
Lili-Rose hausse un sourcil circonspect en croisant les bras sous sa poitrine :
– C'est pas non plus un chef-d'œuvre du cinéma ton truc, marmonne-t-elle.
J'arrête de tambouriner contre le battant de la porte de Thibault, me fige et inspire d'un air choqué en écarquillant les yeux, outrée :
– Tais-toi, d'accord. Avant de dire une bêtise plus grosse que toi !
Elle a tort. John McClane et sa tour est un film exceptionnel, avec un héros extraordinaire et un scénario génial. Je la foudroie du regard avant de frapper plus fort.
– Quoi ? grogne Thibault en ouvrant la porte.
Je le pousse, sans prêter de réellle attention à ses mèches folles en vrac qui donne une impression d'auréole autour de sa tête.
– Tu dormais ? demande Lili-Rose en se laissant tomber dans un fauteuil noir, dans le coin de la chambre, près de la salle de bain.
– Plus ou moins, avoue-t-il en se laissant tomber sur son lit, près de moi. Qu'est-ce que vous fichez là ?
– C'est mon idée. Comme j'ai tout déchiré avec Le Roi Lion tout à l'heure et que je suis de bonne humeur j'ai pensé que ce serait sympa de passer une soirée entre potes.
Thibault souffle en secouant la tête :
– C'est dingue ça. Tu chantes comme un ivrogne un soir de match, en soutif, une chanson pour gosses et tu arrives quand même à t'en sortir... Je sais pas si je dois être content pour toi ou vert de jalousie et très découragé.
Je rigole de bon cœur. Il a raison. Quand je suis apprêtée et maquillée je me vautre en beauté (littéralement) et quand je suis censée creuser ma propre tombe à mains nues je leur offre une superbe prestation.
– T'as merdé ? je finis par lui demander.
Il secoue la tête :
– Pas vraiment. Mais je suis pas super enthousiaste non plus.
– Moi non plus, c'était pas génial. Ils nous ont pris au dépourvu avec leur histoire de danse à la con, se plaint Lili-Rose. Comment veux-tu danser sur Oh Happy Day ? C'est du gospel putain, à part claquer des doigts et des mains en rythme je peux pas me lancer dans un freestyle de breakdance !
Je pouffe en secouant la tête :
– Thibault ?
– Quoi ?
– Tu connais John McClane ?
– Sans blague ! Et vous croyez que j'appelle pour commander une pizza ?! s'exclame-t-il dans une imitation parfaite de mon héros.
Je désigne Lili-Rose d'un index moqueur :
– Tu vois, il a de la culture, lui.
– Je ne vois pas en quoi citer un film médiocre fait de toi quelqu'un de cultivé.
Thibault se redresse et la foudroie du regard à son tour :
– Fais gaffe.
Je hoche la tête en croisant les bras sur ma poitrine, tout à fait d'accord avec lui. J'allais d'ailleurs répliquer pour en rajouter une couche lorsqu'on frappe à la porte, me faisant sursauter et pousser un petit cri de surprise. Lili-Rose se leva et alla ouvrir tandis que mon pauvre palpitant fragile se remettait de sa folle cavalcade :
– C'est Lucius. Il se fait chier et il veut s'incruster ! nous crie Lili-Rose comme si nous nous trouvions dans une suite immense.
– Laisse-le entrer, marmonne Thibault en se redressant contre les oreillers.
Sur ces entrefaites, Lucius débarque, précédant Lili-Rose et nous dévisage, surpris :
– Tout va bien ?
– Cette fois John Wayne ne s'éloignera pas vers le soleil couchant avec Grace Kelly !
Lucius se fige en me fixant pendant une seconde et je suis déçue à l'idée qu'il ne connaisse pas, mais, finalement il me gratifie de son sourire made in connard et me répond :
– C'est Gary Cooper connasse !
Je l'applaudis et il se laisse tomber sur le sol :
– Vous faites quoi ?
– Figure-toi que Lili-Rose ne connaît pas McClane !
Il écarquille les yeux avant de darder un regard stupéfait sur la jeune fille qui s'éclate à trier ses cheveux par couleur :
– Sérieusement ? Tu connais pas ? Faut remédier à ça !
Elle secoue la tête en ricanant :
– Arrêtez, à vous entendre, c'est comme si j'avais craché au visage de votre mère !
Je hausse les épaules d'un air détaché :
– Je t'en voudrais moins si tu frappais ma mère que si tu continues à insulter McClane.
Elle lève les yeux au ciel en soufflant, exaspérée :
– D'accord, vous avez gagné, mettez-le moi votre foutu chef-d'œuvre !
Dans des moments comme ça, il faut remercier la VOD, formidable invention humaine, qui permet à des gens comme Lili-Rose de rattraper leur retard. Ouf.
Plus tard, dans la soirée, alors que tous sont pris dans l'action épique du film, j'en viens à me dire que je me suis peut-être fait des amis, des vrais, qui restent. Je ne les connais même pas depuis une semaine mais ce genre d'aventure, celle que nous vivons actuellement, fait partie de celles qui rapprochent et qui lient pour la vie non ? Un peu comme les catastrophes, les prises d'otages et les dons d'organes. D'une certaine manière c'est comme si je venais de leur offrir un rein. Et un poumon et un morceau de foie parce qu'autrement y'en à plus pour moi. Peut-être qu'ensemble, toute cette folie médiatique ne nous paraîtra pas si terrible et que nous nous soutiendrons dans nos carrières respectives.
– Lucius, je lance alors que John rampe dans un couloir enflammé.
– Mmh.
Il lève la tête dans ma direction. Je suis allongée au pied du lit, la tête appuyée sur mes mains tandis qu'il est au sol, juste en-dessous de moi. J'ai l'envie irrépressible de passer les mains dans ses sombres mèches hirsutes, histoire de tenter de redonner de l'ordre à tout ce chaos mais je pense que nous ne sommes pas encore assez proches et préfère donc m'abstenir :
– Tu as dansé en slip ? je demande curieuse de savoir s'il s'est dégonflé, et a perdu de fait notre pari.
Il ricane d'un air méprisant en se concentrant à nouveau sur l'écran plat :
– Tu croyais quand même pas que j'allais me ridiculiser comme ça ?
Bon, rectification. Lili-Rose et Thibault seront mes amis. Lucius ? Je vais très certainement l'assassiner avant la fin de l'émission. Après tout, je suis une femme qui a ses règles, qui accouche et qui porte des talons aiguilles. Le juge pourra bien se montrer indulgent !
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