✨ Prologue ✨
L E G R A N D F R A C A S
Le bruit de la vaisselle qui se brise, c'est ce qui réveilla Filipin ce jour-là. Ce jour-là, c'était il y a deux mois et il venait de perdre son père.
Et dans ce cas, perdu était le genre d'euphémisme que personne ne voudrait jamais entendre, parce que perdu ne voulait pas dire égaré, ni même perdu de vue comme après un gros conflit qui impose de prendre ses distances. Non, dans ce cas là, perdu voulait dire qu'il avait disparut et ne reviendrait pas. Un genre de synonyme de mort, mais supplanté d'un filtre pour âmes sensibles, comme une version édulcorée de la censure, portée par une société trop prude pour dire les choses frontalement, clairement et sans détour.
Avec cette annonce, pour Filipin, le monde d'effondrait, tout entier. Après cela, il croyait que sa vie allait drastiquement changer -une telle perte, ça a des répercussions- il s'attendait presque à déménager, changer d'école, ou qu'importe, ce genre de choses que les gens faisaient pour prendre un nouveau départ. Il avait vu assez de films pour savoir comment ça marchait. Mais Non. Rien. Rien n'avait changé si ce n'était le manque permanent qu'il ressentait depuis. Son père lui manquait. Et en même temps, ce manque n'était pas nouveau, son père avait toujours plus compté parmi les absents. Mais cette absence là était différente, définitive. Filipin lui en voulait, il lui en voulait terriblement de l'avoir laissé, sans même un au revoir. Lui dire au revoir quelle ironie. Comment l'aurait-il pu ? Il avait disparut dans l'espace, littéralement. Astronaute perdu à la dérive. Accident sur la station. Tout contact rompu. Aucune chance de retrouver le corps. C'est ce qui avait été dit à sa mère au cours d'un simple coup de fil, impersonnel et froid. C'était arrivé début Août, en plein milieu des vacances scolaires, un peu après les épreuves anticipées du bac. Filipin s'était endormi devant une série sur le divan du salon, tandis que sa mère rangeait la vaisselle dans la cuisine attenante quand le téléphone fixe a sonné. Il est passé sur messagerie et après quelques phrases de présentations polies, ces mots ont retenti juste avant le fracas « Je vous présente toutes mes condoléances et suis au regret de devoir vous annoncer la disparition de Tom Martel... » le reste était confus. La mère de Filipin avait sentit ses jambes flancher et avait lâché la pile d'assiettes qu'elle avait entre les mains. Péniblement, elle s'était avancée jusqu'au téléphone et l'avait décroché dans un frénétique désespoir, prenant l'appel avant que son interlocuteur n'ait fini de laisser son message.
Filipin, qui avait été réveillé en sursaut ne savait pas trop si les mots qu'il avait perçut à demi-endormi étaient le fruit de son imagination -réminiscence d'un cauchemar étrange dont il aurait oublié le début- ou alors une réalité à laquelle il ne voulait pas croire. C'était flou, beaucoup trop flou, sans doute parce qu'il ne voulait pas réaliser ce qu'il se passait.
Une fois entièrement réveillé, les larmes sur les joues de sa mère lui indiquèrent sans équivoque qu'il ne se trompait pas. Il avait bel et bien entendu ce qu'il croyait. Son père avait disparut.
Il ne savait pas comment réagir -si tant est qu'il y eut une bonne réaction à avoir dans ce genre de situation- tout ce qu'il aurait pu dire ou faire lui semblait disproportionnellement peu, ridiculement petit pour ce qui était en train de se dérouler sous ses yeux. Ce qui s'était déjà passé à vrai dire. Parce que ni lui, ni sa mère, ni personne n'avait plus aucune prise sur les événements. Tout était fini, plié, inscrit dans le cour de l'histoire, et jamais on ne revient en arrière. Tout ce qu'ils étaient, c'était impuissants. Impuissants. Impuissants. Faibles. Ridicules. Ils n'avaient aucune prise sur le temps, cela ne devait pas se passer ainsi. Et pourtant, les faits étaient là. Bien présents. Douloureux.
Le soir-là, en se couchant, Filipin eut bien du mal à trouver le sommeil. Il ressassait. Essayait de trouver un sens à tout cela mais n'en voyait aucun. Il n'y croyait tout bonnement pas. Et pourtant il savait. Il savait que son père les avait quitté, mais il ne réalisait pas, ne comprenait pas tout ce que cela impliquait. Pas encore. Il restait dans une sorte de déni, incapable même de pleurer, contrairement à sa mère dont il entendait encore les sanglots -peut-être la seule chose qui lui prouvait que tout cela était bien réel- il priait en son fort intérieur pour se réveiller le lendemain et se rendre compte que tout cela n'était qu'un mauvais rêve. Qu'au petit déjeuner, sa mère le charrie d'être encore chamboulé par de simple cauchemardas à son âge. Il pria pour que ce ne soit que la partie la plus perfide et sombre de son inconscient qui ait inventé toute cette histoire. Il aurait donné un rein pour que ce soit le cas. Seul dans sa chambre, lumière éteinte, il fixait le plafond et récitait des prières inventées de toute pièces pour un dieu dont il ignorait le nom, d'ailleurs, qu'importe le dieu, la déesse ou que savait-il encore, pourvu qu'il soit entendu. Il n'avait jamais été croyant, ni même mystique, mais l'espace d'un instant, il hésita à brûler quelque plantes en guise d'encens, et sacrifier au flammes quelque chose qui lui était cher, n'importe quoi, pourvu que ça lui rende son père. Pourvu que l'univers l'entende. L'univers. Au fond c'était lui le fautif. Sous toutes ses formes. L'univers. Le grand. Le terrible. Cet univers là qui avait avalé son père. En un instant et pour toujours.
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