Chapitre 13 - Tomber la chemise


La journée a été affreuse. Vraiment. À tel point qu'une fois sortie de mon entretien je n'ai pipé mot. Pour quoi dire ? J'ai aligné deux vannes de merde et me suis ramassée en beauté ? Sans façon. Je tiens à préserver le peu de fierté qu'il me reste. Du coup j'ai tiré la gueule toute la soirée. Je n'ai pas parlé à Thibault, je n'ai pas répondu aux piques de Lucius, je ne me suis pas excusée auprès de Lili-Rose et je n'ai même pas repoussé Roland, pour dire... Je suis allée me coucher comme la pauvre fille que je suis et j'ai pleuré. Un peu. Juste pour effacer cette journée affreuse. Franchement...

Après une journée pareille, je suis pas vraiment motivée pour la suite. Après tout, les autres ont tous l'air à l'aise avec tout ça, et moi, j'ai l'impression de détonner, d'être vraiment trop différente.

Assise sur mon lit, les mains sur le visage j'inspire et expire en me répétant que, de toutes manières, il est trop tard pour faire machine arrière. J'ai signé un pacte avec le diable et il faudrait bien que j'y laisse mon âme pour récupérer ce fichu papelard. Merde ! J'aurais vraiment dû y réfléchir à deux fois !

Peut-être que Framboise a raison tout compte fait ? Je suis peut-être qu'une bonne à rien à peine assez douée pour garder ses gosses ?

J'en sais rien. J'ai même pas envie de sortir de ce lit. Il pleut dehors et j'ai toujours mes règles.

Je devrais laisser tomber, passer à autre chose. Partir maintenant, rentrer chez moi et éteindre mon téléphone pour toujours. Je devrais juste disparaître.

Je fixe le plafond pendant des heures comme s'il s'apprêtait à tout me révéler...

Lorsque j'entends frapper à la porte, à peine plus fort qu'un effleurement, je n'y prête pas plus attention. Je n'ai envie de voir personne et c'est certainement une erreur... Du moins c'est ce que je pensais jusqu'à ce que mon visiteur se mette en tête de tenter de défoncer ma porte.

– Mûre, ouvre ! ordonne Lili-Rose à travers le battant en continuant de marteler ma porte.

Je grogne et décide de me lever. Jamais tranquille. Je traîne des pieds et l'ouvre à la volée :

– Quoi ?

Lili-Rose lève les yeux au ciel et me pousse pour entrer :

– T'es encore moins aimable que moi le matin.

Je me tourne vers elle en croisant les bras sur ma poitrine, pas d'humeur à jouer les copines. Elle m'ignore simplement en flânant dans ma chambre, ses cheveux multicolores se balançant dans son dos très dénudé par son trop petit top noir.

– T'as pas froid ? Entre ton morceau de chiffon qui cache à peine tes seins et ton short qui ne laisse aucune place à l'imagination... Je veux dire, t'as mis une culotte là-dessous ? C'est tellement court qu'elle risque de dépasser.

Pour toute réponse Lili-Rose se tourne vers moi en m'adressant son majeur dressé.

– La classe, je marmonne en la contournant pour me jeter sur mon lit. Qu'est-ce que tu veux ?

Elle hausse les épaules avant de replacer une mèche rouge derrière son oreille :

– Tu es en retard. On s'en va dans un quart d'heure et tu n'es toujours pas prête.

– Et alors ? J'ai pas envie d'y aller.

– T'es sous contrat, t'as pas le choix, tu bouges ton cul et te changes ou t'y vas attifée comme ça, je m'en bats les couilles, mais tu te magnes.

Je ricane en me redressant pour la fusiller du regard :

– Et qu'est-ce que ça peut te foutre que j'y aille ou pas ? C'est mon souci, pas le tien.

Lili-Rose lève de nouveau les yeux au ciel et s'installe près de moi :

– Écoute, si c'est à cause de l'autre connard, franchement, je ne comprends pas pourquoi tu te laisses abattre. À mon avis c'est pas le premier et certainement pas le dernier, mais si tu commences déjà à te laisser bouffer, c'est peine perdue.

Je ne réponds pas et fixe mes mains tremblantes. Merde ! Je la connais même pas cette fille ! Et puis ils ont quoi, tous à venir me faire la morale alors que je les connais à peine ?! Ils me balancent des trucs dans la tête que même mon père garde pour lui !

– Et puis je comprends pas pourquoi tu t'es inscrite si tu fonds en larmes à la première pique mesquine ! Tu t'attendais à quoi en débarquant ici ? Au monde des Bisounours ? Tout rose et plein de barbes à papa avec des licornes sautant de nuage en nuage ?

– Bien sûr que non ! Mais là c'est gratuit ! je crie en bougeant les mains devant moi comme pour illustrer mes pensées, je lui ai jamais rien dit à ce gars, je sais même pas comment il s'appelle !

Lili-Rose lève encore les yeux au ciel -un tic qui m'agace sérieusement- en secouant la tête :

– C'est de la jalousie. Tu attires l'œil des caméras, tu es naturelle et nous savons tous que tu vas plaire au public.

C'est à mon tour de lever les yeux au ciel.

– Arrête de dire des conneries. Et puis j'ai foiré mon audition !

– Comme nous tous ! Tu crois quoi ? Que l'un d'entre nous à fait la Comédie-Française ?

– J'ai sorti deux blagues de Carambar et au moment de partir je suis tombée, ma robe est remontée, tout le monde a vue mon cul et je suis presque certaine que la ficelle de mon tampon pendait entre mes jambes !

Elle me dévisage une seconde en se mordant la lèvre inférieure et, d'un coup, explose de rire. Elle renifle et tout. J'ai l'impression d'être face à un goret.

– Tu... tu devrais vo-voir ta tronche, hurle-t-elle en se tenant le ventre.

Elle rit encore et encore pendant au moins une bonne minute jusqu'à ce que, finalement je me mette à rire avec elle. Pas longtemps, hein, mais c'est vrai que la situation est risible.

– Bon, reprend-elle finalement, va t'habiller on devrait pas tarder à décoller.

Je soupir mais acquiesce en me levant du lit. Lili-Rose s'étire et se redresse elle aussi avant de s'éloigner.

– Lili-Rose, je l'interpelle avant qu'elle sorte.

Elle se tourne vers moi avec son expression hautaine collée sur le visage :

– Quoi ?

– Désolée pour hier et... merci.

Elle hausse les épaules et s'en va. Moi je me jette sur ma valise pour chopper un jean et un chemisier à froufrous qui fait largement ressortir ma poitrine, je me précipite sous la douche, me coiffe, me maquille et m'habille en dix minutes ce qui est un record, bon, je ne garantis pas la qualité du truc, mais tout de même.

Ensuite je me précipite au rez-de-chaussé, dans la « cafétéria » où ils sont déjà tous en train de sortir. J'attrape un croissant et leur cours après pour m'engouffrer juste après Lucius dans la limo. Lili-Rose m'adresse un très discret clin d'œil tandis que les garçons louchent sur mon décolleté.

– Mes yeux sont plus haut, abrutis.

Lucius me gratifie de son sourire en coin made in connard et réplique :

– Ouais mais ils sont drôlement moins jolis.

Je grogne et il ricane. Connard, connard, connard !

– Tu vas chanter quoi, me demande Roland en m'offrant quelques échantillons de ses postillons.

Je m'essuie la joue du bout des doigts en retenant au maximum mes haut-le-cœur.

– Je sais pas, je verrai bien.

– Et toi ? demande Thibault en détournant l'attention de Roland.

J'aurais pu l'embrasser ! Lui ne craint rien, il ne lui fait pas face, mais moi ? Beurk.

– Je vais mettre le paquet, s'exclame-t-il, je vais leur chanter All By Myself, de la grande Céline Dion.

Momo explose de rire en secouant la tête :

– Tu crois pas que c'est un peu ambitieux ? Tu veux finir dans le bêtisier ou quoi ? Et où est passé le Sex Bomb de Tom Jones ?

– Je vise la lune, comme ça, si j'échoue, je tomberai dans les étoiles.

Le tout avec un regard langoureux dans ma direction. Double beurk. Et puis c'est tellement cliché !

Lucius et Momo se foutent ouvertement de sa gueule tandis que Thibault et Lili-Rose baissent la tête pour se retenir. Et moi, et bien je fais bonne figure. Le pire, dans tout ça, c'est lorsque je me rends compte qu'une petite caméra est fixée dans le fond de la limousine. Je donne un coup de coude à Lucius et lui montre l'objet d'un signe de tête.

– Putain !

Les autres suivent le mouvement et la voiture devient beaucoup plus bruyante, du moins jusqu'à ce que Roland secoue la tête en ricanant. Ses lunettes tombent sur son nez fin et il les remet en place du bout des doigts :

– Vous ne l'aviez pas remarquée ? Elle est là depuis le début !

Bah merde alors...

Du coup la voiture devient toute calme et nous attendons calmement notre arrivée. J'ai dû asséner à Lucius une gifle à l'arrière de la tête lorsque je me suis rendue compte qu'il était encore perdu dans mon décolleté.

– Pervers.

– Allumeuse !

Je tourne la tête vers lui et le fusille du regard, m'apprêtant déjà à l'incendier mais la portière s'ouvre.

– Tu ne perds rien pour attendre, je marmonne en quittant la voiture.

– Quand tu veux, mon petit Muffin.

Je me fige une seconde avant de me tourner vers lui, déjà prête à lui arracher les yeux mais Lili-Rose s'interpose en me poussant vers l'extérieur :

– Laisse, il en vaut pas la peine.

Je baragouine dans ma barbe en sortant de la voiture et en prenant le chemin, maintenant presque familier de la jolie pièce « des fées ». Laza et les caméras sont déjà là, à nous attendre. Elle affiche un joli sourire qui fait presque peur. Le plus étrange, hormis son sourire s'entend, c'est la façon dont elle est vêtue. En jean/t-shirt. La reine de glace, le diable en personne ne porte plus de jean depuis les années 90, alors la voir comme ça...

– Vous êtes mourante ? je demande sans prendre de gants, presque inquiète pour ce monstre.

Elle arque un sourcil inquisiteur avant de baisser les yeux sur sa tenue.

– J'étais en retard.

Ah. Bon.

– Bien, trêve de plaisanterie, aujourd'hui ce sera le chant. Et la danse.

Attends, quoi ? Mais c'était pas prévu, ça ! On devait juste chanter !

Je lève une main hésitante et Laza souffle en secouant la tête.

– Oui Mûre ?

– On peut chanter et après danser ?

Elle ricane et secoue la tête sans se donner la peine de répondre. OK. Message reçu cinq sur cinq.

– Vous choisirez la chanson que vous voulez et vous l'interpréterez à capella tout en dansant.

C'est clair comme de l'eau de roche maintenant, leur véritable but c'est pas de former des stars, c'est d'alimenter leur fichu bêtisier de fin d'année ! Connasse, va !

Sur ce, elle entre dans la pièce, suivie par les jumelles. Nous nous installons par terre, à même le sol.

Bon, qu'est ce que je vais bien pouvoir chanter, moi ? Un classique des années 80 ? Un tube plus récent ? Une chanson paillarde ? Non, trop vulgaire. Un chef-d'œuvre ? Bagdad Café ? Non ! Je vais pas détruire une chanson pareil ! Je risquerais de me trouver avec un procès sur le cul... l'idéal serait un truc qui se chante aisément sans accompagnement, comme une chanson pour gosse.

Une chanson pour gosse !

Je vais chanter une chanson Disney ! J'en connais des dizaines ! Là, c'est carrément le choix de Sophie ! Il faut un truc qui fout la pêche, qui justifie que je danse comme une folle... Alors... il y a « c'est la fête » qui parle de bouffe, « je voudrais déjà être roi » qui annoncerait la couleur, « il en faut peu pour être heureux » c'est vrai. Du chocolat et Les Cheminées de l'Amour, « comme un homme » qui serait sympa aussi histoire de remettre tous ces machos à leur place... « j'ai un rêve » aussi ! De Raiponce ! Juste pour le grand gars avec ses jolies petites licornes ! Oh ! C'est trop dur de choisir !

– Alors, tu vas chanter quoi ? me demande Lili-Rose qui pianote sur son portable, face à moi.

Je secoue la tête en soupirant et en ramenant mes genoux contre ma poitrine.

– J'ai des pistes mais pas plus. Et toi ?

– Je vais chanter Oh happy day. C'est pas mal, ça, non ?

– Ouais ! C'est super cool !

Je me tourne vers Thibault qui somnole à ma droite, je lui met un coup d'épaule pour le réveiller en sursaut et il se redresse en écarquillant les yeux, un tantinet angoissé.

– Ça va ? je lui demande en fronçant les sourcils.

Il se passe la main dans les cheveux, les emmêlant plus encore et se redresse :

– Euh, ouais. C'est bon, je vais bien. Tu voulais quoi ?

– Juste savoir ce que tu allais chanter.

– Allumer le feu.

– Et voir danser, la flamme dans tes yeuuux ! Dis moi tu vas galérer à danser là-dessus !

– Air guitar, répondit-il comme s'il s'agissait de la réponse sacrée.

– Oooh.

Le silence retombe parmi nous et nous attendons quelques minutes, moi je cherche toujours à savoir laquelle de ces chansons je vais interpréter.

– Hé, grosse vache !

Je sursaute mais fais comme si de rien était. Je sais que ce n'est pas Momo qu'on appelle comme cela. Ce gars est une armoire à glace. Mais je ne veux pas laisser ces abrutis me miner le moral comme la veille.

– On te parle, Confiture, crache Cristal.

J'aime vraiment pas cette garce. Tu m'étonnes que j'ai tendance à mettre tout le monde dans des petites cases ! Certaines personnes ne font vraiment rien pour se défaire du stéréotype qui leur colle au cul !

Finalement, et en soufflant, je me tourne vers eux :

– Quoi ?

– Tu pourrais pas être polie au moins ! crache le gars qui ressemble à une pub pour dentifrice, t'es moche, sois gentille histoire de ne pas être complètement bonne à rien !

Pour toute réponse je lui offre mon plus joli sourire d'hypocrite, celui qui découvre toutes mes dents et je penche légèrement la tête, comme si j'attendais qu'il continue. En vérité je suis terrifiée, blessée et j'ai envie de rentrer chez moi, mais Lili-Rose a raison. Si je me laisse faire maintenant c'est fini pour moi. C'est quelque chose que je n'ai jamais mis en action lorsque j'étais à l'école. Ça m'aurais peut-être évité certaines larmes.

– Et puis on voulait juste te dire que tu fais vulgaire avec ce chemisier, balance Cristal en replaçant soigneusement une mèche de ses parfaits cheveux blonds derrière son oreille.

– Ouais, grogne l'autre, une vraie pute.

J'écarquille les yeux sous le choc et je perds toutes mes bonnes résolutions. C'est trop violent. Se faire insulter de la sorte pour un décolleté ? Bon, d'accord y'a du monde au balcon et, du coup, il fait peut-être un peu plus osé qu'il ne le devrait, mais à ce point ?

– Moi j'aime bien, souffle Lucius en me gratifiant d'un clin d'œil complice qui me fait rougir.

Connard ou pas ce mec est vraiment canon.

– Moi aussi, continue Thibault en me souriant.

– Au moins une qui a un truc à montrer, s'exclame Momo en explosant de rire.

Roland ne dit rien mais louche tellement sur mes seins que je suis sur le point de lui proposer mes yeux. En attendant c'est super gentil de leur part de venir m'aider. Je croise le regard de Lili-Rose qui me crie littéralement « te laisse pas faire débile ! ». Et ses yeux qui me transpercent ont raison. Je ne dois pas me laisser faire. Je ne dois pas me laisser faire. Merde ! Je me suis presque battue avec cette pétasse de Cristal le premier jour ! Au bout de trois je devrais pas flipper autant !

– Tu as raison Momo, je souffle finalement, tu veux en voir plus ?

Il écarquille ses grands yeux dans son visage rond et je lui souris. Il hoche la tête frénétiquement et lâche un très joli :

– Putain, oui !

Alors je m'exécute et, juste pour faire chier ces deux trous du cul, je tombe le haut.

C'est une déferlante de cris de « ouh », de rire et de « salope » pour les deux imbéciles. Mais dans le fond je suis contente !

Lili-Rose se penche vers moi en me tendant son poing fermé. Je cogne le mien contre le sien et elle me souffle un « bien joué » qui me ravie. Maintenant reste à savoir si mon soutien-gorge rouge en dentelle suffira pour les caméras.

Je souffle, mais je ne veux pas me défiler. Si je les laisse faire, ils vont me bouffer. Lili-Rose est appelée alors que les jumelles s'installent en face de Cristal et Jeremiah. Ou James. Ou Jason. Va vraiment falloir que je lui demande son nom à ce naze. Puis, ensuite, c'est au tour de Roland et je ricane en l'imaginant danser sur All by Myself.

– Quoi ? me demande Lucius en soulevant un sourcil.

Je secoue la tête, amusée.

– Rien, je me demande juste comment Roland va se débrouiller pour danser son slow tout seul.

Il se marre aussi en s'entourant de ses larges bras et en remuant légèrement :

– Comme ça.

– Certainement ! Et toi, sur quoi tu vas te trémousser ?

Il arque un sourcil, un peu à la manière de Laza et esquisse son demi-sourire puant d'arrogance :

– Sexy and i'm know it, bien sûr !

– Tu vas te mettre en slip ? je m'esclaffe en l'imaginant remuer son cul dans son slip moulant.

– Seulement si tu reste en soutif' !

Je souris et hoche la tête :

– Deal !

C'est à ce moment que Laza crie mon nom, et je me redresse d'un bond en lissant mes cheveux bruns à l'arrière. C'est parti, je vais me lancer dans l'arène. Je vais encore me ridiculiser mais, franchement, il faut que je cesse de me voiler la face, ça fait longtemps que je n'ai plus de fierté !


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