✨Épilogue✨
Filipin se réveilla, frais et dispo, comme ça ne lui était pas arrivé depuis longtemps. Il se sentait bien. Il s'était écoulé un peu plus d'un mois depuis la virée à Paris, et il avait été privé de sorties par sa mère. C'était vrai que la sentence était méritée, et même malgré elle, même si sa mère ne démordait pas de l'idée de lui faire purger sa peine, ses rapports avec elle s'étaient grandement améliorés.
Aujourd'hui était un jour spécial. C'était d'ailleurs pour cela qu'il s'était levé tôt, il devait être là pour Calixte.
« Déjà levé ? » Demanda sa mère en le voyant entrer dans la cuisine.
Il était content de réussir à lui reparler. Ils avaient eu une longue discussion le lendemain de son retour de Paris. Une discussion profonde et sans cris. La première depuis bien longtemps. Et elle avait fini par lui dire « Je t'aime. », ces mots si compliqués à dire à l'adolescence. Parce que c'était une période de construction. Une période pendant laquelle chaque individu faisait le tri dans ce que ses parents lui ont inculqué, ce que ses professeurs lui ont transmis et ce qu'ils ont eux-mêmes acquis. Un tri nécessaire pour ne garder que ce qui nous correspond vraiment, et devenir qui nous sommes, sans toutes ces idées superflues qui ne nous ressemblaient pas. Alors le temps de faire ce tri, on se ferme à tout et à tout le monde, pour pouvoir le faire au calme. Mais d'apparence, cette période est tout sauf calme, parce que se chercher fait des vagues, c'est comme traverser une tempête, notre première tempête de haute mer alors que jusqu'à présent nous n'avons connu que le calme des fleuves, des rivières. C'était dépaysant, on avait l'impression de perdre pied, que plus rien n'est stable autour de nous, mais si on tient bien la barre et que l'on garde le cap, on finira par s'en sortir. Aucune tempête n'est éternelle.
En se coupant du monde, en effectuant cette rupture pour nous concentrer sur nous, il nous arrive de blesser les autres, parfois de nous blesser nous-mêmes, mais c'est comme cela qu'on grandit. On apprend à se pardonner, à accepter les excuses qui nous sont faites et à passer à autre chose.
Filipin, lui, avait blessé sa mère. Il le savait bien. Et le décès de son père avait envenimé les choses. Il s'était retrouvé incapable d'avoir la moindre conversation avec elle sans se crier dessus. Et même s'il savait que ça leur pesait autant à l'un qu'à l'autre, c'était plus fort que lui. Lui crier dessus était le seul moment qu'il avait trouvé pour lui faire comprendre qu'il allait mal, sans avoir besoin de passer par la case grande discussion compliquée. Il reprochait à sa mère des choses que lui-même était incapable de faire, et elle le savait. C'était pour cela qu'elle se mettait en colère.
Mais il avait eu le temps qui lui fallait pour faire le point. Il était capable de faire la part des choses, parce qu'il avait fait la paix avec lui-même. Et ça lui avait fait du bien de s'excuser, puis de le lui dire, sans détours aucun, lui dire qu'il l'aimait. Elle était le seul parent qui lui restait et il savait que c'était important. Qu'il devait tout faire pour retrouver leur relation passée. C'était important. Pour lui comme pour elle.
« Ouaip. Je dois aller voir Calixte. »
« Pas pour fuguer j'espère. » Plaisanta-t-elle.
« Mais non Maman. C'est son premier jour d'école, je lui ai promis de l'escorter. Kara et Flora nous rejoignent à l'arrêt de bus devant le lycée. »
Il croqua dans une pomme. Il rayonnait. Ça faisait du bien à Corinne de voir son fils heureux. Elle avait eut peur que ce ne soit plus jamais le cas.
Quand elle avait reçu un appel du commissariat, lui signifiant que son fils avait été retrouvé et qu'elle devait descendre le chercher à Paris, elle aurait pu lui arracher les yeux. Et pire encore quand elle avait appris tout ce que lui et ses petits amis avaient fait, entre la fraude, le vol à l'étalage, et l'introduction illégale à l'opéra, elle ne comprenait pas ce qu'il lui avait pris. Surtout, il l'avait laissée se faire un sang d'encre pendant deux jours, et il avait visiblement entraîné d'autres jeunes avec lui. Elle ne savait même pas quelles charges allaient être retenues contre eux, ils pourraient avoir un casier judiciaire à cause de cette petite escapade insensée.
La route retour s'était faite de nuit, et dans un silence impénétrable. Filipin avait bien compris que ce n'était pas le moment de s'expliquer. De toute façon, il n'aurait pas su comment commencer. Alors il s'était tu. Ils avaient fait le trajet d'une traite, par l'autoroute. Il vaut proposé à sa mère de faire une pause, ce n'était pas raisonnable de rouler sans discontinuer pendant plusieurs heures, mais elle s'était contenté de le foudroyer du regard et de lui dire que c'était de sa faute si elle avait tout ce trajet à faire. Elle avait même ajouté que le prix de l'essence serait retenu sur son argent de poche et non, d'ailleurs, il serait privé d'argent de poche, jusqu'à nouvel ordre. Il regardait les lumières des réverbères glisser sur le pare-brise constellé de gouttes de pluie. Une fois de retour à leur appartement, Filipin avait l'impression de ne pas l'avoir vu depuis des semaines, sa mère l'envoya se coucher.
« Je n'ai pas envie d'entendre tes explications ni tes excuses ce soir. Je veux juste me coucher. On verra demain si je suis dans de meilleures dispositions. »
Il était donc monté se coucher en silence. Dans son lit, il envoya un rapide message à ses amis.
« J'espère que les choses vont bien se passer pour vous. Ma mère ne veut même pas me parler. J'espère que ça va mieux de votre côté, désolé de vous avoir entraîné là-dedans. »
La première réponse fut celle de Kara.
« Tqt bichette, on était conscient de ce qu'on faisait quand on t'a suivi. Perso, ma mère n'a pas trop crisé, mais elle veut que je lui rembourse les billets de train. »
« Et moi l'essence. »
« Mes parents ont cru que je m'étais fait enlever. Ils étaient si morts de trouille qu'ils ont oublié de m'engueuler. Et je crois qu'ils sont contents que je me sois fait des potes. Et que je sois sorti. »
Il sourit au message de Calixte. Il n'était pas le seul à qui cette escapade avait fait du bien.
« Les miens m'ont menacé de m'envoyer finir mes études au Cambodge, sour la supervision de mon arrière grand-mère, celle qui est devenue folle. Je sais pas si je dois prendre cette menace au sérieux. »
Il s'endormit avec le sourire, enfin libéré de ce poids dans sa poitrine. Même les étoiles dans le ciel ne lui paraissaient plus si hautaines.
Sa mère lui avait confisqué son téléphone dès le lendemain matin, simple oubli de sa part la veille.
Il revint au moment présent quand son téléphone vibra dans sa main. Il avait gagné le privilège de le récupérer il y avait un peu moins d'une semaine.
« Dis, Maman, je voulais te dire... Tu as revu M. Fosset ? Parce que... je sais que votre relation n'a rien à voir avec moi. Et j'ai peut-être un peu sur-réagi en découvrant... Ça. Et je dis pas que ça me fait plaisir, mais c'est ta vie. Bref, si tu veux le revoir... j'essayerais de m'y accommoder. » Exposa-t-il laborieusement.
Elle lui sourit.
« Merci mon chéri. Maintenant, file, ne fait pas attendre Calixte, le pauvre garçon doit être dans tous ses états. »
C'était le cas de le dire. En revenant de leur escapade à Paris, Calixte et lui avaient longuement discuté, au sujet de sa phobie, et du lycée. Calixte avait exprimé son envie de retenter un cursus scolaire plus conventionnel. Sortir mettre le nez dehors lui avait ouvert les yeux, comme tout le monde, il avait besoin de rapport humains, même si ça lui faisait peur. Et Filipin lui avait promis de l'épauler, avec Flora, Kara, et ses autres amis, qui seraient ravis aussi de l'accueillir s'il choisissait d'intégrer leur lycée.
C'était aujourd'hui le grand jour. Filipin retrouva le bouclé au bas de l'immeuble, et il partirent vers l'arrêt de bus.
« Tu vas bien ? Pas trop stressé ? »
Les yeux bas, Calixte ne lui répondit pas. Il transpirait l'angoisse par tous les pores de sa peau.
« Eh, tout va bien se passer. Tu connais déjà Kara et Flora et je vais te présenter Macéo dès qu'il arrivera. Et on ne va pas te lâcher une seule seconde. Au point qu'à la fin de la journée, tu iras de toi-même te cacher dans les chiottes pour nous échapper. »
« Euhrg me parles pas de me cacher aux chiottes, ça fait remonter des souvenirs qui ne sont pas forcément les meilleurs que j'ai. »
« Oh. Désolé. Tu me raconteras un jour ? »
« Tu sais, je n'ai pas d'histoire larmoyante à te raconter. C'est juste que le collège est un milieu hostile pour tout le monde et que je n'ai pas tenu la distance. »
« Ouais. Tu me l'as déjà dit, mais... T'essayes de minimiser les choses, je le comprends. J'espère juste que quand tu seras prêt, tu accepteras de m'en parler. Oh et aussi, je suis super fier de toi. Et super content de pouvoir t'avoir avec moi toute la journée. Tu ne sais pas à quel point tu pouvais me manquer quand j'étais en cours. »
« Ah oui ? »
Il était adorable avec son petit air incertain. Ils montèrent tous deux dans le bus, bientôt rejoints par Macéo. Filipin se chargea des présentations et fut heureux de constater que le courant passait plutôt bien. En même temps, Macéo était incapable de ne pas s'entendre avec qui que ce soit.
Au sortir de l'autocar, Flora et Kara les accueillirent en fanfare. C'était presque comme s'ils ne s'étaient pas vus depuis des lustres. Et c'est ensemble, bras dessus, bras dessous, qu'ils passèrent les portes du lycée. C'était presque comme s'il pouvaient venir à bout du monde entier. Ensemble.
Calixte ne se faisait pas d'illusions, ce serait dur. On ne résout pas un problème par une virée désastreuse entre amis, mais il était content que ça ait débloqué ce truc en lui. Cette chose qui lui avait donné la force de retenter le coup en comptant sur ses amis. Que ça lui ait permis de faire le premier pas. Car tout voyage commençait par ce premier pas en avant. C'était le plus dur à faire mais surtout le plus significatif. Même une fois la ligne d'arrivée passée, c'est celui qui importe le plus, parce que sans ce premier pas, il n'y aurait jamais eu de franchissement de la victoire.
Alors ouais, peut-être qu'il avait été un peu cabossé par la vie, mais tout le monde l'était, Filipin qui lui tenait la main en était la meilleure preuve. Et il pouvait aller mieux, il suffisait de commencer par le vouloir. Il était heureux d'avoir le châtain à ses côtés, tout comme Filipin était heureux de l'avoir lui. Ils n'en étaient peut-être pas à se dire de grands ''Je t'aime'' et à se faire des déclarations dégoulinantes de guimauve, parce que personne ne tombe amoureux aussi vite, même à leur âge. Ils en étaient encore au stade embryonnaire d'une relation, quand on prend conscience de l'attirance réciproque qu'on peut éprouver, et ils verraient bien là où ça les mènerait. Dire que ça ne faisait pas peur, ça et tout le reste, serait mentir, mais si l'un reste focalisé sur notre peur, on n'avance jamais, Calixte le savait bien. Alors non, il n'était pas question de coup de foudre, cela n'a jamais été leur histoire à eux, ni aucun autre de ces raccourcis bidons que l'on voit dans les films, dont tout le monde s'abreuve au point de croire que c'est la norme. Mais quelque part, c'était mieux ainsi, plus réel. Et être ancré dans la réalité était une chose dont Filipin avait terriblement besoin.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top