Chapitre 10 - Pipi et autres soucis.


J'entre dans la pièce et, à mesure que je m'approche, ma détermination et mon courage s'effritent peu à peu pour, finalement, se transformer en angoisse et en appréhension face à toutes ces caméras braquées sur moi. Je m'installe sur l'hideux sofa et me tortille un peu. Le stress ? Pas que. J'ai toujours envie d'aller aux toilettes.

– Bien, commence Laza sans même me regarder, les yeux rivés à son téléphone, tu vas commencer par te présenter. Un rapide portrait, ton nom, ton âge, ce que tu aimes faire dans la vie. Peut-être évoquer ta famille et tes amis, en gros je veux ton parcours. Ensuite je vais te poser quelques questions et le tour sera joué.

Elle me lance ça avec une nonchalance déconcertante alors que moi, je tremble sur mon canapé. Je n'ai jamais fait ce genre de choses et je ne suis pas certaine d'être faîte pour ça, en réalité. J'inspire et j'expire pour tenter de me calmer et ralentir mon rythme cardiaque. Laza ne me regarde toujours pas, focalisée par son portable et, d'une certaine manière, c'est une bonne chose. Je ne veux pas qu'elle me voit comme ça, au bord de la panique.

Les camera-mans s'agitent autour de nous, trifouillant et bidouillant leurs machines, enjambant des câbles, vérifiant à partir d'un ordinateur l'interview précédente. J'observe tout avec les yeux écarquillés, tournant la tête de gauche à droite, comme une enfant impressionnée. Finalement, je tombe sur mon reflet, dans la vitre face à moi et les paroles de Framboise me reviennent en tête. « Trop grosse », « trop moche », « sans charisme », « pauvre fille ». Une myriade d'insultes qui trouvent toutes un écho en moi aujourd'hui alors que je suis sur le point d'être filmée pour passer à la télé. Je me dévisage et meurs d'envie de sortir de là en courant. Trop petite, trop grosse, trop banale. Mes cheveux, mon visage, mes yeux. Rien ne va.

– Allons-y, s'exclame finalement Laza en reposant son portable près d'elle, sur la petite table basse dorée qui nous sépare.

J'ai envie de hurler « NON ! », de me lever et de partir en courant pour aller manger des cookies à la nougatine fourrés à la pâte à tartiner dans un parc mais je reste immobile, tremblante et effrayée.

– Tu es prête ?

– Euh... Je..

Je ne sais pas quoi dire, rougis et bégaye comme une gamine. Laza semble enfin capter mon trouble, et, chose étrange, m'offre un sourire. Quelque chose de presque maternelle.

– Tout va bien se passer. Tu as peur et c'est normal. Ne t'inquiète pas. Sois toi-même et les gens t'aimeront ou ils te détesteront. L'important c'est que tu restes fidèle à toi-même.

Je cligne des yeux et fixe la femme en face de moi. Merde alors ! Qu'est-ce qui se passe ? Elle vient d'apprendre qu'elle va mourir donc elle essaie de redorer son karma ou bien ? Elle semble gentille et, entre sa prestation d'hier et d'aujourd'hui ça ne m'a pas l'air normal.

Néanmoins, je sais qu'elle a raison. J'ai été choisie, et, même si je n'ai pas un physique de mannequin, je sais que Framboise, dans le fond, est juste jalouse. Du moins, je l'espère.

Courage Mûre. Je peux le faire. Je dois le faire. C'est ma chance, mon avenir que je joue là. C'est fini d'avoir peur pour un oui ou pour un non. Et qu'est ce que je risque, franchement ? Une humiliation publique ? Ce n'est pas à cela que sert le lycée ?

Les joues rouges, j'essuie mes mains moites sur mon jean et adresse un sourire tremblant à la productrice qui me fait face :

– Je m'appelle Mûre Forêt et j'ai vingt ans, j'ai une sœur et un frère, je vis avec eux, mon père et les morveux de ma sœur. Je n'ai pas beaucoup d'amis, si ce n'est Madame Friz, notre voisine d'en face. C'est grâce à elle si on a masqué les odeurs corporelles de mon frère. Je ne savais pas que l'encens pouvait être si efficace, c'est dingue ! Ce truc masque absolument tout ! C'est magique !

– Mûre, me coupe Laza, tu as des passions dans la vie ?

– Euh, oui, je crois. Pour commencer, je suis fan de télévision. J'adore toutes sortes de séries et de films. J'ai même pas de genre favoris, pour vous dire !

Franchement, à ce stade, j'avais oublié toute ma retenue ! J'étais extatique ! Sans même m'en rendre compte, j'étais assise sur mes mollets et j'énumérais tout les trucs qui me plaisaient sur mes doigts, comme le faisait parfois Meredith.

– J'adore aussi les cookies à la nougatine fourrés à la pâte à tartiner ! C'est juste délicieux. Bon, je voue un culte au chocolat en règle générale, mais pas seulement ! J'adore les fraises et les framboises, je tuerais pour une entrecôte de bœuf ou un steak de cheval, j'aime beaucoup les potages qu'il nous proposent dans les machines à cafés, vous savez, ceux qu'on trouve dans les hôpitaux ou sur les aires de repos d'autoroute ? Mais malgré tout ça, mon plat préféré, celui pour qui je mangerais sur le dos d'un lépreux séropositif avec le sourire c'est sans aucun doute les tomates farcies. C'est tout un art, tout une technique et on ne peux pas se lancer dans la conception de ce plat sans être préparé...

– Stop, Mûre, intervient à nouveau Laza en se passant une main sur le visage. Ça ira.

Je hausse les épaules. Comme ils veulent. N'empêche, c'est véritablement tout un art, les tomates farcies. Et puis j'espère qu'elle ne s'attend pas à un miracle. Elle a pas recruté les meilleurs, hein... Avec Cristal elle va peut-être avoir droit à des chaussures, je suis quasi certaine que Roland lui a détaillé en long, en large et en travers un quelconque jeu de rôle et Lucius lui expliquera certainement que sa passion à lui c'est de prendre des poses mystérieuses de mannequin tout en rabaissant les femmes, ou d'écorcher vifs de jolis petits chatons, l'un ou l'autre. Je crois donc que ma passion pour les séries télés et la nourriture, c'est pas si mal, hein.

– Parle-nous de ta famille.

Douche froide. Je ne tiens pas spécialement à en parler et surtout pas devant des caméras. Soudain, mon mal de ventre n'est plus dû à mes menstruations. J'ai bien conscience que ma famille n'est pas si catastrophique que ça. J'aurais pu tomber sur pire. Laza commence à taper des doigts sur le sofa et je comprends qu'elle s'impatiente. Je ne suis pas non plus obligée de tout lui dire...

– Comme je l'ai dis je vis avec mon père, mon petit frère, ma grande sœur et ses deux enfants.

– Et ta mère ?

– Partie quand j'avais cinq ans.

– Elle te manque ?

Je serre les dents et prends une profonde inspiration par le nez pour m'empêcher de l'envoyer se faire voir chez les grecques. Je me souviens de ce qu'elle a dit la veille : pour l'audimat. Et bien il n'y a pas assez de public sur terre pour que j'expose ce genre de blessure à la vue du monde :

– Je ne me souviens pas d'elle, dis-je en baissant les yeux et en jouant avec mes doigts, j'étais trop jeune lorsqu'elle est partie.

C'est presque la vérité, en plus. Il ne me reste que de vagues souvenirs d'elle. Des impressions fugaces. Son parfum, la chanson qu'elle me chantait. Rien de plus. Elle n'a pas à proprement parlé, laissé une trace indélébile dans mon cœur.

– Et ton père ? Tu dois être très proche de lui ?

– Oui.

Ensuite je garde le silence. Je n'en dirai pas plus.

– Bien, tu n'as rien d'autre à ajouter ?

Je secoue la tête.

– Passons aux questions, donc. Pourquoi avoir postulée ?

Facile.

– Parce que je ne suis vraiment pas faite pour être caissière, et qu'au bout du compte, c'est mieux payé.

– Ce n'est pas pour les strass, la célébrité et la reconnaissance ? insiste-t-elle.

– Nope. Juste pour passer le temps et pour l'argent. En même temps, l'annonce stipulait qu'elle ne voulait pas de quelqu'un fait pour ça et qui aimait ça. Je chante comme un pied, je suis aussi drôle que le choléra et je joue la comédie aussi bien qu'une courgette, alors non, tout ce que vous venez de dire ne m'intéresse pas, mais j'ai également conscience qu'il s'agit là d'une opportunité, une chance unique qui ne se représentera pas.

Laza me sourit et hoche la tête, avant de reprendre, très professionnelle :

– Qu'espères-tu devenir ? Une chanteuse adulée qui enchaîne les Worlds Tours ? Une actrice oscarisée ou encore remplir les plus grandes salles de spectacle du monde pour ton one-woman show ?

Ah, en voilà une bonne de question. Je suppose qu'il serait déplacé de demander ce qui rapporte le plus d'argent, non ? Bon, alors je vais faire une croix sur la carrière de chanteuse parce qu'il y a vraiment aucune chance que j'y arrive. Peut-être actrice ? Je pourrais jouer dans La Cheminée de l'Amour ?

– Actrice.

– Pourquoi ?

– Pour pouvoir partager l'affiche avec mes idoles, pardi !

Laza continue en hochant la tête, d'après son langage corporel, je dirais que je m'en sors pas si mal.

– Que pensez-vous de vos concurrents ?

– Euh... Je ne les connais pas. J'ai pas grand chose à dire.

Que veut-elle que je réponde à ça ? Cristal est une pétasse avec un nom de strip-teaseuse, les jumelles n'ont pas inventé l'eau chaude. L'autre Glandu, là, James, ou Jason, aurait plus de chance dans des films pornos, Momo ne fait que se bidonner pour un oui ou pour un non, Roland me fait peur, Lucius est un psychopathe bipolaire et misogyne, Lili-Rose se contente de grogner, Thibault, lui, je l'aime bien et moi je ne suis qu'une connasse un brin prétentieuse et avec une petite dizaine de kilos en trop ? Franchement je me fous peut-être un peu de la célébrité mais je ne suis pas conne : si le public me déteste moi je perds. Et je veux réussir, il le faut. Même si, pour cela je dois sourire niaisement à une caméra en répondant à une série de questions plus débiles les unes que les autres !

– Si tu devais virer quelqu'un de l'émission, ce serait...

– Cristal, parce que je n'aime pas son prénom.

– Bien, une dernière petite question et ensuite on va prendre quelques photos. Comment te vois-tu dans cinq ans ?

Cinq ans ? Bien sûr, la date de validité du contrat n'y est pour rien, hein ? Mais la question reste simple alors je souris, fière de moi :

– Dans cinq ans, je me vois avec dix kilos de moins, un jean de marque et, si Dieu le veut, débarrassée de ma virginité.

Laza me dévisage, les yeux écarquillés, ne s'attendant apparemment pas à ma répartie tandis que l'un des camera-man se marre derrière sa bécane.

La productrice se lève finalement, le dos raide et d'un signe de la main, me désigne une petite croix sur le sol :

– Prends trois poses. Une avec un sourire, une autre sans et la dernière c'est à toi de jouer.

Je m'exécute de bon cœur, la première se passe sans aucun accro mais, lors de la seconde, je rencontre un problème de taille majeur : je suis incapable de garder mon sérieux devant un appareil photo. Je suis obligée de m'y prendre à dix fois pour parvenir à un résultat plus ou moins correcte pour les photos d'identité et là, c'est pareil. Je suis prise d'un énorme fou rire chaque fois que le gars essaie d'appuyer sur le bouton. Je pleure, j'ai mal aux côtes, et, plus les gens s'impatientent et s'énervent et plus je me marre. Je jette la tête en arrière et ris à gorge déployée. Le gars me mitraille quand même.

– Stop, rugit finalement Laza en s'approchant de moi au pas de course : Je peux savoir ce qui te fais rire, jeune fille ?

– C'est nerveux, je réponds en baissant les yeux, penaude, je n'arrive jamais à garder mon sérieux lorsque je dois être prise en photo.

La dame plisse les yeux et, l'espace d'un court instant je crains qu'elle ajoute « coups et blessures autorisés » comme nouvelle clause sur le contrat.

– Je.. je vais faire un effort, je promets en baissant les yeux.

– Bien.

C'est dingue ce que cette femme est déconcertante. Elle est méchante, puis elle me prend de haut avant de m'ignorer, me donne ensuite de gentils conseils et, finalement, me terrifie ? Je déglutis, serre les dents, et relève la tête. Lorsque je croise le regard de l'objectif je sens le fou rire s'étrangler dans ma gorge et mes lèvres s'étirer seules alors, ni une, ni deux, je me mords les joues assez fort pour donner à ma salive un léger goût métallique. Je me tiens droite et prie pour que le gars prenne vite sa fichue photo parce que je sais que je ne vais pas tenir longtemps. Ce serait comme d'empêcher un éjaculateur précoce de jouir dans son pantalon : impossible.

– Bien, plus qu'une, s'exclame mon photographe.

– Euh, pourquoi ne pas prendre une de celles que vous avez prises pendant que je riais ?

Laza esquisse un léger sourire et me jauge du regard. Ce que je viens de dire lui plaît, et, au vu de sa mine satisfaite, je viens de gagner des points.

– Bonne idée. On a fini.

J'acquiesce en souriant avant de quitter la pièce en courant. C'est que j'ai toujours très envie de faire pipi, moi.

Ͼ�Q�;�

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top